Homicide commis lors d’un vol – Arme à feu
Ville Saint-Laurent, Banque de Commerce – 2 SC
George Marcotte, condamné à mort, sentence commuée.
Le 14 décembre 1962, vers 11h00, les clients et les employés qui se trouvaient à l’intérieur de la Banque de commerce de Ville Saint-Laurent ont vu entrer un Père Noël. À deux semaines du Réveillon, celui-ci n’a pas tellement attiré l’attention, jusqu’à ce qu’il sorte un pistolet-mitrailleur et que deux complices armés surgissent à ses côtés. Soudainement, le scénario est devenu moins amusant. Les braqueurs ont ordonné à tout le monde de se jeter au sol. Ils étaient cependant loin de se douter que l’alarme avait déjà été donnée.
À quelques rues de là, les constables Denis Brabant et Claude Marineau interceptaient l’appel sur les ondes de la police. En fait, « le pire de l’histoire, c’est qu’ils [Brabant et Marineau] auraient pu ignorer cet appel, car le système radio de leur ambulance était défectueux. Ils ne se trouvaient dans les parages que parce qu’ils allaient le faire réparer dans ce coin-là de la ville, lorsqu’ils ont entendu l’appel. En se présentant devant la banque avec leur ambulance (la police avait des ambulances en ce temps-là), ils ne se sont jamais doutés de ce qui allait suivre. »[1]
À leur arrivée sur les lieux, les deux policiers ont échangé des coups de feu avec l’un des bandits, qui a rebroussé chemin vers la banque avant de fracasser une vitrine pour s’improviser une nouvelle sortie. Peu après, le Père Noël a fait irruption sur le trottoir et a arrosé les deux flics avec sa mitraillette. Brabant et Marineau ont été gravement touchés. Alors que l’un d’eux continuait de gémir sur le sol, le Père Noël s’est approché et l’a achevé d’une rafale. Celui-ci a pris la fuite à bord d’une Oldsmobile avec l’un de ses complices. Les deux policiers devaient succomber à leurs blessures peu de temps après. La voiture des fuyards fut retrouvée au cours de l’après-midi, le costume du Père Noël était demeuré sur la banquette arrière.
Le lendemain, c’est toute la province qui s’est retrouvée en deuil. Marineau était policier depuis 15 ans, marié et père de trois enfants. Brabant, quant à lui, travaillait pour la police depuis 8 ans et laissait lui aussi dans le deuil trois jeunes enfants. Plus tard, le chroniqueur Claude Poirier dira que leurs funérailles ont été les plus imposantes auxquelles il aura assisté au cours de sa carrière.
Le montant du vol a été estimé à 156 000$[2], alors que l’Association des banquiers a offert une récompense de 25 000$ pour la capture des dangereux braqueurs. Quelques jours plus tard, la police a procédé à l’arrestation d’un braqueur d’expérience nommé Jean-Paul Fournel, 39 ans. Rapidement, cette avancée a conduit aux arrestations de Jules Reeves et de Georges Marcotte. En passant aux aveux, Fournel a identifié Marcotte comme celui qui se cachait sous le costume de Père Noël.
Le procès de Marcotte s’est ouvert le 18 février 1963 devant le juge Roger Ouimet. La Couronne était représentée par Me Claude Wagner alors que la défense était assurée par les criminalistes Yves Mayrand et Trajan Constantin. Durant son témoignage, Fournel a expliqué le déroulement du hold-up, ajoutant que peu de temps avant le braquage Marcotte avait ouvert une bouteille de rhum. Après le vol, croyant ses compagnons morts, Fournel a couru dans la neige et c’est à son appartement qu’il les a retrouvés. Après avoir divisé le montant en liquide (environ 6 000$), Marcotte se serait vanté d’avoir refroidi les deux policiers.
Le procès a laissé place à une importante surprise lorsque Fournel s’est mis à raconter qu’un vol de banque précédent avait eu lieu à l’instigation de Me Constantin afin de financer l’achat d’un restaurant. Furieux, Me Constantin a demandé à interroger le témoin mais le juge lui a plutôt conseillé de se retirer de l’affaire. L’avocat soi-disant malhonnête a refusé. Pour lui, cependant, c’était le début de la fin.
Une fois la preuve de la Couronne terminée, la défense a présenté quelques témoins, dont le père de Marcotte, pour établir l’alibi de l’accusé et ainsi prétendre qu’il ne pouvait se trouver sur les lieux du cambriolage le 14 décembre. Finalement, Marcotte a accepté de témoigner pour sa défense en niant s’être rendu à cette banque et avoir enfilé un costume de Père Noël. D’autre part, on a essayé de jeter le blâme sur Fournel.
Après avoir délibéré durant 1h50, le jury a finalement déclaré l’accusé coupable. Peu après, le juge Roger Ouimet a fixé la date de l’exécution au 31 mai 1963. Claude Poirier dira : « imaginez, on était en pleine nuit de samedi à dimanche et, à l’extérieur du palais de justice, rue Notre-Dame, en attente du verdict, de deux milles à trois milles personnes faisaient le pied de grue dans la rue ou écoutaient la radio dans leurs voitures. […] Quand j’ai annoncé le verdict à la radio, les gens ont crié de joie et se sont mis à applaudir et à klaxonner, comme si c’était une victoire du Canadien. »[3]
Selon l’auteur Daniel Proulx, Reeves, qui avait eu une embolie cérébrale sept jours après le braquage, n’a subi aucune poursuite judiciaire puisqu’il est mort en 1973. Poirier, sans même parler d’embolie cérébrale, affirmera que Jules Reeves était tellement dérangé mentalement qu’il ne fut jamais accusé dans cette affaire et qu’il s’est éteint à l’asile Saint-Jean-de-Dieu à Montréal (maintenant Hôpital psychiatrique Louis-H. Lafontaine).
Quant à lui, Fournel sera condamné à la prison à vie et envoyé au pénitencier de Stony Mountain, au Manitoba. Il y sera violemment battu par d’autres détenus pour sa trahison et transféré dans un autre établissement de la Colombie-Britannique. Plus tard, il a été libéré et restera dans l’ouest du pays pour y refaire sa vie.
En 1963, Marcotte a remporté sa cause en Cour d’appel et sa sentence a finalement été commuée en 1964. Selon Poirier, il s’est mis à peindre lors de ses années de détention. En juillet 1981, il a été libéré sous sa nouvelle identité de George Duvivier avec l’interdiction de se trouver au Québec. Ainsi, il a tenté de refaire sa vie à Toronto mais en janvier 1989 il a été arrêté dans une autre affaire de hold-up.
Quant à Me Constantin, Proulx nous dit qu’avant la date fixée pour son accusation d’outrage à magistrat, en juin 1963, il a disparu. Alors que des rumeurs circulaient à l’effet qu’il aurait été éliminé par le crime organisé, il a été aperçu à Paris en 1964, sans le sou. On ignore ensuite ce qu’il est devenu.[4]
[1] Bernard Tétrault, Claude Poirier sur la corde raide, 2007, p. 42.
[2] De ce montant, il y avait seulement 6,000$ en liquide.
[3] Bernard Tétrault, op. cit., p. 44.
[4] Voir aussi Le Petit Journal, 15 décembre 1963.
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