1963, 20 avril-25 mai – Guy Luckenuck, 12 ans; Michel Morel, 8 ans; Alain Carrier, 10 ans; et Pierre Marquis, 13 ans
- 10 nov. 2024
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Dernière mise à jour : 22 nov. 2024
Homicide sexuel organisé – Strangulation – Série de quatre meurtres – Mise en scène
Québec/Pont-Rouge - Plusieurs SC
Léopold Dion, 43 ans, tueur en série, condamné à mort, sentence commuée.
Le 20 avril 1963, Guy Luckenuck, 12 ans, quittait Kénogami en autobus avec d’autres élèves de son âge pour venir suivre une leçon de musique au Conservatoire de Québec. Après son cours, Guy, un enfant extraverti et débrouillard, a dit à ses camarades qu’il s’absentait pour quelques minutes. Vers 16h30, on a constaté que Guy Luckenuck n’était toujours pas revenu. C’est à ce moment qu’on a signalé sa disparition. Il a fallu attendre quelques semaines avant qu’il y ait un développement dans l’affaire.
Le 5 mai 1963, alors que l’enquête piétinait, Michel Morel, 8 ans, et Alain Carrier, 10 ans, disparaissent à leur tour dans les environs des plaines d’Abraham, à Québec. Rapidement, les policiers ont soupçonné que les trois enlèvements étaient reliés, ce qui a poussé les enquêteurs à interroger des maniaques connus de leur service. Mais le résultat est demeuré négatif.
Le 25 mai, Pierre Ouellet, 14 ans, a été abordé au terminus de Québec par un homme qui lui offrait de le reconduire chez lui. Lorsque l’adolescent a refusé, l’inconnu lui a suggéré du travail dans un chalet de Pont-Rouge. Ils ont alors pris rendez-vous pour le lendemain. Pierre Ouellet s’est rendu au rendez-vous en compagnie de son père, qui a surveillé la scène à distance. À l’arrivée de l’individu, le père de Pierre s’est approché pour le questionner mais celui-ci a aussitôt pris la fuite. Heureusement, Monsieur Ouellet avait eu le temps de noter le numéro de plaque de la voiture.
Le soir même, la police recevait un appel de la mère de Pierre Marquis, un garçon de 13 ans, qui n’était toujours pas rentré de la plage de l’Anse-au-Foulon. Le lendemain, la mère de Ouellet communiquait à la police le numéro de plaque récolté par son mari. Munie de ces précieuses informations, la police a procédé à l’arrestation de Léopold Dion, connu pour son passé chargé. En 1937, à 17 ans, il avait été condamné pour des actes indécents auprès d’un garçon de 10 ans. Trois ans plus tard, il violait une institutrice de Pont-Rouge, ce qui lui avait valu 16 années derrière les barreaux.
Au départ, les policiers n’ont obtenu aucune information de la part de Dion, jusqu’à ce que le corps de Luckenuck soit découvert à la mi-juin, à Pont-Rouge. L’autopsie a révélé que le garçon avait été tué par asphyxie. Son corps ne portait apparemment aucune trace d’agression sexuelle. Dans la nuit du 12 juillet, Dion a réclamé l’inspecteur Martin Healey de la Police Provinciale afin de tout lui raconter. Il ira jusqu’à conduire les policiers dans les bois de Pont-Rouge afin de leur montrer l’emplacement des autres corps.
L’enquête du coroner s’est déroulée le 24 juillet 1963. Le dernier témoin appelé par Me Jean Bienvenue, procureur de la Couronne, a été nul autre que le colosse de 43 ans qui s’est mis à énumérer tous les détails de ses crimes, à savoir comment il avait enlevé et tué ses victimes, jusqu’à parler de l’instant où il leur avait demandé de faire une prière au moment de les tuer. Dion s’est effondré en larmes à deux ou trois reprises.
Le tueur en série[1] promettait à ses victimes de l’argent pour les photographier, après quoi il les entraînait dans le bois et tentait de les agresser sexuellement, mais apparemment sans succès. Ensuite, il finissait par les étrangler avec ses mains ou un fil de fer. Pendant ce temps, l’assistant du procureur général, Charles-Émile Cantin, condamnait sévèrement le comportement de la Commission des libérations conditionnelles qui relâchait trop facilement les désaxés sexuels. Selon lui, Ottawa aurait permis la libération de Dion sans jamais avoir consulté les autorités de Québec.
Le procès de Dion s’est ouvert le jeudi 28 novembre 1963 au palais de justice de Québec devant le juge Gérard Lacroix. Le monstre de Pont Rouge était représenté par un jeune avocat, Me Guy Bertrand. Officiellement, Dion a été accusé d’un seul meurtre : celui de Pierre Marquis. Pierre Ouellet et son père ont été appelés dans la boîte des témoins pour exposer les circonstances de leur rencontre avec Dion. Ainsi, le jury a pu se faire une idée du mode opératoire de ce prédateur. Des policiers ont ensuite déposé des pièces à conviction.
Les aveux que Dion avait fait devant le coroner n’ont pas été admis en preuve, mais en revanche on a permis à la Couronne de faire mention des autres cas de meurtre même si l’acte d’accusation concernait uniquement Pierre Marquis.
Pour la défense, Me Bertrand a plaidé l’aliénation mentale. Il a entre autres fait témoigner le Dr Camille Laurin. En gros, la défense a rejeté la faute sur la société, qu’elle accusait d’avoir fabriqué de toute pièce un monstre comme Léopold Dion. Pour ce faire, on est même remonté jusqu’en 1938, année où Dion et son frère avaient violé une institutrice.
Le 10 décembre, le juge Lacroix a fait expulser deux journalistes hors de la salle d’audiences, Paul Boilard du Le Soleil, et Edward Scallen du Chronicle Telegraph, parce que ceux-ci avaient publié des extraits du témoignage du Dr Laurin. Peu après, Me Bienvenue a présenté une contre-preuve avec le Dr Paul Larivière. Ce dernier a expliqué que, selon lui, Dion était intelligent et parfaitement conscient de ce qu’il faisait. Le Dr Louis-Charles Daoust viendra sensiblement dire la même chose.
Dion a été déclaré coupable. Se coiffant de son tricorne et enfilant ses gants noirs, le juge Lacroix a prononcé la sentence prévue au Code criminel pour un tel crime : la mort. C’est alors que Dion a lancé ces quelques mots désormais célèbres : « Avec ces mains, j’ai fait quatre petits saints. » Le tueur psychopathe a aussi blâmé la société avant d’être emporté par les gardiens, non sans que le juge lui fasse remarquer que ses quatre jeunes victimes n’avaient pas eu le temps de vivres elles non plus.
La sentence de Dion a été commuée en emprisonnement à vie, ce qui a soulevé une controverse nationale, au point de relancer le débat sur la peine de mort. Le premier ministre Jean Lesage et le ministre de la Justice Claude Wagner ont d’ailleurs dénoncé cette commutation de peine. Pourtant, depuis l’exécution d’Ernest Côté en 1960, on ne pendait plus au Québec.
Le 7 juin 1964, Léopold Dion a agressé le gouverneur de la prison de Québec avec un coupe-papier et a tenté de s’évader en se servant de lui comme bouclier. Deux policiers municipaux ont réussi à convaincre Dion de relâcher son otage avant de le tabasser violemment à coups de matraque et de crosse de revolver. Inconscient, le tueur a été contraint à une camisole de force avant d’être expédié au pénitencier Saint-Vincent-de-Paul. Il y sera mis à l’isolement durant 3 ans.
En 1966, on l’a transféré à l’aile psychiatrique du même pénitencier. En 1969, il a demandé sa libération dans le but d’être mieux soigné. Cinq experts se diront en faveur de sa requête afin de le transférer à Saint-Michel-Archange, à Québec. Toutefois, le service de sécurité de ce même établissement a rejeté l’idée car on craignait qu’il s’évade et recommence à tuer d’autres enfants.
Dion passera son temps à peindre et à écrire son autobiographie, sur les conseils de Me Bertrand, qui avait cru bon pour lui de coucher ses expériences sur papier. Son manuscrit intitulé L’avocat du diable, contrairement aux confessions de Marcel Bernier, ne sera jamais publié. Puis, le 17 novembre 1972, alors qu’il était détenu à l’Institut Archambault, il a sauvagement été assassiné à coups de barre de fer et de scalpel par le codétenu Normand Champagne, alias Lawrence d’Arabie.
Léopold Dion est aujourd’hui considéré comme ayant été le premier tueur en série à sévir sur le sol québécois.
Notes:
[1] La désignation de « tueur en série » n’existait pas encore en 1963, on parlait surtout de maniaque ou de monstre dans les médias. L’appellation de tueur en série (serial killer) est apparue vers la fin des années 1970 aux États-Unis, prenant son origine au sein même du département des Sciences du comportement au FBI. Dans les journaux québécois, il a fallu attendre en 1985 avant de voir un article francophone utilisé l’expression.
Documents:
Plaidoirie de Me Guy Bertrand (défense):
(12 décembre 1963)
Monsieur le président du Tribunal, messieurs les membres du jury, mon confrère, Me Bienvenue, avec votre permission je vais adresser mes premières parles au Président du Tribunal.
Monsieur le juge, c’est le portugais Olivera Salazar qui un jour disait : nous ne discutons pas l’autorité, elle est un droit, elle est une nécessité et bien plus elle est un fait, elle est un devoir.
J’ai appris au cours de ce procès, Votre Seigneurie, à aimer et à respecter l’autorité même si parfois les avocats entre eux doivent user de paroles qui peuvent sembler paraître un peu dures, c’est peut-être aussi dû à la nervosité qui, de jour en jour, peut gagner aussi ceux qui ont à défendre ou ceux qui ont à faire la preuve de la Couronne.
Votre Seigneurie, vous êtes, dans ce décor de sobriété, le symbole même de la justice, cette justice qui ne doit prendre en aucun temps parti pour l’accusé, ni prendre parti contre l’accusé, ni parti pour la Reine, ni prendre parti contre la Reine. Cette justice dont les paroles par votre bouche doivent toujours être impartiales, cette justice aussi qui vous impose la lourde tâche d’expliquer à messieurs les jurés tous les problèmes qui concernent le droit.
J’ai déjà eu – et je pense que vous allez me permettre cette digression – j’ai déjà eu un certain cauchemar avant cette cause et je puis dire aujourd’hui que ces journées où directement tous ensemble nous avons, messieurs les jurés, mes savants confrères et moi-même, celui qui défend l’accusé, nous avons tous participé directement à l’administration de la justice et au respect de la justice. Et je n’ai qu’à formuler un souhait, celui que tous mes confrères puissent ressentir les mêmes impressions que je ressens présentement, et quand je pense à mes confrères, je m’en voudrais, Votre Seigneurie, de ne pas mentionner le travail merveilleusement accompli par Me Bienvenue qui représente ici la Couronne.
Je pense qu’il aime sûrement son travail et parce qu’il est aussi doué pour les tribunaux, il le remplit à merveille. Pour les jeunes avocats, il est sûrement un exemple pour ceux qui aiment leur profession, et c’est seulement parce qu’il aime son travail qu’il pratique avec le sourire, c’est-à-dire qu’il semble heureux dans les fonctions qu’il exerce, même si parfois ce sont des fonctions qui sont difficiles et même si parfois il s’agit de causes qui engagent la vie d’un être humain.
Messieurs les jurés, quant à vous, vous étiez, avant le 25 novembre dernier, vous étiez chacun dans votre famille. Ceux qui sont mariés, avec votre et vos enfants, vous étiez heureux chez vous. Ceux qui ne sont pas mariés étaient aussi dans leur famille, lorsqu’un jour on vous assignait de venir devant la Cour du Banc de la Reine, juridiction criminelle, avec plusieurs autres pour être candidats susceptibles d’être choisis parmi les jurés qui auraient à décider du sort de Léopold Dion. Et, quand vous vous êtes déplacés, vous avez accepté, avec soumission, parce que vous croyiez d’abord en la justice, parce que vous avez réalisé que vous aviez un rôle à jouer puisqu’on faisait appel à vos services et c’était votre devoir de vous y rendre.
Je sais que, probablement vous n’avez probablement pas fait ça avec plaisir ou c’est-à-dire que vous avez peut-être tiré un peu de l’arrière, comme on dit, et c’est normal, pensant peut-être que parmi les centaines de personnes qui étaient là le 25 novembre dernier, vous ne seriez peut-être pas de ceux dont les noms seraient tirés au hasard, mais vous avez été choisis. Vous avez été douze élus, vous avez été les douze jurés qui aviez à entendre la preuve et à décider du sort de Léopold Dion.
Il n’est pas toujours facile, vous savez, pour nous de choisir des jurés. Nous voulons des hommes intelligents. Nous voulons des hommes impartiaux. Nous voulons des hommes discrets et surtout nous voulons des hommes clairvoyants, et des hommes avec un jugement de Salomon. Je pense que le Tribunal et mon confrère sommes tous d’accord pour dire que le sérieux qui vous a caractérisés durant ce procès, le sérieux que vous avez manifesté au cours de toutes ces délibérations et même lorsque, quand nous faisions des objections, au point de vue légal, nous devions malheureusement vous demander de vous retirer, vous l’avez toujours fait conscients de votre devoir. C’est la raison pour laquelle je suis fier de vous offrir toutes mes félicitations comme procureur de l’accusé.
Vous êtes les maîtres des faits, c’est-à-dire qu’avant de rendre votre décision, vous devrez peser le pour et le contre de tous les arguments, de tous les témoignages de ceux qui ont passé devant vous durant ce procès. Vous devez, chacun dans vos cerveaux, mesurer minutieusement les arguments de tous les témoins. Vous devez, à la lumière de votre intelligence, avant de rendre votre opinion à celui que vous choisirez comme votre président, vous former une opinion vous-mêmes afin que le jour où vous sortirez du palais de justice vous n’ayez pas à regretter d’avoir, dans un moment peut-être d’hésitation , et peut-être aussi dans un mouvement trop hâtif, donné une décision qui ne mesurerait pas toujours l’importance de cette affaire. Je veux que dans chacun de vos cerveaux vous scrutiez attentivement tous les faits, tous les témoignages de ceux qui ont passé ou pour la Couronne, ou pour la Défense.
Ici, vous êtes les seuls maîtres des faits. Vous n’êtes pas obligés de tenir compte d’une opinion ni du savant juge de ce tribunal, ni de mon confrère, ni de la mienne. Mais, c’est notre devoir de vous soumettre nos opinions, c’est notre devoir de vous exposer ce que nous pensons, et ensuite il vous revient de décider, en ce qui a trait aux faits, si oui ou non l’accusé est coupable.
Quant à ce qui concerne le Droit, les directives vous seront données par le savant président du tribunal.
Léopold Dion, qui est ici à la barre, est accusé d’avoir :
Le ou vers le 26 mai 1963, dans le comté de Portneuf, district de Québec, illégalement projeté d’assassiner et a, de propos délibéré, assassiné Pierre Marquis, âgé de 13 ans, commettant ainsi un meurtre qualifié, tel qu’édicté par les articles 201 et 202 du Code criminel.
Messieurs, votre rôle est le plus important de tous ceux qui sont ici aujourd’hui. C’est sur vous, c’est sur vos épaules que repose le sort d’un être humain. Votre rôle est plus important que celui qui vous parle. Votre rôle est le plus important de tous ceux qui sont ici aujourd’hui. Vous êtes les maîtres absolus de la situation et c’est pour cela, encore une fois, que je vous dis, même si vous ne devez pas tenir compte de ce que nous vous disons de nos opinions, vous ne devez jamais oublier ce que vous avez entendu devant ce tribunal.
La Couronne, représentée par mon confrère, avait le fardeau de la preuve et devait vous exposer, ou essayer de relier de près ou de loin Léopold Dion au meurtre du jeune Pierre Marquis.
On a entendu de nombreux témoins qui sont venus nous dire qu’ils avaient trouvé le cadavre du jeune Pierre Marquis, qu’ils avaient trouvé les objets lui appartenant, et l’on a aussi fait ce qu’on appelle une preuve de faits similaires, c’est-à-dire qu’on a montré que dans les mêmes circonstances, dans les mêmes lieux, dans les mêmes environnements de Pont Rouge on a aussi découvert trois autres petits cadavres qui devaient se révéler être le jeune Luckeniuck, Morel, et le jeune Carrier.
Messieurs, une fois que la Couronne a terminé sa preuve, je vous ai moi-même, durant quelques minutes, adressé ce qu’on appelle un exposé des faits où je vous disais à peu près ceci : que nous n’allions pas montrer que Dion n’avait pas commis le meurtre de Pierre Marquis, mais que nous allions vous montrer que si Dion, au moment où il a commis ces meurtres, était dans un état où son cerveau ne pouvait pas fonctionner normalement, il ne pouvait pas être trouvé coupable, et je vous expliquerait tout à l’heure, quelles sont, sans entrer dans le domaine du Droit, quelles sont les sentences qui sont susceptibles d’être rendues par vous.
Mais après cette preuve de la Couronne, allait commencer pour vous ce que nous appelons la Défense, où vous avez entendu des témoins, et entre autres un psychiatre qui est venu vous montrer ou essayer de témoigner pour vous prouver que Léopold Dion était un être, un malade, mental, peut-être un de ceux le plus gravement malade qu’il ait jamais vu dans sa vie et qu’ils auraient dû interner depuis déjà longtemps.
Vous allez me dire que nous admettons les faits; c’est évident, je ne suis pas ici pour contester si Léopold Dion n’a pas tué le jeune Marquis, mais je suis ici pour vous rappeler, et c’est mon devoir, comme vous le feriez si vous étiez à ma place pour un instant et que j’allais prendre votre place sur l’une de ces chaises, pour vous rappeler que dans un pays civilisé, le principe universellement reconnu est qu’aucune personne au monde ne doit être trouvée coupable de meurtre si son cerveau n’était pas en état de distinguer le bien et le mal, si son cerveau n’était pas en état de lui dicter la connaissance entre le bien et le mal, et aussi de lui dicter que l’acte qu’il posait était mauvais, et aussi si son cerveau ne pouvait pas juger la nature et la qualité de ses actes. C’est pour ça que je suis ici devant vous.
Ce principe qui est universellement reconnu, non pas comme principe au Canada, mais il est reconnu aussi dans notre Code criminel comme moyen de défense pour un accusé, accusé de meurtre ou d’autre crime, que s’il n’était pas au moment du crime sain d’esprit, il ne peut pas être trouvé coupable, et ça, c’est un moyen de défense qui existe à l’article 16 du Code criminel que je vous ai déjà lu et que je ne veux pas répéter parce que vous êtes au courant de l’article 16 qui se résume à peu près comme suit : une personne qui n’est pas saine d’esprit, c’est-à-dire qui ne peut pas juger la nature et la qualité de ses actes, qui ne peut pas savoir que ses actes sont mauvais, ne doit pas être trouvée coupable, c’est-à-dire qui, évidemment, n’est pas saine d’esprit.
Messieurs les jurés, je vous disais tout à l’heure que je ne suis pas devant vous pour vous convaincre que Dion n’a pas tué Pierre Marquis, mais je suis ici pour m’interroger avec vous en examinant les témoignages de ceux qui ont passé devant vous, afin de savoir si justement le cerveau de Dion pouvait fonctionner comme un être normal.
Je vous ai dit aussi au cours de mon exposé que je ne vous cacherais rien, et j’ai tenté de ne rien vous cacher, j’ai voulu vous montrer tout le passé de cet homme afin que vous puissiez le juger par vous-mêmes, même si vous faites abstraction de tous les témoignages des psychiatres qui sont passés devant vous, même si vous faites abstraction de tous les témoignages de ces experts qui sont venus devant vous, et nous y reviendrons tout à l’heure au sujet de ces témoignages, c’est pour ça que j’ai voulu, je vous ai fait confiance, j’ai voulu vous montrer tout le passé de cet homme, j’ai voulu vous montrer toutes les infractions et les crimes sexuels qu’il a commis et qui lui ont fait passer la majorité de sa vie derrière les barreaux.
J’ai voulu faire ça afin que vous puissiez juger vous-mêmes, parce que la décision, c’est vous qui la rendrez. Il ne faudrait pas croire que celui qui vous parle, alors qu’il est convaincu comme tout le monde que Léopold Dion a réellement assassiné Pierre Marquis, n’allez pas croire que mon rôle n’est pas difficile, parce que moi aussi j’ai entendu la preuve de la Couronne, parce que moi aussi, comme vous, j’ai vu des photographies nous montrant des enfants sortant de terre, nous montrant des petits cadavres à moitié décomposés, nous montrant des enfants les yeux pleins d’horreur, la bouche ouverte comme s’ils criaient encore à celui qui voulait les assassiner et lui demandant de leur épargner la vie.
Moi aussi j’ai tremblé devant la monstruosité de ces crimes. Moi aussi j’ai tremblé, même avant d’accepter la défense de Léopold Dion, devant l’horreur de ces crimes. Moi aussi j’ai eu envie de pleurer et j’ai envie de pleurer aussi quand je pense aux parents de ces malheureuses victimes.
S’ils sont présents ici aujourd’hui, vous me permettrez, messieurs les membres du jury, de joindre à mon plaidoyer la sympathie que j’ai pour eux, et qu’il me soit permis aussi, si cela peut les consoler, de leur dire qu’ils sont les parents de quatre petits saints qui sont morts martyres … quatre petits saints qui sont morts martyres, pour employer des termes des experts, d’un être anormal, et d’un autre expert qui est allé plus loin, un monstre sexuel, un être malade.
Oui, ce sont les martyres d’un malade mental qui n’a jamais été traité, ce sont les martyres d’un malade mental qu’on a mis en liberté à deux reprises, ils sont les martyres d’un être humain, et c’est pour ça que j’ai voulu vous montrer sa vie. Un être humain qui n’a jamais été traité comme un être humain; il a été parfois été traité comme un déchet de la société. Encore une fois, il est assez difficile pour moi d’évoquer ces souvenirs de ces victimes, mais à partir de maintenant, je dois faire ce que nous appelons le saut pour oublier ces victimes et pense à celui qui en est responsable, c’est-à-dire à celui qui a assassiné, tué et étranglé Pierre Marquis ou les autres.
Cet être humain, ce malade dont je viens de parler, cet être anormal dont les psychiatres ont parlé, n’a pas toujours été comme ça, parce que lui aussi un jour il a connu, comme nous, la vie, il est venu au monde d’un père et d’une mère comme nous, et il a reçu un père qu’il aurait voulu aimer et qui aurait voulu être aimé. Il a aussi reçu une intelligence, et à cela devant s’accompagner une volonté, et à cela aussi s’accompagnaient des instincts. Comme nous aussi il a reçu un corps, et tout cela devait en faire une personne humaine, une personne humaine qui, je puis vous en parler en toute liberté parce que vous connaissez Léopold Dion maintenant, une personne humaine qui, si elle avait vécu dans des circonstances beaucoup moins anormales, c’est-à-dire dans des circonstances humaines, des circonstances normales, serait devenue un être très utile à la société à cause justement de son intelligence supérieure. C’est parce qu’il n’a pas vécu dans des circonstances normales, c’est parce qu’il a toujours vécu dans des circonstances anormales que son cerveau a pu justement cesser de fonctionner normalement.
Je vous disais que Dion a, comme tout le monde, un jour connu la vie, c’est-à-dire qu’il est venu au monde comme tout le monde. Son père, un ivrogne; sa mère qu’il n’a pas connue très bien d’ailleurs, mais dont il a gardé un assez bon souvenir, la preuve nous l’a démontrée, est morte à l’Hôpital Saint-Michel Archange. Ses parents, alors qu’il était tout jeune, vivaient séparés, et le jeune Dion, lui, avec son frère, étaient souvent seuls à la maison. Il n’avait pas comme nous connu – il peut y avoir des exceptions – le sort qui est réservé en général aux jeunes.
Nous nous rapportons à Léopold Dion, à l’âge de 5 ou 6 ans, vous vous souvenez des témoignages de son frère et du médecin qui ont rapporté la vie de Dion lui-même alors qu’il était tout petit, alors qu’il revenait de l’école, il devait se servir lui-même, sa mère n’étant pas là, qui n’avait pas de repas chauds, qui n’avait pas l’amour de ses parents comme il aurait désiré avoir, et encore tout jeune, entre l’âge de 6 à 10 ans, il passait une partie de son enfance dans les hôpitaux, ce n’est pas pour rien qu’on l’a placé dans les hôpitaux, et ce n’est pas pour rien non plus qu’on l’a placé à l’Hôpital Laval durant un an et demi, l’Hôpital Laval pour les maladies tuberculeuses, les malades des poumons, et l’on sait que les tuberculeux, chez les jeunes, ce sont des malades qui sont assoiffés d’amour, et au moment où il avait le plus besoin d’amour, cet être humain à ce moment-là, et cela a pu rester dans son subconscient, il n’avait pas cet amour que les parents doivent donner à leurs enfants, et il sentait qu’il était seul et qu’il devait endurer sa maladie.
Et, c’est ainsi que se commença, que se prépara la vie de Dion qui allait se terminer par des monstruosités.
Entre 5 et 10 ans, Dion vit chez eux, seul, et quand il n’est pas chez eux, il est dans les hôpitaux. Quand il sort de l’hôpital, il supplie sa mère, qui est partie, de le garder avec elle, mais parce que sa mère ne vit pas avec son père, elle ne peut le garder avec elle. C’est alors qu’elle décide de placer le jeune Dion à l’Orphelinat d’Youville. Et là, il reste durant un certain temps, il ne s’y plaît pas trop, il se plaint de la nourriture, il veut retourner chez lui avec sa mère, mais sa mère lui dit qu’il n’y a pas de place. Elle-même, sa mère, demeurait avec sa vieille mère qui était malade, et il n’y avait pas de place pour Léopold Dion, là. Léopold Dion est rendu à 12 ans, 13 ans, et le jour où il apprend qu’il sort de l’Orphelinat d’Youville, il en est tout heureux parce que là il se dit : « enfin, je serai avec mes parents qui pourront au moins me dicter quelque chose à faire, qui pourront au moins me tracer une ligne de conduite, qui puisse répondre à mes désirs de jeune ».
Léopold Dion devait être très vite déçu parce qu’ensuite on le placera immédiatement à Dom Bosco, parce qu’il n’y avait pas de place avec sa mère et que celle-ci ne voulait pas qu’il aille avec son père. Et là, à Dom Bosco, il se plaisait un peu plus. Il était avec des jeunes hommes, des jeunes gens, des petits garçons de son âge, et c’est là que devait, dans sa vie, se dérouler ce qu’un témoin a appelé sa première grande catastrophe qui allait le marquer, peut-être pas d’une façon définitive, parce que nous verrons que si justement, une fois que l’arbre a poussé croche, si on voulait le redresser un peu à ce moment-là, peut-être aurait-il cessé de pousser croche, peut-être se serait-il redressé. Mais non. Dion, on ne s’est jamais soucié de le redresser.
Cette première catastrophe à Don Bosco, vous l’avez entendue, je ne veux pas la répéter, mais Dion avait mis sa confiance, sa confiance de jeune homme en un éducateur, professeur, et un jour il fut déçu. On abusa de sa confiance. On se servit de lui pour avoir des jouissances sexuelles, et à ce moment-là Dion, qui avait déjà connu dans son passé, comme tout le monde peut-être, des petits attouchements avec des voisins et des voisines, Dion à ce moment-là est torturé un peu. Il ne sait pas trop quoi faire des promesses, des cadeaux, il répond au désir de l’éducateur et ceci devait se continuer durant un certain temps, à Dom Bosco, jusqu’au jour où on les surprit, l’éducateur et lui, et on l’a mis à la porte, et quand on l’a mis à la porte, il fallait sauver le scandale, il fallait éviter le scandale. … Je n’ai pas de reproches à faire à personne, il fallait punir Dion. Je ne suis pas contre les punitions, mais si à ce moment-là on avait pensé à dire à Léopold, âgé de 14 ans, tu t’orientes vers une mauvaise voie, Léopold Dion, toit qui a 14 ans, tu viens de faire des choses, on t’a montré des choses, on a semé un germe, un mauvais germe, sur un terrain qui était mal préparé déjà, un germe qui allait prendre vite et qui allait se développer, faire de lui un monstre, parce que Dion, à cet âge-à, pour lui ce germe, cette première catastrophe, ce n’était que les connaissances dans une vie qui avait mal débuté, une vie qui l’avait préparé en quelque sorte à recevoir d’une manière un peu plus facilement ce mauvais germe, et un peu comme une tuberculose, un peu comme un cancer non guéri, cela allait devenir fatal pour lui.
Ensuite, Dion, sans instruction, toujours ayant dans son esprit la punition de ce qu’il venait de faire, sans directives, vous voyez toujours cet arbre qui continue à pousser croche et personne pour le redresser, qu’est-ce qu’il fait?
Vous pensez qu’il alla chez lui? Non. Vous avez entendu les témoignages. Il alla dans une autre institution qu’on appelle le Collège Agricole du Lac Sergent, parce que, encore une fois, il n’y avait pas de place chez lui pour Léopold Dion. Là, au collège, à l’école du Lac Sergent, la même chose devait se répéter. Léopold Dion devait être mis à la porte de l’institution parce qu’on l’avait surpris en train de se baigner nu. Vous pensez qu’on allait lui donner des directives? Vous pensez qu’on aurait essayé là encore de redresser l’arbre qui poussait croche? Non. Il fallait encore punir, toujours punir, comme si la société pouvait être satisfaite seulement de punitions.
Et déjà là, Dion pensait, dans son cerveau de jeune de 15 ou 16 ans, cet accablement de quelqu’un qui fait quelque chose de pas correct et qui ne semble pas savoir pourquoi. Après le Collège Agricole, Dion retourne chez lui quelque temps avec son père. Son père, qui cette fois était déménagé à Pont-Rouge, vous vous souvenez, n’est-ce pas, il avait acheté une petite maison, une petite terre après être sorti de l’Armée. Dion alla travailler un peu chez son père et peu de temps après, ce qu’il avait appris à Dom Bosco, il devait essayer de le mettre en pratique pour d’autres.
Vous voyez toujours l’arbre qui a commencé à pousser croche, qui commence déjà à répandre ses branches sur d’autres.
Léopold Dion, à l’âge de 17 ans, devait comparaître pour la première fois devant les tribunaux pour actes de grossière indécence. On lui expliqua qu’il serait mieux de plaider coupable. Il fut sentencié et nous avons produit le dossier à l’appui de cette accusation, il fut sentencié à quatre mois de prison. Encore là, on ne se préoccupa pas de savoir si le cerveau de Dion pouvait être mal orienté, même si à ce moment-là il pouvait ne pas être malade, il fallait le punir. Encore quatre mis pour ce jeune de 17 ans, dans une prison, et vous savez ce qui s’est passé. Je ne veux pas reprendre ici tout ce qui s’est passé, mais cela devait le marquer. C’était la deuxième grande catastrophe qui allait devenir encore plus fatale que la première chez lui, et nous verrons par la suite qu’il a passé la plus grande partie de sa vie derrière les barreaux.
Léopold Dion à ce moment-là avait 17 ans, il ne connaissait pas encore tous les trucs de l’homosexualité. Il ne les connaissait pas encore tous ces actes néfastes d’homosexualité, et même si ce n’est pas une maladie mentale grave, c’est tout de même décrit dans les manuels psychiatriques comme une maladie, dont les psychiatres sont d’accord, même si c’est bénin au début, que cela peut-être guéri.
Léopold Dion, en prison durant quatre mois, on se l’échangea, on se le vendit, on lui expliqua la théorie de l’écrasement, la théorie des esclaves, on lui expliqua la théorie de la soumission, on lui apprit les actes de sodomie, pénétration par l’anus, entre deux êtres humaines du même sexe. Telle allait être la deuxième grande catastrophe de la vie de Dion. Alors qu’on aurait pu à ce moment-là, si nos systèmes pénitentiaires avaient été organisés en conséquence, même si l’homosexualité est punissable en vertu du Code criminel, elle est aussi une maladie qui peut devenir de plus en plus grave comme n’importe quelle autre maladie si on ne la traite pas, mais parce que c’était un crime, on a toujours voulu punir le crime, on a jamais voulu soigner la maladie. Alors que d’une pierre on aurait pu faire deux coups, on aurait pu en guérissant la maladie éviter des crimes. Mais non, on ne s’est jamais forcé de guérir la maladie. La société pouvait être fière, pouvait être satisfaite, on punissait le crime, on ne s’inquiétait pas du malade ou de sa maladie.
Qu’est-ce que Dion a fait quand il est sorti de prison? Vous pensez qu’il allait se redresser seul? Vous pensez que cet arbre qui a commencé à pousser croche et qui est rendu à une certaine hauteur, peut se redresser seul quand il n’y a personne pour tirer dessus, pour lui dire qu’il est croche, quand il n’y a personne pour lui dire qu’il est dans la mauvaise voie? Vous pensez que ça peut se faire seul? Non. Ça peut pas se faire seul. Ça ne pouvait pas se faire non plus seul, chez Dion. Probablement que cela aurait pu se faire s’il avait été placé dans des circonstances autres.
Alors, Dion aurait pu peut-être lutter, aurait pu être conseillé pour se défaire de ses mauvais penchants, peut-être même de ce vice. Peut-être même était-il vicieux, me direz-vous, oui, mais quand on est jeune, quand on a personne pour nous diriger, nous surveiller, quand on n’a jamais personne pour nous indiquer la ligne droite, est-ce qu’on peut savoir ce qui est vice ou ce qui n’est pas vice, quand on voit dans sa voie que les choses qui sont anormales et qui nous paraissent normales, on finit par croire qu’elles sont normales.
Dion était rendu à 17 ans, il avait fait quatre mois de prison, et déjà c’était seulement ça qu’il avait vu. Ce qu’il avait ressenti pour ces choses-là, ce n’était que des punitions; jamais personne ne lui a dit quoi faire; jamais personne ne lui a dit que c’était mal et c’est là, après être sorti de cette prison, où il savait tout, ou à peu près tout sur l’homosexualité, ou appelez ça comme vous voudrez, les actes anormaux entre animaux ou êtres humaines du même sexe, Dion retourna chez son père mais pas pour y rester longtemps. Il alla travailler chez des cultivateurs et là Dion continuait toujours dans la même voie, mettant en pratique ce qu’il avait appris de d’autres, et à suppléer même à ce qu’il n’avait pas appris de d’autres.
Vous avez entendu les témoignages qui vous ont été racontés qu’il avait même appris l’acte de bestialité avec les animaux et Dion, il est rendu à 19 ans.
C’est durant la deuxième guerre mondiale, en 1939, qu’il s’enrôle dans l’armée où il ne devait pas rester longtemps. Il eut un procès retentissant pour tentative de meurtre, il fut acquitté et fut mis hors de l’armée.
Encore une fois, et je veux que vous reteniez ceci, encore une fois Dion sentait sur ses épaules ou dans son cerveau, qui commençait déjà à être un cerveau de personne anormale, le cerveau d’une personne qui ne fonctionne pas normalement, puisqu’il pensait seulement à ça, et encore là il sentait la punition. Il avait fait quelque chose de mal puisqu’on le mettait dehors de l’armée. On l’avait toujours puni depuis le début. L’arbre continuait toujours à pousser croche et Dion, à 19 ans, mis dehors de l’arme, qu’est-ce qu’il fait après ça?
Il continue toujours dans la même veine, il est encore tiraillé par un complexe, parce que Dion à ce moment-là se demande s’il n’est pas rendu au stage où il ne pourra plus combattre ses instincts homosexuels et c’est là qu’il commence à rechercher les femmes et les petites filles, qu’il commence à vouloir s’amuser avec des personnes du sexe opposé, justement pour combattre son complexe et c’est tellement vrai qu’il n’a pas été capable d’avoir des relations sexuelles avec des jeunes filles de la façon la plus normale, sans employer des instruments violents ou des couteaux ou des carabines.
À l’âge de 20 ans, et vous l’avez entendu raconter par son frère qui a témoigné d’une façon courageuse, courageuse je le souligne, qui devait se commémorer un souvenir, peut-être le souvenir le plus désagréable ou le plus malheureux de sa vie, mais son frère est venu ici témoigner avec franchise pour nous montrer comment Dion, Léopold, avait attenté à la pudeur, avait commis un viol avec cette jeune fille. Son frère est venu courageusement témoigner ici. Heureusement pour lui, une fois qu’il est sorti, qu’il a purgé sa sentence, il est revenu, ici, dans la société, et aujourd’hui, vous allez me permettre cette digression, il est réhabilité, il a une famille, il a des enfants, il est heureux, mais son frère, ça ne devait pas se terminer si bien parce qu’il allait être sentencié à la vie, il avait commis un viol, et devait être interné au pénitencier à vie, avec en plus 10 coups de fouet.
Encore une fois, si on a envoyé Dion au pénitencier, ce n’est pas parce qu’il avait fait quelque chose de normal, ce n’était pas parce qu’il avait fait quelque chose de bien, c’est parce qu’il avait commis un acte anti-social que les psychiatres et les experts ont tenté de vous expliquer. Encore une fois, il a été puni et cette fois ça devait être fatal, le pénitencier à vie.
Léopold Dion a fait 20 ans à ce moment-là. En 1940, Dion est envoyé à St-Vincent-de-Paul où il crèvera, où il crèvera là pour le restant de sa vie. Vous pensez que là notre arbre qui a toujours poussé croche allait se redresser dans cette institution?
Ç’a été défini par certains témoins, et on sait que les pénitenciers ne sont pas des maisons pour les gens vertueux, mais ce ne sont pas non plus des maisons pour des gens malades. À ce moment-là on ne fait aucune distinction, aucune sélection entre les gens malades et ceux qui ne l’étaient pas. Entre les homosexuels, entre les gens non réhabilités et les criminels d’habitude, tout le monde dans la même poche, on les met tous ensemble, et là, faites ce que vous voudrez. C’est là que nous avons entendu quand les témoins nous racontent ici la vie des pénitenciers, où il a vécu jusqu’à l’âge de sa première libération à laquelle nous reviendrons.
Non. L’arbre n’allait pas se redresser au pénitencier. L’arbre allait continuer à pousser croche parce que personne n’allait aller lui dire qu’il avait mal fait. On allait le punir justement, et c’est pour ça qu’il était derrière les barreaux, parce qu’il avait toujours commis des actes anti-sociaux et des actes anormaux, mais justement l’arbre qui a toujours poussé croche va continuer à pousser croche, et là il continue à rechercher de plus en plus pour ses satisfactions sexuelles des personnes de sexe, parce que dans les pénitenciers pour hommes, il n’y a pas de femmes, il allait se satisfaire à son gré, il allait aussi ressentir, ce qui est dur pour un homme de 20 ans, mais c’est un homme dont la vie avait déjà commencé à être une vie très anormale, et c’est pour ça que j’ai voulu vous la montrer encore une fois sa vie.
Et, déjà au pénitencier, Dion qui n’avait jamais goûté le bonheur en dehors du pénitencier, pouvait peut-être s’imaginer que là, une fois interné pour la vie, peut-être pourrait-il goûter à quelques moments de bonheur, mais non. On le fuyait même comme la peste. Il ne peut même pas se faire d’amis dans les pénitenciers, et vous avez entendu le Dr Laurin nous dire, nous raconter évidemment ce que Dion lui a dit à Kingston, je me permets de vous demander de m’excuser si j’anticipe, il a dû même s’allier à deux personnes de couleur, avec la peau différente, parce qu’il n’était pas capable de trouver même des amis, mais des gens qui étaient en prison comme lui, des criminels, des gens qui n’étaient pas malades, des gens non réhabilitables. Dion ne pouvait pas se faire d’amis, il n’avait de compagnie, il était toujours seul et déjà il sentait dans son cerveau que si pour un être normal la vie humaine consiste parfois à choisir, à diversifier ses idées, à s’occuper de la religion, à l’occuper des activités sociales, et à s’occuper de sa famille quand on est marié, et même si on ne l’est pas, à s’occuper de ses amis, à s’occuper de rendre un service, d’aider la société, si on n’avait jamais eu de ces problèmes-là.
Son cerveau avait déjà commencée à pivoter autour d’une seule chose, la sexualité.
Il est un principe humain, un principe humain qui veut, messieurs, ce n’est pas de la philosophie, que toute personne sur cette terre recherche le bonheur, tout le monde veut le bonheur, tout le monde veut être heureux. Il y en a qui le trouve dans l’argent, d’autres qui le trouvent dans des trésors de toutes sortes, d’autres qui le retrouvent dans la recherche de l’honneur, il en est d’autres qui le retrouvent au sein de leur foyer, il y en a beaucoup qui le trouvent, et je suis convaincu que vous êtes de ceux-là pour la majorité, qui le trouvent dans le bonheur familial avec une femme et des enfants, des enfants que vous aimez, des enfants qu’on ne peut faire autrement qu’aimer. Et des enfants aussi qui veulent être aimés de leurs parents. Des enfants, quand je vous dis que vous avez aimés, je pense aussi aux parents de ces petites victimes.
Dion, lui aussi, voulait rechercher le bonheur, mais pour lui le bonheur ce n’était pas ce qui existait pour les autres, pour lui le bonheur ce n’était pas la diversité dans le travail ou dans les amusements. Pour lui, le bonheur, il n’y avait que ça, que son corps humain parce qu’il n’était pas capable d’avoir d’amis au pénitencier.
Sur quoi voulez-vous qu’il se retourne?
Il voyait dans son cerveau une seule chose, la société qui, évidemment, lui procurait certaines jouissances comme à tout le monde même si c’était obtenu d’une façon anormale, comment voulez-vous que lui, comme les animaux, eux aussi, recherchent un certain confort. Mais Dion allait chercher une espèce de bonheur, pour lui, Dion, dans son cerveau, son bonheur consistait essentiellement dans des jouissances sexuelles. Il essayait de se faire transférer pour essayer justement de trouver des jeunes ou même certains qui voudraient se plier à ses supplications sexuelles, partout au pénitencier, il ne vivait que pour ça. Et lui, comme il n’avait pas eu de vie normale, lui c’était normal de rechercher des victimes, des proies sexuelles même au pénitencier. Même au pénitencier, il ne devait pas en trouver d’un certain âge. Petit à petit, il s’intéressait aux jeunes, il les recherchait toujours dans le but de se procurer ce qui, dans son monde à lui, était son bonheur jusqu’au jour où, en 1956, au mois de décembre, ils ont décidé … le 18 décembre, de libérer Léopold Dion.
Pour le libérer, il fallait préparer un rapport. Là, un psychiatre l’a vu, c’était la loi de la libération conditionnelle qui était ici ordonnée, il fallait préparer un rapport, et en 1956, le 18 décembre, Léopold Dion, qui n’avait jamais appris à se servir de son intelligence, Léopold Dion qui, à ce moment-là, était sans famille, Léopold Dion qui était sans argent était relâché du pénitencier et avec quelles précautions? Je laisse à votre discrétion et à votre intelligence d’y réfléchir.
Vous connaissez le passé de Dion. Il aurait été facile aussi, comme il l’est encore à tous ceux qui veulent le connaître, il était facile au docteur qui a pu y avoir accès en 1956 comme il a été possible d’y avoir accès aujourd’hui, il était possible au pénitencier, il était facile de connaître Dion, nous avons connu la vie de Dion, et le docteur aussi qui a connu la vie de Dion est venu vous la raconter avec la plus grande franchise et je veux vous la raconter au meilleur de ma connaissance, sans entrer dans les petits détails, c’était facile de s’apercevoir que c’était pas une vie normale, la vie normale de quelqu’un qui ne vit pas dans des circonstances normales, on ne peut pas faire dans une vie anormale ce qu’un autre peut faire dans une vie normale. On ne peut pas attendre 46 ans pour redresser cet arbre, mais il faut s’y prendre dès la jeunesse pour redresser cet arbre, même de force, et si c’est un être humain, on se transporte sur le plan du cerveau, sur le plan du cerveau de Léopold Dion, et si on l’avait fait on aurait appris beaucoup de choses. C’aurait pris beaucoup de choses pour le redresser et même le guérir.
Le Dr Laurin dit qu’il était déjà un grand malade et qu’on aurait dû l’interner dans une institution psychiatrique, une institution pour les aliénés mentaux et non dans un pénitencier parce que sa maladie allait le conduire où il n’aurait jamais dû être conduit. Mais non, on ne s’en est jamais préoccupé de le guérir, de guérir sa maladie, et on dira à ce moment-là que sa maladie était bénigne comme la tuberculose à son début, comme la tuberculose est une maladie qui est bénigne à son début, mais pour lui c’est devenu fatal.
C’est ça la vie de Dion. On est rendu en 1956. Quelles sont les choses normales que fait Dion? Quelles sont les bonnes choses que fait Dion? J’aurais aimé l’entendre dire devant le tribunal. Si Dion avait pu se tracer des directives personnelles, mais où avez-vous entendu ces choses? Nous ne les avons pas entendues, mais quand même quelques directives a-t-on données? À ma connaissance, aucune.
Dion est libéré du pénitencier le 18 décembre 1956. Qu’est-ce qu’il fait de sa liberté? Depuis 16 ans qu’il est entre les barreaux, où il était allé antérieurement et il était toujours puni chaque fois. Il est allé dans des institutions où il n’était pas en liberté mais sous garde, et là, qu’allait-il faire de sa liberté?
Vous l’avez deviné, vous l’avez compris, vous l’avez entendu, vous l’avez dans son dossier judiciaire. Le 18 décembre 1956, il est libéré et un mois plus tard, le 30 janvier 1957, il est de nouveau remis entre les mains de la justice. Un mois plus tard, lui qui avait vécu 16 ans de temps derrière les barreaux, comment se fait-il qu’il allait recommencer un mois plus tard, qu’il ait été pris un mois plus tard pour retourner où il était avant? Je n’en sais rien, mais ce que je sais c’est que, pris un mois plus tard, il est condamné à douze mois. Cette fois-là, je m’en souviens parce ce que justement un membre du jury a posé une question au savant président du tribunal : « comment se fait-il que Dion devait retourner au pénitencier pour le reste de sa vie? ». C’est qu’il avait été condamné à vie pour un cas de viol, il a reçu sa sentence, et il a été condamné à vie. On l’a remis en liberté, et c’était normalement en vertu de la loi, quand une personne est en liberté et revient devant le tribunal sur une infraction mentionnée au Code criminel, elle perd en même temps la jouissance de sa liberté et doit revenir purger la sentence antérieure qui était la sentence à vie de Léopold Dion.
À tout événement, on lui a donné une chance. Est-ce que vous blâmez ceux qui lui ont donné cette chance? Nous ne sommes pas ici pour faire le procès de personne, dont ceux-là, mais nous sommes ici pour nous interroger avec notre conscience d’homme.
Léopold Dion, un mois plus tard, arrêté de nouveau est sentencé à douze mois derrière les barreaux, alors ce qui veut dire pour lui, pour la vie. Ce qu’il y a dans son cerveau, Dion n’a jamais connu autre chose que la sexualité dans sa vie. Il est remis en liberté et un mois plus tard il est repris pour les mêmes choses et va encore derrière les barreaux. Cette fois-ci, ce n’était pas pour viol, mais pour fraude. On le met derrière les barreaux. Il n’a pas eu autre chose, il a toujours eu des crimes sexuels, et à ce moment, c’était suffisant. C’eux qui avaient à le garder n’avaient pas de domicile et c’était alors un homme normal, mais c’était pas si clair que ça que Dion était normal. On a entendu le Dr Laurin qui est reconnu sur le plan mental, qui participe à des revues qui sont publiées internationalement, qui est directeur et président du Conseil composé de ceux qui font passer les examens psychiatriques, et lui vient vous dire que d’après sa conviction Dion était malade depuis longtemps, et gravement malade, et qu’on aurait dû l’interner.
Dites-vous maintenant que c’était pas si pire que ça? Comment n’a-t-on pas pensé de l’interroger, de le mettre dans une institution spéciale et de le traiter?
Mais non! On l’envoie derrière les barreaux avec d’autres criminels, avec des gens qui sont non réhabilitables, et, fais ce que tu voudras. C’est là que devait retourner Dion, où se faisait le mal, et qu’est-ce qu’il a fait? … Il a continué, évidemment, parce que l’arbre en poussant toujours croche, personne n’a essayé de le redresser, et c’était devenu plus difficile de le redresser parce qu’il était plus gros, mais quand même, on n’a pas essayé. L’arbre qui pousse croche, pousse toujours croche, mais qu’est-ce que vous voulez qu’il fasse s’il n’a jamais connu autre chose? Dion continue de rechercher le mal encore au pénitencier et, naturellement, il devait le répéter. Il n’a pas connu autre chose. Il a été pendant 16 ans au pénitencier, au pénitencier de St-Vincent-de-Paul, et une fois à Kingston, qui est dans la province d’Ontario. À Kingston, vous pensez que ç’allait être mieux? C’allait être pire. Pour un déplacement qui pouvait aider quelqu’un qui n’était pas normal, c’allait être pire. Vous avez entendu les témoignages où on a dit qu’à Kingston où il était, il n’y avait plus de restrictions entre les hommes. Évidemment, ç’a été répété pour Dion, cela a aiguisé l’appétit de Dion, il y avait des jeunes qui se promenaient le torse nu, ce qui aiguisait encore les appétits de Dion. Il voyait ça à Kingston, et c’est l’endroit où il commence à avoir de ces fantasmes, de ces imageries, de ces rêves où il voyait des êtres humaines, où il se voyait à avoir des jouissances sexuelles solitaires, il fermait les yeux et il rêvait qu’il buvait du sang, mangeait de la chair humaine, et ça c’a été dit par les psychiatres même de la Couronne qu’il avait des fantasmes. Comment se fait-il qu’on ne s’en soit pas aperçu?
Et, pour nous aider à connaître la vie de Dion, ce n’est pas seulement ce que Dion a raconté aux psychiatres, pour connaître la vie de Dion, ce n’est pas seulement ce que Dion a raconté aux docteurs, nous avons produit les dossiers judiciaires qui sont là comme preuve corroborative pour montrer que toute la vie de Dion a tourné autour d’une seule chose, l’homosexualité qui devait se terminer par des meurtres.
À Kingston, évidemment, Dion avait plus de liberté pour ces jouissances, pour l’aider justement, et il se sert de certaines personnes, il rencontre un grand jeune, puis de très jeunes, et il a même des relations sexuelles avec ce jeune homme. Est-ce qu’on aurait pas pu éviter cela? Est-ce qu’on aurait pas pu le suivre? Pensez-vous qu’on aimait les relations sexuelles avec les autres détenus, même avec des jeunes? Vous pensez qu’on ne s’est pas aperçu de cela? Si on ne s’est pas aperçu de cela, on était plus responsable que je le croyais, et si on s’en apercevait, c’était à ceux qui en avaient charge de se poser la question et de les confier à un psychiatre ou à des psychiatres qui eux peuvent traiter ces maladies-là avant qu’elles ne deviennent trop fatales. À tout événement, on ne s’est certainement pas soucié de ça. On ne s’est certainement pas soucié de ça.
En 1962, nous savons que Dion est allé à Joyceville avec d’autres libérés, c’est là qu’il avait dû s’allier avec des noirs pour éviter la colère, l’animosité des autres prévenus. En 1962, on a laissé sortir Dion, et avec quelles précautions. Encore une fois, je vous le répète, vous avez assez d’intelligence pour deviner avec quelles précautions. Dion, qui avait eu sa chance une fois, il retourne au pénitencier à vie pour la deuxième fois. On prépare un nouveau rapport et, pour préparer ce rapport il faut qu’un psychiatre l’examine. Un psychiatre l’examine et fait rapport et Dion est de nouveau libéré au mois de septembre 1962.
Dion est en liberté, lui qui n’avait pas su choisir, il avait été en liberté une première fois et là, on croyait encore au miracle, on croyait qu’un homme qu’on n’a jamais tenté de réhabiliter, qu’un homme qui pouvait être malade d’une maladie que certains psychiatres décrivent comme grave, malade depuis longtemps, on croyait que Dion s’en irait en liberté, serait guéri à tout jamais? Est-ce que ce ne serait pas le plus grand miracle jamais vu sur cette terre? On pensait que l’arbre allait se redresser tout seul? Dion est en liberté, et là, je crois – je ne veux pas vous répéter tout ce que les témoins ont raconté à ce sujet, il cherche, il a du succès avec certaines personnes qui ne résistent pas, la plupart ne résistent pas parce qu’ils sont au-dessous de 14 ans, et, au mois de février, Dion subit une opération à la verge, à l’hôpital du Saint-Sacrement, une opération qui, pour lui, évidemment, est une opération – c’est une opération qui n’est pas grave, évidemment, mais vous pensez que l’opération n’était pas grave dans le cerveau de Dion? Lui, dont la seule jouissance était les problèmes sexuels, lui dont la seule roue du cerveau était la jouissance sexuelle – lui dont la vie était une jouissance sexuelle, allait, dans son cerveau, perdre ce qui lui restait dans ce phénomène de castration. Ça existe, ça. Évidemment, pour des gens normaux, c’est une petite opération, mais pour celui qui est anormal, qui est malade, pour Dion c’était quelque chose de grave.
À tout événement, Dion a eu des jouissances pendant un certain temps, il devient de plus en plus affamé qu’il ne l’a jamais été et c’est là qu’il s’est mis à la recherche de nouveaux jeunes. C’est là qu’un jour, il a atteint son but dans la vie avec une petite victime, des petites victimes dont Pierre Marquis, Luckenuck, Morel et Carrier, et le psychiatre, le Dr Laurin, nous a raconté le but de Dion, il vous a raconté sa vie, il a eu des fantasmes, des imaginations, des rêveries au pénitencier, et il vient vous dire justement que c’est la réalisation pour lui de ce qu’il allait imaginer pour se procurer des jouissances, dans le cerveau de Dion.
Évidemment, c’était pas normal, mais pour Dion qui avait [pas] connu autre chose, il était rendu au stage de sadisme, il lui fallait tuer, il lui fallait torturer. Pensez qu’il a eu des interprétations différentes par les psychiatres, vous êtes en droit de vous interroger, évidemment, c’est parce que vous avez entendu un éminent médecin, le Dr Laurin, nous dire que c’est un des plus grands malades qu’il a vu dans sa vie.
Vous avez entendu aussi deux experts de la Couronne qui sont venus nous dire, qui nous admettent qu’il était théoriquement traitable. Vous savez ce que ça veut dire. C’est qu’il est traitable, ils nous admettent que c’était un être normal, tous les trois psychiatres, et un est allé plus loin, le médecin le trouve très gravement malade mental, qu’il aurait dû être interné.
Avec tout le respect que j’ai pour les témoins, les experts de la Couronne, avec tout le respect que j’ai pour eux, je me permets de vous poser la question : comment se fait-il qu’il y a un seul psychiatre, un seul médecin qui nous décrit Dion comme monstre sexuel au visage humain, il nous a prouvé que ce monstre n’était pas monstre le 26 mai seulement, mais toute sa vie avait préparé à faire un monstre de lui, c’est ça que le Dr Laurin a essayé de vous expliquer. Messieurs, si nous ne sommes pas des experts médicaux, c’est le seul médecin qui vous a montré toute l’évolution de cet homme, qui vous a montré que ça devait être fatal chez lui, que sa maladie allait devenir fatale.
Pouvez-vous concevoir une chose, pourriez-vous concevoir que des psychiatres par la Couronne viennent vous dire que Dion était normal en 1956, qu’il n’était pas malade en 1962, jetant leur blâme sur leurs collègues, pouvez-vous imaginer ça? Il vous montrait que Dion était sain d’esprit au point de vue légal, qu’il n’était pas malade au point de vue légal. Alors, nous nous adressons à des médecins, ils ne pouvaient pas blâmer leurs collègues parce que c’était dangereux de se blâmer eux-mêmes. Trois médecins viennent déclarer que Dion était malade en 1956, alors on l’aurait laissé sortir alors qu’il était malade, alors ce sont les pénitenciers qui l’ont laissé sortir sur le rapport d’un psychiatre, et en 1962 encore sur le rapport d’un psychiatre, pensez-vous qu’ils pourraient blâmer ces gens-là qu’ils ont laissé sortir Dion, et qu’il était malade en 1962? Non, messieurs.
Je vous demande de réfléchir sur leurs témoignages, ce sont des témoignages de médecins, et puissiez-vous vous souvenir d’une chose, que le témoin, le Dr Daoust ce matin, quand il a dit que Léopold Dion répondait aux questions qu’on lui posait, et que Léopold Dion collaborait au questionnaire qu’on lui faisait subir, c’est ça qu’on est venu nous rapporter devant le tribunal. On pose des questions à Dion : est-ce qu’il n’était pas pour retourner au pénitencier? C’est peut-être la raison, parce que personne ne veut retourner dans le pénitencier, même les fous ne veulent pas retourner dans les asiles, les chiens en cage ne veulent pas retourner en cage. Si on ne lui a pas demandé, par exemple, si c’était pour faire souffrir qu’il tuait, on n’a pas dit ça aujourd’hui, le Dr Laurin a dit, répondu aux questions, et sous serment, il nous a raconté en détail sa vie, si c’était la raison, si on l’avait interrogé à ce sujet, quelles auraient été les conclusions si on avait demandé à Dion si c’était pour obtenir des jouissances sexuelles qu’il torturait ses victimes ou qu’il leur faisait mal, pensez-vous que les conclusions auraient été unanimes avec le Dr Laurin? Si on avait posé toutes les questions à Dion, c’est évident qu’il n’a pas répondu. Ceci, évidemment, n’est pas contradictoire, vous avez entendu ces deux témoins malgré tout parce qu’ils n’ont pas contredit le Dr Laurin, ils ont posé leurs arguments sur un point saillant de sa vie, le point qui les intéressait eux autres… nous autres nous avons voulu vous donner confiance, nous avons raconté toute sa vie. Il y a plusieurs manières, comme disait le Dr Laurin, de devenir un monstre. Je veux que vous réfléchissiez à ça.
Vous savez qu’il y en a un qui a basé la plupart de ses opinions sur l’autre, si un ne connait pas toute sa vie, l’autre ne connait pas plus l’opinion, une est basée sur l’autre, ça me paraissait clair. Si la réponse est mauvaise pour un, elle est mauvaise pour l’autre.
À tout événement, messieurs du jury, il n’y a pas de contradiction. Voilà quelle a été la vie de Dion. Dion, je vous l’ai dit tout à l’heure, n’a peut-être pas toujours été un malade, mais à cause des circonstances anormales dans lesquelles il a vécu il était fatal qu’il devienne ce qu’il est aujourd’hui. Et, c’est mon devoir, vous allez comprendre, c’est mon devoir de blâmer ici un peu le système pénitentiaire qui n’ont pas cherché à réhabiliter Dion, qui n’ont pas cherché à le traiter, qui n’ont pas voulu faire de sélection.
Dion, quand il était jeune, il était débauché par les vieux, et quand il a été vieux, il a été voir les jeunes. Vous voyez le ridicule de cette situation de même qu’on ne guérit pas un tuberculeux en le laissant dans une maison ou dans une chambre où il fait noir, où il y a de la poussière, on doit le mettre dans une chambre aérée, pleine de soleil, etc. On ne guérit pas un homme malade du cerveau en le laissant dans une communauté d’hommes. Il aurait fallu d’abord lui montrer la ligne, la droite ligne. Il aurait fallu essayer de redresser l’arbre, il aurait fallu surtout le placer dans une institution psychiatrique où l’on traite justement ces personnes, qui même si leur maladie n’est pas grave au début, peut devenir fatale, et où on aurait montré de l’attention à Léopold Dion, où on lui aurait montré un peu de sympathie.
C’est l’enfant complexé, il s’est retourné vers la vie sexuelle. C’est ainsi que petit à petit son cerveau s’est détraqué, il a cessé de fonctionner comme un cerveau d’un être humain normal, c’est ainsi surtout que son cerveau ne fonctionne pas, qui ne fonctionne pas normalement comme quelqu’un qui porte des lunettes roses, il ne fait pas de distinction entre le bien et le mal. Évidemment, le cerveau de Dion ne fonctionne pas comme un homme normal.
Alors, pour nous, si c’est dû à des circonstances anormales, à ses débuts, est-ce que je le sais? Mais ce que je sais, c’est que pour nous c’est l’acte le plus antisocial qu’il n’y a pas, pour lui tout ce qui est mal c’est tout ce qui l’empêche de rechercher ses jouissances. Tout ce que je sais c’est que c’est un cerveau, c’est une personne anormale dont le cerveau ne fonctionne pas normalement. Il est assez facile ici, messieurs, de le comprendre.
Messieurs, vous avez été courageux, vous avez été patients, mais qu’est-ce que vous voulez, c’est ça la justice. Vous avez à décider du sort d’un être humain, et cette patience est à votre honneur et j’espère que vous la garderez jusqu’à la fin, jusqu’à temps que votre cerveau soit assez bien éclairé pour savoir si Dion, au moment où il tuait, il connaissait comme nous ce que c’est que de tuer, torturer. Le cerveau d’un homme normal, si vous me le permettez, toujours en ce qui a trait aux jouissances sexuelles, moi j’ai le droit d’en avoir, mais c’est normal, ça fait partie de la vie humaine. Si, pour arriver à avoir des jouissances sexuelles je dois employer des moyens anormaux, illégaux, vous allez dire : « je refuse ». Pourquoi? Parce que votre intelligence est capable de dire : « ça, c’est mauvais, tu ne feras pas ça ». Mais, par exemple, si nous rapportons ça à un être comme Dion qui n’a connu dans sa vie qu’une seule chose, des crimes sexuels, il n’a jamais senti une minute de bonheur, le cerveau de Dion fonctionne comme ceci, il est guidé par ses instincts : « il me fait des jouissances sexuelles ». C’est un impératif dans la vie de Dion, ce n’est pas la religion qui l’emporte, ce n’est pas les activités sociales qui l’emportent, ce n’est pas de jouer aux cartes, ce n’est pas d’avoir une famille, ce n’est pas d’avoir des enfants, c’est une chose impérative, c’est l’instinct sexuel, d’avoir des jouissances sexuelles. « Il me faut des jouissances sexuelles ». Dion part avec ces prémices. Si pour arriver je dois torturer, je dois m’imaginer que je mange de la chair humaine, que je bois du sang, que je tue, ce sont mes jouissances sexuelles. C’est un impératif dans la vie de Dion. Son intelligence lui sert après ses instincts, il faut fabriquer des trucs. Dion, son intelligence n’est plus au sommet du triangle. Si Dion n’a pas de moments propices il pourra attendre, son instinct dit : « tu auras toujours des victimes ». Son intelligence lui fait préparer la scène à Pont-Rouge où lui-même était acteur et spectateur de ces tragédies horribles dans le bois. Lorsqu’on venait pour le déranger, sachant qu’on le surprenait, qu’il n’y aurait pas de jouissance, son intelligence lui disait d’aller les chasser. Il revenait toujours guidé par ses instincts, ses passions sexuelles. Un cerveau qui fonctionne anormalement n’est pas un cerveau d’homme normal.
La maladie, au point de vue légal, n’était pas grave. Au point de vue légal, il faisait une distinction entre le bien et le mal, il pouvait faire une distinction dans ses actes, mais comment ont-ils pu le prouver? Ils ne vous ont pas démontré comment Dion pouvait être sain d’esprit à ce moment-là alors qu’il avait péché, alors que ce n’était pas la vie d’un homme normal mais celle d’un homme anormal. On nous a montré des faits pris dans leur entité seulement, alors qu’un éminent médecin, le Dr Laurin, nous a montré l’évolution de cet homme, il nous a montré l’arbre tout petit qui ne pousse pas droit, c’est évident que si vous prenez l’arbre croche et que votre vision ne se porte pas sur tout l’arbre, que vous ne regardez pas le sommet de l’arbre, il se peut qu’il vous paraisse droit mais quand vous regardez tout l’arbre, il est croche.
Le Dr Laurin a été le seul à vous montrer cet homme. Il a été le seul à vous prouver comment il a pu devenir un monstre sexuel, un animal féroce guidé par son instinct et il nous a fait – vous vous en rappelez – la comparaison du triangle où l’intelligence normalement est située au-dessus du triangle, mais lui, c’était son instinct qui était au-dessus du triangle – il est guidé par son instinct et son intelligence devait lui servir pour trouver des trucs pour parvenir à jouir de plus en plus, et il a commencé à se faire des fantasmes, des trucs comme le carnet de banque, des trucs de photographies, etc.
Maintenant, il ne faudrait pas que vous oubliez une chose, et quand même que ce serait là la seule chose que vous pourriez retenir de ce que je vous ai dit, que j’aimerais bien entendre dire si j’étais à votre place sur ce banc, ceux qui sont venus témoigner pour la Couronne, malgré tout le respect que j’ai pour la Couronne et pour ses témoins, pour ses experts médicaux, ce sont des gens qui travaillent pour le département du Procureur Général, ce sont des gens qui sont des ouvriers, entre autres le Dr Daoust qui est un psychiatre à la prison de Bordeaux, comme le psychiatre qui l’a examiné avant de le laisser sortir, pour qui travaillent-ils? Toutes ces idées étaient faussées à cause de son instinct. Il vivait dans un monde où tout son jugement était faussé, dans un monde qui n’était pas le monde normal, le cerveau d’un être anormal par comparaison au cerveau d’un être normal. Le Dr Laurin a tenté de vous expliquer, il vous a dit que expliquer, évidemment, c’est une chose qui est quelque peu compliquée, c’est tellement compliqué le cerveau. C’est tellement difficile de concevoir tout ce qui se passe dans le cerveau, mais une chose qui est certaine, un être humain normal ne fait pas ces choses-là, et parce que cet arbre qui avait poussé toujours croche, qui ne s’était pas redressé, au contraire il est croche toujours de plus en plus. Les crimes de Dion ont toujours été en empirant, nous l’avons vu.
Mon confrère, au cours de sa plaidoirie, vous dira probablement que Dion connaissait le bien et le mal, que Dion pouvait juger de la nature et de la qualité de ses actes, qu’il pouvait savoir que les actes qu’il posait étaient mal parce que Dion pouvait faire des préparatifs, pouvait préparer son terrain, et le terrain qui pouvait le conduire à ses victimes. Mais, vous pouvez concevoir, même avec l’interprétation donnée par le procureur de la Couronne, que ce n’est pas un être pour le pénitencier.
Il ne faut pas oublier une chose, si Dion avait connu le bien et le mal, il n’aurait pas été au pénitencier. Il vous dira qu’il connaissait le bien et le mal parce qu’il a su attendre, parce qu’il a été capable d’arrêter quelques instants alors qu’il était en ébullition pour obtenir ses jouissances, d’arrêter pour aller avertir quelqu’un de ne pas venir le déranger, ou à peu près cela, mais on ne peut se baser seulement sur ça, il faut se baser sur tous les actes qui se sont posées pour savoir si quelqu’un connaît le bien et le mal.
Vous avez peut-être trouvé très embrouillé la réponse donnée lorsque j’ai posé la question à un expert de la Couronne, mais j’ai voulu faire une comparaison avec les animaux qui, eux, peuvent retarder telle chose, tel acte, parce qu’ils sont guidés par leur instinct de conservation, ils doivent manger pour conserver leur vie, mais le loup sait attendre le soir pour aller chercher sa brebis, et le renard aussi, et même si c’est ça qui est dans son cerveau, je ne sais pas ce qui se passe, mais s’il se passe une heure pour guetter la brebis, s’il voit de la lumière dans la bergerie, il va retarder, même s’il a faim, s’il est assoiffé de sang, il va retarder parce qu’il veut vivre.
Dion aussi voulait retarder, et c’est son instinct qui lui dictait ces moyens mais il était retardé dans ses projets. Dion faisait des préparatifs, mais ça aussi peut-être guidée par l’instinct. Il a donné comme exemple l’araignée qui prépare sa toile pendant des mois et des mois pour attraper es mouches et se nourrir, c’est son instinct naturel qui lui dit qu’il faut fabriquer cette toile et pourquoi? Pour attraper des mouches, et pour lui, Dion, sa toile d’araignée était ses photographies, c’était toutes les circonstances qui pouvaient le faire jouir.
Je veux vous rappeler une chose dont vous avez été témoins, pendant longtemps j’ai essayé de vous parler de cette cabane de six par trois (6 X 3), ça n’a pas été fait pour rien, ça. C’est dans cette cabane qu’on aurait trouvé un corps pendu. On a parlé de cette cabane. En défense, le Dr Laurin, comment se fait-il qu’il n’était pas au courant de cette cabane? Ce n’est pas pour rien que Dion fait une cabane. Plus il allait, plus il devenait un animal féroce, plus il voulait essayer d’être sûr de ses victimes, et c’est la répétition des faits que nous a racontés le Dr Laurin et que Dion lui a racontés lui-même, c’était là où il devait aller avec ses prochaines victimes, il serait allé dans cette cabane et c’est là justement que les fantasmes, les rêves qu’il avait eus à Kingston pour déchiqueter ces enfants, les pendre par les pieds, et, s’il a eu cette idée, pourquoi qu’il n’en parlait pas. On réalise, on sait qu’il a eu quatre petite victimes, cette cabane existe, on n’en a jamais entendu parler par la Couronne, on n’en a jamais entendu parler par les experts de la Couronne, elle existe pour quelque chose, mais vous vous souvenez, vous avez entendu le Dr Laurin vous-mêmes, vous avez entendu le Dr Laurin dire que si Dion n’avait pas été pris, il aurait continué et, s’il était resté en liberté, aujourd’hui il continuerait encore. Il continuerait à faire quoi? Évidemment, à faire ce qu’il a fait.
Quant à sa connaissance entre le bien et le mal, si vous me permettez une comparaison, les préméditations, qu’on appelle le désir de tuer quelqu’un, Dion n’est pas le genre de meurtrier par exemple, qui, après avoir dépouillé sa victime, la tue, il n’est pas le genre de meurtrier comme le jaloux qui, après avoir perdu sa maîtresse, l’assassine. Non. Pour lui, c’était n’importe quelle petite victime, un petit enfant, pourvu qu’il avait quelqu’un pour satisfaire ses désirs sexuels.
Mon confrère vous dira aussi que Dion se cachait pour faire ce qu’il avait à faire, il ne sautait pas en public sur ses victimes, mais c’est évident, ce n’est pas évidemment pas un critère pour savoir si c’est un malade mental ou non.
On voit des petits chats qui se cachent pour manger leur viande, parce qu’ils veulent en jouir. Vous voyez par hasard des fous qui préparent leur plan d’évasion, qui se cachent encore plus pour s’évader. C’est pas sur ça qu’on va se baser pour décider si Dion est normal ou anormal, c’est sur toute sa vie, pour décider si, à ce moment-là, il savait, oui ou non, ce qu’il faisait, il faut considérer tout ce qui s’est passé. Dion, vous allez dire comme le médecin, est un animal féroce qui a commis des monstruosités, il n’aurait jamais dû être en liberté de même que sa place n’était pas au pénitencier. Je le répète, je le redis et je m’en excuse, je l’ai dit dans mon exposé, ce n’est pas parce qu’il n’a jamais été libéré d’une institution psychiatrique, parce qu’il n’a jamais été traité pour maladie mentale qu’on doit le traiter ainsi. C’est pas parce que le psychiatre qui l’a analysé et examiné avant de préparer le rapport pour sa libération qu’il l’a trouvé normal, ce n’est pas là un critère sur lequel on doit se baser, et Dion ne doit pas non plus – on a parlé de système pénitentiaire, je vous ai parlé de ceux qui l’ont laissé sortir – maintenant, vous savez comment ils l’ont surveillé.
C’est pas moi qui vais en blâmer telle ou telle personne, mais il m’appartient, comme membre de la société, mais il vous appartient à vous, comme membres de la société, de juger de l’acte et de blâmer ceux qui doivent être blâmés. Je n’ai pas à donner de noms quand je parle du système pénitentiaire, quand je parle de la Commission des libérations conditionnelles, ce n’est pas monsieur X ou monsieur X, évidemment, c’est une institution, on ne peut pas voir qui s’en occupe quand on en parle, il y a des gens qui s’occupent de ça.
Me permettrez-vous, avant de terminer, une comparaison? … Si je vous dis « un chien est enragé », je vous dis « ne le laissez pas sortir parce que, s’il sort de sa cage, il pourra mordre ». Et je vous préviens chacun d’entre vous : « si vous rencontrez un jour ce chien dangereux, laissez-le dans sa cage, parce que s’il sort, il va mordre ». Et, à un moment donné, au bout d’un mois, le chien vous paraîtrait normal. Il ne semble pas enragé, il ne mord pas, il n’a personne à mordre, et pour une raison ou une autre, vous décidez de détacher ce chien, vous détachez son collier, et vous le laissez sortir, et la première personne qui se présente, et la première chose que je vois, le cher chien, il saute sur quelqu’un et lui mord la jambe. Qu’est-ce que vous faites? Vous prenez le chien et vous le reconduisez à sa cage et vous devez payer les dommages à ceux à qui les dommages ont été faits. Et je vous le dis, même si ça vous peine, vous ne le laissez plus sortir, ce chien qui est toujours dangereux, mais là, il est devenu dangereux, même sous la couverte de la douceur, il est devenu féroce, évidemment, mais vous vous arrangez pour le garder pareil, et au bout de trois, quatre ans, il vous paraît normal et vous décidez de le laisser sortir et cette fois le chien ne fait pas que mordre à la cuisse une personne, il va jusqu’à l’étrangler, et la dévorer. Alors, qu’est-ce que je fais? Qu’est-ce que fait le propriétaire de ce chien? Ce chien, si vous en êtes propriétaire, vous allez l’abattre, avec une arme à feu, et c’est votre droit, et c’est votre devoir parce qu’il a tué un être humain, mais vous qui en avez la garde, qui en êtes le propriétaire, qui en avez la responsabilité, parce que c’est un chien, vous pouvez le tuer.
Et lorsqu’on reporte ça à un être humain féroce et dangereux, qu’est-ce qu’aurait été ce qu’on aurait dû faire? On ne peut pas l’abattre mais on doit au moins se poser la question suivante : même s’il était attaché comme un animal féroce, même si son cerveau ne fonctionnait pas et ne pouvait pas fonctionner comme celui d’un être normal mais comme celui d’un animal, il ne peut pas être responsable de ses fautes, mais il ne faut pas que celui qui a une maladie semblable, qui a un instinct sexuel comme un animal, qui agit comme le plus monstrueux des monstres humains que nous avons connus au Canada et sur cette terre, il ne faut pas lui mettre sur les épaules sa maladie, mais sur le système pénitentiaire qui a commis une erreur de la laisser sortir et une erreur alors qu’on ne l’a pas traité et qu’on ne l’a pas guéri.
Non, messieurs. Il y a une distinction à faire parce que si on fait une erreur, ceux qui ont fait une erreur, surtout pour ceux qui ont fait des erreurs monstrueuses, vous savez qu’il n’est pas toujours facile de savoir si elles n’ont pas été causées par un cerveau humain normal ou anormal. C’est tellement vrai que n’importe lequel d’entre vous pourrait se rendre à Boston, ou à Saint-Michel, ou n’importe où Saint-Jean de Dieu, à Montréal, on pourrait discuter des heures et des heures avec des aliénés mentaux, et on ne peut pas savoir de quoi ils souffrent. Pourquoi? Parce qu’ils sont détraqués seulement sur un point, et vous ne pouvez pas sur ce point en attribuer la cause.
Et, je pense au paranoïaque, celui qui souffre de paranoïa, allez-vous lui demander pourquoi il est interné? Il ne le sais pas. ce n’est pas nécessaire pour qu’une personne soit malade mentale qu’elle soit dans un état d’imbécilité ou que sa tête soit une tête pensante, comme celle d’une personne qui n’a jamais connu autre chose que l’imbécilité et on peut s’entendre là-dessus comme on peut s’entendre sur tout le reste, c’est ce qu’on analyse chez l’être humain.
Si une personne est détraquée sur un point, il peut se faire que cette partie ait une influence qui peut justement faire que ce point s’empare de tout le reste, canalise tous les instincts, canalise tous les autres …
Je vais vous faire une autre comparaison pour le cerveau, celui qui est malade et qui semble comprendre quand on prend un exemple, avec une maladie physique, qui par exemple … Si, par exemple, j’ai la gangrène dans un bras, je peux tout de même me servir de mes jambes pour me rendre à l’hôpital et dès que je suis à l’hôpital, je suis un malade physique. C’est la même chose pour le cerveau.
Une personne est capable de parler très bien et capable de répondre aux questions qu’on lui pose, mais si Dion a bien répondu aux questions qu’on lui posait, même si Dion pouvait aller chaque semaine voir celui qui en avait la surveillance, et qu’il lui paraissait normal, et au point de vue des psychiatres et des policiers, il paraissait très normal, est-ce que ça veut dire pour tout ça qu’il était normal? Il pouvait être détraqué sur un point comme le chien qui ne mordait pas pendant qu’il était dans sa cage, qu’il n’était pas laissé en liberté, et évidemment, je vous réfère à ce cas du chien enragé dans sa cage, qui paraissait normal … Dion pouvait-il distinguer le bien et le mal? Je réponds que non. Dion vivait dans son monde à lui, dans un monde où toutes ses idées étaient conçues à cause de son instinct; dans un monde qui n’était pas le monde normal.
Et ici, j’en ai encore pour quelques minutes, je vous demande encore votre attention pour vous demander comment il pourrait être grave de déclarer coupable un homme qui ne l’est pas, et de vous demander si cet homme connaît le bien et le mal. Une personne qui reçoit de Dieu la mission de sauver l’humanité aux dépens de sa vie et qui toute sa vie tente de sauver l’humanité en donnant sa vie, cet homme prépare un meurtre en vue d’être traduit devant les tribunaux, en vue d’être pendu, pourquoi mourir – pourquoi mourir pour sauver l’humanité? Il ne se soucie pas qu’on le pende parce que, sachant que c’est défendu par le Code criminel, oui, il le savait, c’est pour ça qu’il le commet parce qu’il savait aussi que la sentence était la pendaison. Et vous pensez qu’on va le tuer? Vous pensez qu’on va l’assassiner, qu’on va l’amener à la potence? Cet homme, il connaissait le bien et le mal, il a tué justement parce qu’il voulait être pendu, il connaissait le bien et le mal, pourtant il connaît le bien et le mal, il commet un acte mauvais, il savait qu’il serait châtié, il pouvait être jugé pour son crime, il pouvait être condamné pour meurtre, il connaissait la qualité du meurtre, il pouvait juger de la nature du meurtre, et je dis que ce n’est pas le seul critère, je dis qu’à mon sens c’est le moindre des critères même si l’article XVI du Code criminel parle que pour juge de la nature et de la qualité d’un acte il faut savoir que la nature est mauvaise, que l’acte est mauvais; et je dis qu’il est dangereux de condamner un homme alors qu’on ne sait pas ce qui est le bien pour lui, alors qu’on ne sait pas ce qui est le mal pour lui, et il y a au moins ce doute-là alors que, comme l’homme qui porte des verres verts voit moins bien que celui qui ne porte pas de verres, comme je n’en porte pas – il y a au moins ce doute-là, et c’est la raison pour laquelle je vous dis que même si un homme connaît la distinction entre le bien et le mal, on lui demande s’il connaissait la distinction entre le bien et le mal, savait-il qu’il faisait un acte mauvais?
Et vous, pensez-vous qu’il pouvait juger de la nature du meurtre, de la qualité du meurtre qu’il commettait? Je dis que ce n’est pas le seul critère, et je dis que c’est le moindre, à mon sens, le moins important, et je dis qu’il est toujours dangereux de condamner un être humain alors qu’on ne sait pas ce qui est bien pour lui et ce qui est mal. Si au moins il y a ce doute-là, s’il porte des verres roses, je sais qu’il va voir rose, et comme je n’en ai pas, je vois normalement. Même, même avec ce doute-là, je sais, j’ai au moins ce doute-là, et au moins je sais que cette comparaison peut être compatible avec celle d’un homme délirant et qui peut s’appliquer aussi à un animal et aussi à un être anormal au point de vue mental.
Je vous demande de songer aussi en abordant cette question de faire une distinction entre ce qui est bien et ce qui est mal.
Enfin, messieurs, je pense que le problème pourrait se résumer assez facilement. Je pense qu’on n’a pas besoin d’être des experts médicaux, de grands experts médicaux, qu’on n’a pas besoin d’être des psychiatres pour savoir que l’être humain ne tue pas et je commence par dire que l’être humain, dès qu’il est encore petit enfant, ne tue pas parce que ses jouissances sexuelles se contentent mais encore moins lorsqu’un être humain entrevoit qu’il peut avoir le pénitencier.
Un être humain ne tue pas pour avoir les jouissances sexuelles, ne tue pas non plus pour retourner au pénitencier – il n’y a pas un être humain sur cette terre qui tuerait quatre petits enfants pour ne pas être pris, pour ne pas se soustraire et pour ne pas retourner au pénitencier – il n’y a pas un être humain sur cette terre qui pourrait tuer quatre petits enfants pour cacher ses fautes sexuelles – il n’y a pas enfin un être normal qui tuerait quatre petite enfants, qu’il ne connaissait pas … quatre petits enfants qu’il ne connaissait pas pour le plaisir de les tueur, il faut qu’il soit normal, et pourtant, pour qu’un être normal puisse tuer, tuer quatre petits enfants sans raison, mais pourtant, il y a quelqu’un sur cette qui l’a fait, et c’est Dion, quelque monstrueux que cela puisse vous paraître. Oui, Dion l’a fait, mais Dion l’a fait parce qu’il n’a pas connu de passé heureux, parce qu’il a passé sa vie dans les pénitenciers. On voudrait partir de cet illogisme qui me paraît le plus réel pour dire que Dion était un homme normal qui ait pu exécuter ça? Non. C’est impossible. On n’a pas besoin de psychiatres, on n’a pas besoin d’experts, on a besoin que de son propre jugement pour savoir qu’il n’y a aucun être humain qui ne pourrait faire ça.
Et, quand on vous dit que des actes aussi monstrueux ont été commis par un monstre, des actes aussi anormaux, aussi monstrueux, si vous pensez que ces actes ne sont pas ceux d’un homme qui n’est pas normal, je me demande, vous êtes en droit de vous demander vous aussi ce que font dans les asiles les gens anormaux? Je me le demande et vous êtes en droit de vous le demander, on peut le relâcher demain matin mais je suis convaincu qu’il n’y en a pas un cinquième pour cent qui ont fait ce que Dion a fait, et pourtant ils sont dans des asiles.
Dion, Dion c’est parce qu’il n’a jamais été traité, parce qu’on ne s’est jamais occupé de lui, on ne l’a jamais regardé comme un malade mental.
Messieurs, c’est là votre problème, votre responsabilité est lourde. Nous pleurons tous aujourd’hui ce qui a pu arriver à ces parents, mais vous devez, comme je dois et comme je l’ai fait durant tout le long du procès, vous devez oublier ces sentiments, cette peine que ces parents ont pu avoir, oublier ces sentiments de vengeance et de haine qui ont pu animer votre cerveau, comme ils ont occupé le mien aussi, comme le cerveau de tout être humain normal, vous devez mettre de côté ces sentiments de vengeance et de haine et vous en tenir, et regarder malgré tout cette personnalité monstrueuse qu’est Dion.
De même qu’on ne tue pas un être humain parce qu’il est laid, de même qu’on n’a pas le droit de trouver quelqu’un coupable parce qu’il a fait des monstruosités et parce que sa personnalité est affreuse. Vous pourriez peut-être le regretter si, une fois rendus chez vous, avec votre femme et vos enfants, vous aviez le moindre remords si vous avez pu, pour cinq minutes de moins de délibération, condamner un homme alors que vous saviez, ou que vous auriez pu douter qu’il pouvait être un malade mental.
Vous le savez d’ailleurs par les témoignages des médecins qui sont venus témoigner ici.
À tout événement, messieurs, je vous dis que quoiqu’il arrive, quel que soit votre verdict, Dion ne retrouvera plus jamais la liberté. S’il est trouvé coupable, vous savez quelle sera sa sentence; s’il est trouvé, si l’autre verdict que vous pouvez rendre, le savant Président du Tribunal vous l’expliquera, il vous expliquera les détails entre le meurtre et l’homicide involontaire ou manslaughter, mais cet autre verdict en ce qui me concerne peut être coupable, ou non-coupable, pour cause de folie, ce qui veut dire que si jamais vous décidiez que Dion est non coupable pour cause de folie, ou que ce n’est pas lui qui a tué, c’est lui qui a commis ces monstruosités quand même et c’est parce que son cerveau ne fonctionnait pas normalement, on ne peut pas alors le trouver coupable ainsi que le veut la loi de notre pays. C’est pour cela que je dis que Dion a pour toujours perdu sa liberté, à tout jamais, et s’il est trouvé non-coupable pour cause de folie, il devra finir ses jours dans une institution psychiatrique, dans un asile pour les fous où il pourra être traité pour la première fois de sa vie et où il passera le reste de ses jours. Ainsi le veut notre justice.
Et maintenant, en terminant, permettez-moi de demander à celui qui un jour nous jugera tous de bien éclairer vos intelligences à chacun de vous avant de donner votre opinion à celui que vous choisirez comme président, messieurs les jurés, afin que vous rendiez votre décision basée sur les principes de la justice et de l’humanité.
Plaidoirie de Me Jean Bienvenue (Couronne):
J’ai eu à l’occasion de plusieurs procès, l’occasion de dire à Votre Seigneurie Gérard Lacroix ce que je pensais d’elle, l’amitié et l’estime que j’éprouvais pour elle, et d’ailleurs Votre Seigneurie sait combien, bien avant l’époque de ce procès, j’avais eu la chance et l’opportunité de connaître Votre Seigneurie, ou je devrais plutôt dire que c’est Votre Seigneurie qui m’a connu à un âge dont on a souvent parlé au cours de ce procès, alors que Votre Seigneurie était l’associé professionnel d’un être qui était si cher pour moi lorsqu’il vivait, Votre Seigneurie, tout ce que je crois utile, une fois de plus de rappeler, c’est l’estime et l’admiration que l’on éprouve en des périodes aussi troublées que celles que l’on vit, où l’intégrité des êtres humains est mise en jeu si souvent, l’admiration et l’estime que j’éprouve pour un juge qui a été toute sa vie l’exemple de l’honnêteté, de la compétence et du dévouement.
Pour ce qui est de mon savant ami, Me Guy Bertrand, procureur de la Défense, c’est, je crois, et je ne veux pas faire erreur, je crois que c’est son premier procès devant les Assises criminelles, et il faut dire, il faut réellement se le dire que c’est son premier procès parce que en aucun moment il ne nous a donné cette impression. Il a été d’une courtoisie comme on en voit rarement. Il a été d’un dévouement et d’un labeur incessants pour l’intérêt de son client, et il l’a fait dignement, il a accompli dignement la tâche délicate qu’il avait choisie de remplir en cette cause.
L’on sait tous que le rôle de l’avocat de la Défense est parfois beaucoup plus délicat ou difficile à remplir parce qu’ils n’ont pas comme le représentant du Ministère public, les avocats de la défense, l'avantage d’avoir à leur service les corps policiers et tous ceux qui contribuent au fonctionnement de l’appareil judiciaire. Il s’en est acquitté de façon admirable, et sa plaidoirie éloquente de cet après-midi résume mieux que je ne pourrais le faire les sentiments que j’éprouve à son endroit.
J’ai parlé il y a un instant de l’appareil judiciaire, et je ne puis passer sous silence tous ceux qui le constituent cet appareil judiciaire, qui est indispensable à l’administration d’une saine justice.
Quand je pense aux gens de l’appareil judiciaire, je pense et je ne puis pas en oublier parce que je veux suivre l’ordre de gauche jusqu’à ma droite, je pense aux membres de la Sûreté Provinciale qui maintiennent l’ordre dans cette Cour, je pense aux constables spéciaux qui s’occupent des jurés, je pense aux sténographes officiels qui sont devant moi et dont l’un écrit actuellement les paroles que je prononce, je pense au greffier de la Cour qui a un rôle, lui aussi, important dans l’administration de la justice, je pense au huissier-audiencier, et je pense à tous les autres qui se dévouent parfois d’une façon bien anonyme afin que justice soit rendue dans notre province et dans ce pays.
Je ne puis pas non plus, Votre Seigneurie, passer sous silence ceux qui m’ont accompagné depuis le début, et qui eux aussi, dans ces temps difficiles, et dans ces temps périlleux que nous traversons, restent les gardiens infaillibles de la paix, et nous donnent confiance, nous font espérer des temps meilleurs, et quand je parle de ceux qui m’accompagnent, je parle du Chef Aimé Guillemette, qui est ici à mes côtés; policiers depuis 43 ans, et dont je dirais, Votre Seigneurie, et je pense que c’est l’idée qui me frappe quand je pense à lui, dont la droiture physique, dans sa stature physique, symbolise si merveilleusement son intégrité et sa droiture morale. Je pense également à l’inspecteur Healey dont on a tellement dit et au sujet de qui on a tellement écrit à l’occasion des douzaines et des douzaines de procès importants qui avaient été l’aboutissement de son travail et de son intelligence, que je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’ajouter quoi que ce soit de plus. Je pense enfin au sergent d’état-major André Ste-Marie, dont je me flatte d’être l’ami personnel, qui m’accompagne presque toujours depuis quelques années dans les causes où j’occupe, et dont il me suffit de rappeler ce que je lui disais lorsqu’il témoignait, qu’à 35 ans il était chef de l’escouade des homicides et la Sûreté Provinciale.
Messieurs les jurés, je m’excuse d’avoir tardé à parler de vous et de parler à vous, mais je le ferai peut-être si longuement que vous serez heureux que j’aie retardé à le faire.
Messieurs, je vous remercie au nom de la société que vous représentez d’une façon, et que moi je représente devant la Cour depuis deux semaines. Votre sacrifice est d’autant plus grand, sacrifice qui consiste à être ici depuis deux semaines, d’autant plus grand pour vous, contrairement à nous, vous n’avez pas eu l’avantage d’être dans vos foyers, d’être auprès de vos épouses comme nous, nous l’avons eu l’avantage.
Je vous remercie au nom de la société pour l’attention sérieuse et l’intelligence que vous avez portée à ce procès, et je vous remercie surtout d’avoir accepté comme vous l’avez fait ce que je … j’appellerais la tâche redoutable de rendre la justice en devenant vous-même des juges, qui avez maintenant en vos mains le sort d’un de vos semblables.
La fin de ce procès est proche, messieurs, et je vous prie, comme vous l’avez fait jusqu’à date, de faire votre devoir jusqu’au bout, jusqu’à la fin, de me prêter votre bienveillance et votre indulgence pendant les moments où je m’adresserai à vous, m’excusant de ne point disposer comme mon savant ami, de ce que j’appelle, et avec sincérité, ce talent oratoire qu’il a déployé devant vous.
Messieurs, au début de ce procès, je vous avais lu l’acte d’accusation, et je m’en vais vous le lire à nouveau parce que c’est sur cet acte d’accusation que vous avez à juger l’accusé; ce n’est pas le pénitencier de St-Vincent-de-Paul ou le pénitencier de Kingston, ce n’est pas la Commission Fédérale des Pardons que vous avez à juger, c’est l’accusé qui est dans la boîte et en vertu de l’accusation que je vais vous lire :
Il est accusé : « d’avoir le ou vers le 26 mai 1963, dans le comté e Portneuf, district de Québec, d’avoir, dis-je, illégalement projeté d’assassiner et de propos délibéré, assassiné Pierre Marquis, âgé de 13 ans – pas d’autres – pas les trois autres – vous aurez à le juge sur l’accusation d’avoir assassiné illégalement et avec préméditation, Pierre Marquis, âgé de 13 ans, commettant ainsi un meurtre qualifié. »
Si vous vous rappelez, messieurs, je vous avais alors dit au cours d’un exposé, quelle preuve la Couronne entendrait faire, vous disant bien que ce que je vous disais ce n’était pas de la preuve, mais vous disant que je le faisais dans le but de vous aider à suivre les débats et à mieux comprendre. Je vous avais dit, messieurs, que nous tenterions de prouver d’abord ce que l’on appelle le meurtre physique, c’est-à-dire l’assassinat lui-même, et ensuite que nous tenterions par des moyens légaux, de prouver devant vous ce que j’appellerais le propos délibéré, ou le projet, ou les préparatifs, mots que vous pourriez résumer en un seul qui veut tout dire, la préméditation, et que ces moyens légaux serviraient à prouver cette préméditation.
Les mots « propos délibéré », « projet » ou « préméditation », messieurs, sont les éléments nécessaires pour que vous trouviez l’accusé coupable, si vous le trouviez coupable de l’offense prévue à l’acte d’accusation que je vous ai lu, c’est-à-dire de meurtre qualifié, pas de meurtre tout court mais de meurtre qualifié qu’il faut que vous trouviez dans la preuve, et cela hors de tout doute raisonnable, comme la Cour vous l’expliquera beaucoup mieux que moi, toute la préméditation dont je viens de vous parler.
Je suis alors, messieurs, devant vous pour vous rendre compte à la fin du procès de la preuve qui a été faite, afin que vous, et quand je dis vous, c’est vous seuls, pas l’avocat de la Défense, pas celui qui vous parle, pas le public ni les journalistes, pas même le juge, afin que vous seuls, tous et chacun d’entre vous qui êtes douze, vous décidiez si oui ou non la Couronne a prouvé l’accusation, ce qui vous a été lu il y a un instant, et afin que vous décidiez vous seuls si l’accusé a commis le crime dont on l’accuse.
Les moyens légaux, messieurs, auxquels je faisais allusion et dont je ne voulais pas vous parler avant que permission me soit accordée d’en faire la preuve, vous l’avez, évidemment, deviné, c’était les actes similaires, ou si vous aimez mieux, les trois autres meurtres que la preuve, maintenant je puis le dire, vous a révélés, et ces trois autres meurtres qui ne sont que des actes similaires pour lesquels vous n’avez pas et n’aurez pas, vous tous, à juger l’accusé, comme le juge vous le dira tout à l’heure, ne sont pas là pour faire de la preuve ou pour être de la preuve que c’est l’accusé qui a fait le quatrième meurtre, ce n’est pas le but que nous poursuivions, mais simplement pour vous donner des indices sur l’identité de celui qui aurait pu commettre le quatrième meurtre, pour vous montrer que d’une fois à l’autre il pouvait avoir l’intention coupable de tuer, et dans le cas du meurtre qualifié, non seulement l’intention coupable de tuer, mais que cette intention-là était préparée, que ce meurtre-là était projeté et prémédité à l’avance, et enfin pour vous montrer qu’il ne pouvait s’agir de mort accidentelle.
Nous allons, si vous le voulez, messieurs, le plus simplement possible, le plus sobrement possible, revivre ensemble, non pas ce qui s’est passé depuis la naissance de l’accusé, non pas ce qui lui est arrivé dans telle institution ou dans telle autre, il n’est pas accusé pour son passé, il est accusé d’un meurtre qui aurait eu lieu le 26 mai dernier. Nous allons revivre ensemble, messieurs, les événements qui se sont déroulés dans la vie de l’accusé depuis sa sortie du pénitencier le 28 septembre 1962, événements que nous connaissons soit par des témoins directs de tels événements, soit par des objets qui prouvent tels événements, ou soit enfin par ce que l’accusé a raconté lui-même aux différents psychiatres qui l’ont examiné.
Nous avons appris, messieurs, que durant tout l’hiver depuis sa sortie du pénitencier, et alors je parle d’octobre jusqu’au 20 avril, l’accusé avait eu des relations sexuelles, de caractère homosexuel, avec une trentaine, une quarantaine de jeunes dont l’âge variait, nous dit-on, de 14 à 18 ans. Il aurait eu, parmi ces expériences, de rares insuccès, et la majorité des expériences auraient été fructueuses; ces insuccès auraient été dissimulés à travers les succès, et Dieu sait, messieurs, quand je parle de succès, de telle façon j’emploie le mot, je pense que vous me comprenez.
On nous rapport, messieurs, et c’est Dion par la bouche des psychiatres, nous rapporte aucune torture, aucun tourment, aucune violence, aucune menace, aucune rage, aucune morsure, aucun sang bu, aucune horreur ou aucune monstruosité n’a été nécessaire à ce moment-là, pourquoi?
Les psychiatres nous disent, nous rapportant toujours les paroles de Dion, et la Cour, messieurs, vous mettra en garde comme elle l’a déjà fait à deux ou trois reprises, au sujet de la nature de cette preuve-là parce que Dion n’est pas sous serment lorsqu’il parle aux psychiatre, et les psychiatres ne vous rapportent pas ça pour vous dire que c’est lui qui a tué ou n’a pas tué, les psychiatres ne vous ont rapporté ça que pour traiter devant vous de leur opinion sur l’état d’esprit de l’accusé.
Pourquoi, disent-ils, aucune morsure, aucune monstruosité, aucune horreur, aucun découpage de chair humaine? Parce que, disent-ils, aucune résistance de la part de ces jeunes. Vous pouvez vous demander – la preuve nous l’a pas dit, mais c’est le droit des jurés de se poser des questions – si ces jeunes n’étaient pas ce qu’on appelle des demi-professionnels ou des professionnels. Quoi qu’il en soit, aucun n’a résisté. Pas de monstre à date, pas de monstruosité, pas d’horreur. Quelques fois, nous disent-ils, il a lâché prise, il a abandonné la partie, pourquoi? Parce que les parents intervenaient, et le monstre, le taureau ou le tigre dont vous a parlé le docteur Laurin, était si dangereux, si farouche que lorsque les parents intervenaient, il craignait le témoin Caron de la Commission des Pardons que vous avez vu dans la boîte, et à ce moment-là, il se retirait. Il craignait quoi, disent-ils, que son pardon, sa libération soit révoqués et qu’il retourne au pénitencier pour la vie.
Je vous invite à vous demander si c’est l’acte d’un fou – vous m’excuserez d’employer le mot fou au lieu d’employer les mots techniques parce que nous nous comprenons tous de ce dont nous parlons – vous vous demanderez si c’est l’acte d’un fou, ou l’acte d’un type sain d’esprit, que de craindre de retourner au pénitencier pour la vie.
Vous savez, messieurs, c’est rare, ou vous vous le demanderez parce que c’est `;a vous à le décider, pas à moi, c’est peut-être rare dans une génération qu’un type qui est au pénitencier pour la vie soit relâché deux fois, il ne faut peut-être jamais tenter le sort, tenter sa chance, on a beau dire : « jamais deux sans trois ». Dion pouvait peut-être se demander – vous vous le demanderez – s’il aurait pu escompter sur une troisième libération.
En fin de février, il est allé à l’hôpital, et comme nous disent les médecins, une période d’accalmie normale, pour les raisons que vous avez tous devinés, s’en est suivie. Par la suite, lorsque Dion a pu reprendre les activités sexuelles de la nature que vous connaissez, il a eu, selon ce qu’il aurait rapporté aux psychiatres, ce que lui appelle des malchances, c’est-à-dire des mauvaises adresses, des mauvais numéros de téléphone, de sorte que cette période de privation ou d’accalmie s’est prolongée au-delà de ses désirs. Évidemment, il en est, je le conçois, je ne pense pas que ç’a été nié par qui que ce soit, il en est de ces désirs ou de ces besoins-là, pas aussi forts et pas aussi violents comme on vous l’a dit, mais il en est un peu comme du désir de se nourrir ou de se réchauffer si on a froid ou de boire si on a soif, et à un moment donné les besoins deviennent plus pressants.
Alors, que se passe-t-il? Selon les psychiatres, à qui Dion se serait confié, on est prêt à ce moment-là à prendre des risques, on est prêt à faire ce qu’on n’avait pas fait avant, pourquoi? Parce que les désirs sont plus forts qu’avant? Pourquoi sont-ils plus forts qu’avant? Parce qu’on a été privé? On est prêt, messieurs, à prendre des risques, et au besoin, nous disent les psychiatres, s’il faut employer la force et la violence, à cause des risques, on l’emploiera, mais le docteur Daoust, à qui j’ai demandé la question, vous a donné une réponse bien directe selon ses observations et ses examens de l’accusé.
Jamais à ce moment-là, Dion ne lui a fait mention que l’idée lui soit venue qu’il aille jusqu’à tuer. Il avait parlé de prendre des risques s’il le fallait, c’est-à-dire s’il rencontrait pour la première fois, depuis le 28 septembre, de la résistance. Rien donc, à date, qui corresponde aux monstruosités, aux horreurs, aux rêves de boire le sang aux rêves de torturer, couper en morceaux.
Le 20 avril, messieurs, c’est la première date tragique qui s’inscrit dans ce récit. Le 20 avril, 20 avril 1963, un samedi après-midi, Dion apprend aux psychiatres qu’il est venu à Québec. Mademoiselle Dionne, employée au Conservatoire de Musique, qui l’a vu, lui, le petit, près de la porte de sortie, s’apprêtant comme elle dit, s’apprêtant à sortir parce qu’il s’habillait, a dit de lui : « il était petit, il était gêné, il était timide. » Vous avez su depuis, et la preuve l’a révélé, il s’agissait de Guy Luckenuck, âgé de 13 ans, elle fut la dernière personne à le voir vivant, sauf évidemment celui entre les mains duquel il est mort.
Son corps, messieurs, comme vous l’avez su, était petit, « il était gêné, timide », son corps a été retrouvé par, comme le dit le chasseur qui s’apprêtait à la tuer, par une petite corneille. Il est de ces hasards qui vous permettent peut-être de penser qu’il y a justice en ce monde, ou que la justice a le bras long.
Dion, selon les psychiatres, leur a raconté que lui, le petit Guy Luckenuck, avait résisté, c’était la première fois qu’il rencontrait de la résistance et que c’est la première fois qu’il avait dû employer la violence et la force.
Imaginez, messieurs, qui êtes grands-pères ou qui êtes pères de famille, quelle peut être la résistance d’un enfant de 13 ans contre celui qui est assis là-bas derrière la barre de cuivre? Il a résisté et, dit toujours Dion aux psychiatres, il a plaidé, l’enfant de 13 ans a plaidé, il n’a pas plaidé une cause ordinaire, il a plaidé la cause de sa vie, la cause de sa vie. « Monsieur », disait-il, suivant ce que nous rapportent les psychiatres, « ne me tuez pas, je ne parlerai pas. » Dion réalise alors, alors, à ce moment-là, pas au mois d’octobre, pas au mois de novembre, pas au mois de mars, pas le 19 avril, mais à ce moment-là, Dion, selon le Docteur Daoust, réalisa que ses deux libérations s’écroulaient complètement.
Lorsque, messieurs, les deux libérations s’écroulent pour Dion, vous vous demanderez chacun de vous si tout ne s’écroulait pas pour lui, et quand je dis « tout », je pense à la liberté si précieuse qu’il avait acquise au prix de deux libérations incroyables, et si Guy Luckenuck parlait l’enjeu était trop fort, c’en était fini de lui et de sa liberté.
Les psychiatres nous rapportent, et même le Docteur Laurin, expert de la défense, que Dion lui a dit de faire ses prières. Selon le Docteur Laurin, ses prières, parce que Dion avait un vague souvenir de sa mère à lui lorsqu’il était jeune. Le Docteur Laurin a dit au moment où je lui posais la question, à savoir comment il se faisait qu’un animal ou un monstre pouvait faire parler un enfant, le Docteur Laurin nous a dit : « c’est parce qu’il y avait chez Dion 2% d’humain et 98% d’animal, comme si, messieurs, même avec tous les diplômes et les titres qu’un psychiatre peut avoir, comme si l’on pouvait calculer le pourcentage d’humain et d’animal, lorsqu’il s’agit, suivant ce que la preuve vous a révélé, et c’est à vous de le décider, quel est le pourcentage lorsqu’il s’agit d’envoyer au ciel un enfant en le faisant prier – ce que vous avez peut-être le droit, vous, d’appeler un ange qu’on a souillé et qu’on a flétri, en étant un perverti sexuel, ou ce que vous et moi, les gens du public, on appelle vulgairement un vicieux.
Le Docteur Daoust a dit : « ce n’était pas en pensant à sa mère que Dion l’a fait prier, c’était par pitié », m’a-t-il dit. Demandez-vous, messieurs, si c’est là le geste d’un monstre ou d’un animal, ou si c’est là le geste d’un être humain, un être humain qui a toute sa raison et qui quand même va commettre un acte odieux parce que sa propre liberté est en jeu.
« J’ai serré », dit-il, selon le Docteur Daoust, « j’ai serré autour de son cou avec mes mains de toutes mes forces. » Si ce que l’accusé a dit au Docteur Daoust est vrai, si c’est vrai qu’il a serré de toutes ses forces autour de son cou, et c’est à vous d’en décider, non pas pour juger Dion là-dessus, parce que vous n’avez à le juger que sur le meurtre du jeune Marquis, bien, messieurs, si c’est vrai ce qu’il a dit, je n’ai pu produire comme exhibit comme dans les trois autres cas, je n’ai pu produire l’arme du crime, et je ne peux pas vous l’exhiber maintenant parce que l’arme du crime – les mains – elle est là-bas derrière la rampe de cuivre.
Si ce que l’accusé a dit au Docteur Daoust est vrai, c’est alors qu’il a tué pour que l’enfant ne parle pas, et c’est alors que Dion, vous pourrez vous le demander, aurait préféré sa liberté à la vie d’un enfant de 13 ans, dont on avait dit qu’il était gêné, timide, petit, et vous me permettrez bien d’ajouter – si c’est là votre opinion – et pur …
Suivant le psychiatre, il avait trouvé cette façon de tuer pénible et cruelle, tuer avec ses mains, et contrairement, cela contrairement à ce qu’a dit le Docteur Laurin, il n’avait pas comme a dit le Docteur Laurin, atteint en tuant le jeune Luckenuck, la réalisation de ses désirs monstrueux, le summum de la jouissance sexuelle, il avait au contraire trouvé cela pénible. Il n’était pas fou, disent les docteurs Larivière et Daoust, il réalisait la nature de ses actes, il était responsable de ses actes, il distinguait le bien du mal, tant moral que légal, il était sain d’esprit, il tuait pour rester en liberté. Ça n’était pas un tigre, un taureau, un loup ou une araignée, c’était, ont-ils dit, ç’a toujours été et c’est encore un perverti sexuel, un vicieux, comme je l’ai dit pour vous et pour moi.
Puisque je parle, messieurs, des docteurs Larivière et Daoust, je n’ai pu m’empêcher de prendre note cet après-midi d’une remarque qu’a faite mon savant ami en plaidant, une remarque justement, même s’il ne les a pas nommés, une remarque à l’adresse des psychiatres de la Couronne, les docteurs Larivière et Daoust, lorsqu’il a dit à peu près ceci: "quoi de surprenant que les psychiatres, dont l’un est à l’emploi permanent du Procureur Général, dont l’autre est consultant souvent pour le Procureur Général, quoi de surprenant, ou en d’autres termes, ne fallait-il pas s’attendre à ce qu’il viennent rendre témoignage dans le sens qu’ils l’ont rendu parce qu’autrement s’ils disaient que l’accusé n’était pas sain d’esprit, quelle responsabilité grave pour la Commission des Pardons, Commission des Libérations Conditionnelles », je ne sais si vous avez remarqué, j’ai cru noter cette remarque de mon savant ami dont je ne lui tiens pas rancune d’ailleurs, « il fallait un peu s’attendre à ce que ces médecins-là viennent dire que l’accusé était sain d’esprit, sinon s’ils avaient admis sa folie, quelle grave conséquence pour la Commission des Pardons. »
Messieurs, ces gens-là, le Docteur Larivière et le Docteur Daoust, vous ont affirmé qu’ils avaient déjà dans l’exercice de leurs fonctions, trouvé des gens aliénés, avaient déjà rendu des verdicts de maladie mentale, ils ont témoigné sous serment, et, messieurs, peu importe tout le reste, ils avaient entre les mains, ces deux médecins-là, la vie d’un homme qui est devant vous, et que vous aussi vous avez entre les mains.
Je me refuse, messieurs, mais Dieu sait si vous n’avez pas à tenir compte de mes sentiments et de mes croyances, je me refuse, moi qui vous parle à croire, je revois le Docteur Larivière, je revois le Docteur Daoust, et le Docteur Larivière qui a été professeur du Docteur Laurin, le Docteur Larivière qui, étant parmi 6 000 membres du Collège de l’Institut Américain des psychiatres, quand on sait qu’il y a aux États-Unis, deux, trois, quatre ou cinq cent mille médecins, je l’ignore, je refuse à croire qu’ayant la vie d’un homme entre les mains, il soit venu ici seulement pour ne pas déplaire à la Commission des Pardons, rendre un diagnostic contraire à sa conscience et au serment qu’il avait prêté. Je me refuse à croire la même chose pour le Docteur Daoust, et quand à vous, messieurs, vous êtes les maîtres souverains, libre à vous de croire ce que vous voulez.
D’ailleurs, est-ce que le Docteur Laurin n’est pas seul à vous dire que Dion est un être irresponsable, alors, messieurs, que le Docteur Cormier, de St-Vincent-de-Paul en qui le Docteur Daoust vous a dit qu’il avait confiance, qu’il était compétent, il siège avec lui sur une commission, le Docteur Cormier, en 56, qui après avoir examiné Dion, il l’a laissé sortir de St-Vincent-de-Paul; le Docteur Scott à Kingston en 62, le Docteur Côté, le Docteur Martin de Québec, le Docteur Larivière et le Docteur Daoust, tous disent qu’il était et est encore sain d’esprit.
Si vous croyez que le Docteur Laurin a raison et que les cinq ou six médecins, dont je viens de vous donner les noms, ont tort, c’est à vous de le décider. Et, si vous donnez raison au Docteur Laurin, messieurs, c’est-à-dire si vous décidez comme lui, que Dion est un monstre à visage humain, qu’il en aurait tué d’autres, et ça, moi, qui vous parle, je le crois, qu’il en aurait tué d’autres si on ne l’avait pas arrêté le 27 mai dernier, et qui toujours selon lui, le Docteur Laurin, devrait être interné dans une institution à sécurité maximum, dont lui, le Docteur Laurin, dit qu’il peut être encore guérissable, mais que s’il devait être remis en liberté un jour, il faudrait prendre des précautions extrêmes à son sujet, eh bien je vous dis, moi qui vous parle, que si vous partagez l’opinion di Docteur Laurin, conscient de mes responsabilités, je vous demande, moi, je ne suis pas l’avocat de la défense, je vous demande moi, de l’acquitter, l’accusé, de l’acquitter pour démence, de l’acquitter pour raisons d’aliénation mentale, espérant cependant peut-être comme vous que les précautions strictes dont a parlé le Docteur Laurin, si un jour on le remettait en liberté, espérant comme vous que ces précautions-là seront prises et seront d’une extrême sévérité.
Puis, nous disent toujours les psychiatres, Dion – le Docteur Daoust – Dion n’a pensé qu’une seule fois au cours, et j’anticipe, au cours des quatre meurtres qu’il a commis, il n’a pensé qu’une seule fois à ses crimes, c’est un soir lorsque apparemment il regardait une émission de télévision qui vous montrait des images du genre de celles que vous avez vues pendant ce procès, images des victimes. Il n’a pas, comme a dit le Docteur Laurin, continué d’y penser à ces monstruosités, à ces horreurs d’un meurtre à l’autre, il n’a pas, comme a dit le Docteur Laurin, eu son esprit toujours plein de ces horreurs, de ces images de tortures et de ces meurtres afin que cette pensée lui procure la jouissance sexuelle; bien au contraire, il n’y pensait pas, et ces meurtres, nous ont dit les psychiatres Larivière et Daoust, il les regrattait, il éprouvait du remords quand il y pensait.
Le Docteur Daoust vous a dit, toujours suivant Dion, il avait eu, après le 20 avril, une aventure à Québec, aventure où il n’y avait pas eu de résistance, et aventure par conséquent où il n’y avait pas eu de violence. Pourquoi pas de violence, pourquoi pas tuer? Parce que l’on ne résiste pas, parce que l’on consent, et si l’on consent on n’a pas intérêt à trahir son partenaire – si vous me passez l’expression « partenaire » - on n’a pas intérêt à trahir parce qu’alors on se trahirait soi-même.
Alors, pas de résistance, pas de violence. Si vous croyez que c’est compatible avec l’état d’un esprit sain, tenez-en compte lorsque vous délibérerez, si vous croyez au contraire que cet incident-là prouve la folie, donnez-en l’avantage à l’accusé qui est devant vous.
« Le mardi, 30 avril », nous dit le Docteur Daoust, citant les paroles de Dion, « Dion chez lui à Pont-Rouge, fabrique une broche, fabrique une broche pourquoi, lui ai-je demandé? Pas parce qu’il va tuer, pas parce qu’il va automatiquement et nécessairement tuer, il fabrique une broche au cas où il lui fallait tuer advenant une résistance lors de la prochaine fin de semaine, il puisse le faire avec cette broche et non pas avec ses mains, parce qu’avec ses mains il avait trouvé ça trop dur et trop cruel. Son intention de tuer n’est pas là à ce moment-là, l’intention de tueur sera conditionnée par la résistance ou pas. »
Le 5 mai, une seule broche, pas deux broches, vous avez remarqué, messieurs, pas deux broches, une seule broche. Pourquoi? Parce que l’on ne s’attend pas d’en rencontrer deux, on espère n’en rencontrer qu’un et on en rencontre deux. Deux, qu’ils nous ont dit, les témoins les ont vus vivants pour la dernière fois, deux qui étaient jeunes, 10 ans, 8 ans, qui étaient joyeux, qui étaient gambadants [sic], qui étaient souriants et agaçants, deux que l’on voit pour la dernière fois s’en aller vers l’escalier, vers les Plaines d’Abraham, vers l’escalier qui conduit à la rue Champlain, et vous pourrez peut-être ajouter, vous qui êtes maîtres des faits, s’en allant vers les Plaines d’Abraham et s’en allant vers la mort.
Ils se sont fait, eux aussi, nous rapportent les experts qui ont interviewé Dion, ils se sont fait eux aussi photographier par un kodak mort, un kodak qui n’avait pas de film, un kodak qui ne prenait pas de photographies. Le récit, je ne veux pas y revenir, messieurs, dans les détails, vous vous rappelez l’incident de la mort, le Docteur Laurin qui a témoigné, a dit une première fois en examen en chef : « Dieu s’était servi de cette roche-là pour s’acharner, le plus jeune, celui qui avait eu la broche autour du cou, par jouissance il frappait à coups redoublés avec la roche au paroxysme de sa jouissance? En contre-interrogatoire, au moment où je le questionnais, révisant ses souvenirs, il vous a dit, messieurs : « il a frappé avec la roche pour s’assurer qu’il était mort. » Lorsque le Docteur Daoust a témoigné, il vous a rapporté, lui, les paroles suivantes de Dion : « je le frappais avec la roche parce qu’il avait grouillé malgré la broche, et je n’étais plus capable de le voir souffrir. »
Sont-ce là les paroles et les gestes d’un monstre, d’un monstre horrible, d’un monstre à visage humain, ou si ce sont là – et je le donne au crédit de l’accusé, vous aurez à juger – est-ce que ce sont là les réactions normales de quelqu’un qui souffre de faire souffrir, quelqu’un qui n’est plus capable de voir de ses yeux, ou d’entendre de ses oreilles les soubresauts, ou les lamentations de ceux qu’il tue, est-ce là le geste d’un animal ou le geste d’un homme, si horrible soit-il?
Cette fois-là, messieurs, ç’a pris bien peu, les objets qui ont déjà été produits dans cette cause, une briche dans un cas, avec un clou de quatre pouces, cinq pouces à chaque bout, une broche autour du cou du jeune Morel, la broche préparée d’avance, cette broche-là a été la différence, pour le jeune Michel Morel, la différence entre la vie et la mort.
Dans le cas du jeune Carrier, parce que l’on ne croyait pas en rencontrer deux, il a fallu improviser, cette corde-là qui a été produite comme exhibit et qui a fait la différence entre la vie et la mort.
Messieurs, vous vous rappelez l’incident qui vous a été raconté, suivant le Docteur Laurin, lorsque des intrus sont arrivés, rien de sexuel n’était encore commencé entre les deux petites victimes et Dion, et que Dion est allé chasser ou éloigner les intrus. Suivant ce qu’il a raconté au Docteur Daoust, les choses étaient commencées, les personnes étaient nues, et le kodak que vous avez le droit, vous autres, vous autres seuls, d’appeler kodak diabolique, kodak meurtrier prenait ces fausses photographies, et suivant ce que rapporte le Docteur Daoust, Dion dont les impulsions étaient si irrésistibles, si impétueuses, si monstrueuses, a eu le sang-froid, le calme pour retarder l’exécution de ce qu’il allait faire, se rhabiller, aller chasser les intrus et revenir tout calmement rachever [sic] le travail dont vous connaissez le triste résultat. Et aussi, il les a fait prier et aussi il leur a dit de prier avant qu’il ne les tue. La preuve ne dit pas quelles prières ils ont dites, mais vous pouvez vous demander quelles prières connaissent et récitent en de telles occasions des enfants de 8 ans, des enfants de 10 ans.
Est-ce, encore une fois, je vous le demande, l’acte d’un fou que de faire prier un enfant après que de les avoir souillés et de les avoir flétris, que de les faire prier avant qu’ils meurent?
Derome a été entendu, je vous ai dit tout à l’heure qu’il y a de ces hasards dans la vie, Derome a été entendu, qui est passé là, qui a vu l’automobile, il a noté le numéro de licence et il vous a dit : « je n’ai pas été voir dans la cabane dont la porte était toujours débarrée. » S’il avait été dans la cabane, que se serait-il produit? Personne ne le saura jamais, messieurs, mais vous pouvez maintenant répondre à la question, toujours sur la question de preuve d’actes similaires, vous pouvez peut-être répondre à la question que vous vous êtes peut-être posée : « où était Dion et où étaient le petit Morel et Carrier lorsque Derome a vu l’automobile de Dion cachée dans le bois?
Vous vous rappelez le témoignage du Docteur Larivière qui vous parlait des gens atteints de psychose, des schizophrènes, est-ce que les fous se cachent, est-ce que les fous cachent leur automobile, est-ce que les fous se cachent eux-mêmes quand ils tuent, ou si ce sont les êtres sains d’esprit qui se cachent quand ils tuent même si c’est horrible de tuer?
Messieurs, la quatrième et dernière date tragique, celle du 26 mai, dimanche, le 26 mai 1963, ça n’est plus les psychiatres à ce moment-là, ça n’est plus Dion à ce moment-là, c’est un témoin direct, ce sont des témoins directs, des témoins visuels qui viennent vous dire, Ouellet, père et fils, que Dion était à Québec dimanche le 26 mai et samedi le 25. Il avait un carnet de banque, et je vous le dis encore une fois, il est dans la vie de ces hasards, et quand je parle de hasards, je pense comme vous y avez peut-être pensé, et c’est à vous d’ailleurs qu’il appartient de penser à ça, pas à moi, je pense au jeune Ouellet que vous avez vu là vivant, vivant, grâce à qui, grâce à quoi? Mais, son père nous raconte que lorsqu’il l’a envoyé au téléphone parler à l’accusé à la barre en vue de le faire venir pour pouvoir le reconnaître et l’identifier et le pourchasser, comme il a dit. Vous avez entendu comme moi le père du jeune Ouellet, « il tremblait », disait-il, « il tremblait de parler à Dion au téléphone. » Vous avez le droit et c’est votre rôle de vous demander, alors que lui tremblait au téléphone et donc vous avez vu les photographies comme la police les a vus lorsque on les a retrouvés, vous vous demanderez, messieurs, si ces enfants-là ont dû et ont pu trembler.
Dion est vu la dernière fois laissant le jeune Ouellet et son père, ayant menti – si c’est la conclusion que vous en tirez – à l’un ou à l’autre, parce que au jeune Ouellet il avait dit la veille qu’il devait le faire travailler pour gagner de l’argent, demandons-nous quel travail et quel argent, et au père il dit qu’au contraire il devait amener son fils au Colisée voir le cirque. Demandons-nous quel cirque? Il avait menti à l’un ou à l’autre – c’est à vous de le décider – il est vu se dirigeant vers Québec, vers une heure, dimanche, le 26 mai.
Le même jour, vers la même heure, vit à Québec, on peut bien dire un enfant, messieurs, parce que à 13 ans on est un enfant, vit à Québec un enfant du nom de Pierre Marquis dont vous avez vu témoigner tour à tour les frères et la mère, qui lui voit sa maman pour la dernière fois, et qui se dirige vers la plage au Foulon, à Québec, un endroit qui n’est pas plus éloigné que d’un mille ou d’un demi-mille, ou deux milles au maximum de l’endroit où trois déjà avaient été vus vivants pour la dernière fois, il se dirige, et sa mère qui est veuve, et qui, comme on nous l’a conté, doit calculer, lui remet, comme elle le fait habituellement, deux billets d’autobus d’écolier vierges, deux billets, dit-elle, que j’avais achetés il y a peu de temps.
Vous avez entendu un employé de la compagnie d’autobus de Québec qui a produit la liste et les numéros des billets qui avaient été vendus justement il y a peu de temps, incluant un billet d’un certain numéro; le jeune Pierre Marquis avait deux billets lorsqu’il est parti de chez lui, il y a tout lieu de présumer, quand je dis le jeune Marquis, c’était le numéro 4, il y a tout lieu de présumer qu’il s’est servi d’un des deux billets, et son deuxième billet, messieurs, je pense, c’est à vous d’en juger, je pense que la preuve révèle qu’il ne s’en est jamais servi.
Lorsque les policiers mirent la main sur le porte-monnaie de Dion, porte-monnaie qui a été produit devant vous, ils ont trouvé à l’intérieur un billet d’écolier vierge, neuf, portant un numéro compris dans la liste de ceux qui avaient été vendus quelques jours auparavant, c’est à vous de vous demander à qui ce billet-là, si c’était à Dion, s’il devait s’en servir, où il l’avait pris, et d’où il venait. Ce n’est pas seulement un billet, messieurs, que l’on retrouvera, mais c’était aussi le porte-monnaie avec un petit chien, porte-monnaie d’enfant qui a été trouvé caché sous un rembourrage de fauteuil chez Dion, le porte-monnaie de Pierre Marquis, identifié comme tel, pourquoi le cacher, pourquoi avoir caché la chaîne de clefs, pourquoi avoir caché les clefs dans la terre à l’endroit même, ou à peu près où était la première victime? Pourquoi cacher lorsqu’on est fou, lorsqu’on est monstre, lorsqu’on ne réalise pas du tout ce que l’on fait, lorsqu’on n’est pas du tout responsable de ses actes, lorsqu’on ne connaît pas la nature de ses actes, lorsqu’on tue sans s’en rendre compte, lorsqu’on tue par horreur, par sadisme ou par monstruosité, alors pourquoi cacher la preuve? On est irresponsable ou ne l’est pas.
Si moi, qui vous parle, je suis irresponsable, je le suis pour tout, je me foute de ce que je fais aux autres, et je me foutes de ce que l’on me fait, je n’ai pas la notion du bien et du mal, si je ne sais pas que faire telle chose c’est bien et que faire telle chose c’est mal, si je ne sais pas qu’en frappant fort avec la main sur cette rampe ça va me faire mal, eh bien alors, je vais la frapper, messieurs, et si je ne sais pas qu’en serrant le cou d’un autre je lui fais mal et je le tue, et puis que ça ne me fait absolument rien et puis que je n’en ai pas la responsabilité, ça ne me fait pas plus mal, ou ça ne me fait rien à moi non plus, qu’on me le serre le cou, messieurs.
Je réalise ou je ne réalise pas, je suis fou ou je ne le suis pas.
Vous avez entendu les psychiatres, je ne veux pas y revenir, ce sont les objets qui appartenaient à Pierre Marquis, et vous savez ce que la preuve a révélé.
Le Docteur Desrochers qui a témoigné vous a dit : « il avait sur la bouche du diachylon, il avait autour du cou un tissu assez lâche, dans lequel il y avait du jeu, qui, vous vous le demanderez, n’était peut-être pas assez serré pour étouffer ou étrangler, et vous avez entendu également les policiers vous raconter que Dion leur avait indiqué à l’avance que peut-être ils pourraient trouver non loin de la fosse du jeune Marquis une corde.
Vous vous rappelez ce que les policiers ont conté alors que l’on creusait et déterrait le corps du jeune Marquis, Dion, l’accusé lui-même, s’est rendu au pied d’un arbre, a trouvé ou a exhibé aux policiers cette corde; je ne puis pas vous dire à quoi elle a servi, cette corde, je n’ai pas le droit de vous le dire ni ne puis vous le dire parce que ce n’est pas en preuve, mais vous, par exemple, c’est votre droit et votre devoir de vous demander à quoi a servi la corde que j’ai entre les mains, si elle a servi à rien, si elle a servi à garder la vie ou si elle a servi à donner la mort.
Messieurs, toujours suivant ce qu’a dit le Docteur Daoust, et le Docteur Laurin, Dion l’appelait, lui, « Pierre au cœur de lion ». Pourquoi « Pierre au cœur de lion »? Parce que, dit-il, il avait résisté farouchement; un enfant de 13 ans, et face à la mort résiste farouchement, je vous demande encore, comme tout à l’heure, comment un enfant de 13 ans peut-il résister à l’accusé qui est là-bas à la barre, l’accusé que vous avez devant vous depuis le début du procès, l’accusé dont la photo a déjà été produite, « Pierre au cœur de lion », disait-il, il l’a trouvé admirable, je ne me rappelle pas exactement les mots employés par le Docteur Daoust, il a admiré son courage, et même après sa mort il se rappelait de lui lorsqu’il était vivant, et le Docteur Laurin vous a dit : « il a plaidé, le petit Marquis. »
Il a plaidé, lui aussi une cause, pas comme celle que je plaide devant vous, messieurs, pas comme celle que plaident les avocats, la cause de sa vie, et Dion, dit-il, a hésité un instant.
Le Docteur Laurin vous a dit : « il a hésité parce que lorsque le petit Marquis lui parlait de sa mère, il lui disait : « épargnez-moi pour ne pas que maman ait de la peine », lui, Dion, a dit le Docteur Laurin, a pensé un instant, à sa propre mère, il a eu une seconde d’hésitation.
Si vous croyez, messieurs, que c’est pour ça qu’il a hésité, libre à vous, vous êtes les maîtres absolus, si vous croyez au contraire qu’il a hésité parce que devant tant de courage, tant de ténacité, tant de bravoure et tant de pureté, libre à vous.
Mais, est-ce que ce sont les animaux et les monstres, messieurs, qui hésitent avant de tuer? Est-ce que le loup, messieurs, avant de tuer la brebis … est-ce que le loup pense à la mère de la brebis ou à sa mère à lui? Je regrette de parler tel langage mais je parle le langage que mes oreilles ont entendu. Est-ce que le taureau hésite lorsqu’il fonce sur sa proie, est-ce que le tigre hésite, est-ce que le tigre a pitié de sa proie? Ça peut paraître étrange qu’un avocat de la Couronne vous pose de telles questions, mais je vous les pose, messieurs, parce que je crois humblement que ce sont des questions que l’on peut se poser après les témoignages qui ont été rendus par certains experts.
Si vous croyez que non, si vous croyez que les animaux n’hésitent pas lorsqu’ils ont faim et qu’ils tuent pour manger, si vous croyez que Dion n’a pas hésité parce qu’il est un animal ou parce que lui a pensé à sa mère, il était bien temps de penser à sa mère. Si vous croyez qu’il a hésité parce qu’il avait devant lui la bravoure, le courage et la pureté, demandez-vous si c’est le geste d’un homme raisonnable, d’un homme sain d’esprit, et si vous en venez à la conclusion, si vous en venez tous et chacun d’entre vous – parce que vous devez être d’accord quand vous rendrez verdict, sinon c’est un désaccord et il n’y a pas de verdict – si vous en venez tous à la conclusion que c’était l’acte d’un être raisonnable et sain d’esprit, vous devez, messieurs, aller jusqu’au bout et prendre vos responsabilités.
Voilà, messieurs, à peu près, voilà à peu près le récit, Dieu sait si j’en saute des bouts, vous l’avez entendu si souvent, voilà à peu près le récit de quatre événements tragiques, quatre dates, 20 avril, 5 mai, 26 mai, et toujours à chacune et à l’une ou l’autre de ces quatre dates.
Quand on en a tué un, messieurs, et le raisonnement a été fait devant vous, quel était l’enjeu lors du premier meurtre? L’enjeu, c’était que si le jeune Luckenuck parlait, tout en restant en vie, évidemment, pour parler, c’était le retour au pénitencier. Si ensuite on l’avait tué, l’enjeu changeait, messieurs, si on l’a tué pour ne pas qu’il parle, pour ne pas retourner au pénitencier pour la vie, demandez-vous chacun de vous si l’enjeu n’a pas changé, si le danger n’est pas plus grand, pourquoi? Parce que à ce moment-là si le deuxième parle ce n’est plus peut-être seulement le pénitencier pour un acte d’homosexualité avec violence que l’on va avoir, parce que si le deuxième parle ce sera l’acte d’homosexualité et le meurtre du premier qu’on aura, et ce n’est plus le même enjeu parce que, messieurs, la sanction du meurtre n’est pas la sanction de l’homosexualité, la punition du meurtre n’est pas la punition de l’homosexualité, et ce n’est plus peut-être à ce moment-là notre vie qu’on sauve en tuant, ce n’est plus peut-être … je veux dire notre liberté qu’on sauve en tuant, c’est peut-être notre vie que l’on sauve en tuant, et si j’ai tué deux fois, messieurs, et que je sois placé dans l’occasion où je fasse encore, où j’ai encore devant moi la résistance, eh bien, messieurs, je devrai tuer trois fois si je suis logique et si je suis sain d’esprit, parce que rendu à la fois numéro trois ce n’est plus deux actes d’homosexualité et deux fois ma liberté que je sauve, c’est peut-être encore une fois ma vie mais pour deux raisons, et quand arrive la quatrième fois c’est la même chose, et quand arrive la quatrième fois c’est la même chose[1], et je suis d’accord avec les psychiatres lorsqu’ils disent que si Dion n’avait pas été arrêté peut-être qu’à chaque samedi ou à chaque dimanche qu’il y a là sur le calendrier du printemps et de l’été dernier, il y aurait des dates tragiques, il y aurait des petits cadavres.
Mais, c’est à vous de décider, et ce n’est pas là, évidemment, le verdict que vous allez rendre parce que vous avez à rendre un verdict que pour une accusation de meurtre, celle du 26 mai, mais vous pourrez vous demander chacun de vous autres, en vos âmes et consciences, et en vous servant de votre intelligence et de votre honnêteté intellectuelle, si chacun, que ce soit 10, 20 ou 30 autres petits cadavres qui auraient suivi au cours de samedis et de dimanches tragiques, auraient été tués, parce que Dion jouissait et atteignait le paroxysme de l’horreur et de la jouissance en tuant, ou si c’est parce qu’il aurait fallu, ayant commencé à tuer pour qu’ils ne parlent pas, qui continue de tuer pour qu’ils ne parlent pas, ceux qui auraient suivi. C’est une question que vous avez le droit de vous demander.
Messieurs, les psychiatres en ont dit suffisamment, mon savant ami vous en a dit suffisamment, la Cour vous donnera les éclaircissements que je vous invite à suivre, et c’est d’ailleurs pour ça que je ne vous ai pas parlé de droit, c’est pour ça que je ne vous ai pas parlé de l’article 16 du Code criminel qui parle de l’aliénation mentale.
La Cour vous parlera de droit et je vous invite à faire ce que j’ai essayé d efaire moi-même, écoutez-le, suivez-le, suivez la Cour et dirigez-vous en droit sur le chemin que vous tracera la Cour.
Messieurs, les psychiatres vous en ont dit assez que je ne crois pas qu’il faille en dire davantage sur la question de l’état d’esprit de l’accusé.
Messieurs, vous êtes douze jurés, vous venez tous peut-être de douze endroits différents, vous avez peut-être un âge différent, il y en a parmi vous qui ont des enfants, il y en a parmi vous qui ont des petits-enfants, il y en a parmi vous qui ont métier, l’autre a un autre métier, vous avez tous vos idées et votre conception et votre raisonnement.
C’est merveilleux, messieurs, l’institution du jury. Pourquoi? Parce qu’on a demandé à douze hommes libres, douze citoyens libres de notre pays, de remplir comme je le disais il y a un instant, une fonction et un rôle sacrés, celui d’être juges, une fonction redoutable dans certains cas comme dans celui-ci, celui de décider du sort d’un de vos semblables.
C’est merveilleux, messieurs, parce que c’est là l’expression même peut-être la plus admirable de ce qu’est la démocratie d’un pays libre.
Et, pourquoi, messieurs, l’on prend douze personnes comme ça venant de n’importe où, de n’importe quel âge ou profession, ou condition, pourquoi? Parce que, messieurs, vous représentez, comme je l’ai dit, l’ensemble de la société, et dans la société, et chez chacun de vous douze il y a de l’honnêteté, vous avez une conscience, vous avez une âme, vous avez une intelligence, vous avez le sens de vos responsabilités et vous avez l’expérience de la vie.
J’en vois parmi vous qui étaient mariés sûrement bien avant que celui qui vous parle soit au monde, vous avez l’expérience de la vie que moi je n’ai pas, et ce n’est pas moi à juger l’accusé, c’est à vous, ce n’est pas à la Cour à juger l’accusé, c’est à vous, messieurs.
Messieurs, je vous demande de faire votre devoir, s’il est agréable, votre devoir, tant mieux, s’il est pénible, messieurs, je ne puis rien y changer, je ne pourrais rien y changer, c’est vous et vous seuls qui le savez; je vous demande de le faire jusqu’au bout, et, messieurs, si la preuve hors de tout doute raisonnable, si la preuve vous convainc, tous et chacun d’entre vous, que l’accusé a commis l’acte qu’on lui reproche et pour lequel on l’accuse de meurtre qualifié, si vous êtes convaincus tout et chacun d’entre vous, vous douze que vous êtes, qu’en commettant cet acte il était sain d’esprit, qu’il distinguait le bien du mal, il connaissait la nature et la portée de son acte, si tous, vous douze êtes d’accord, hors de tout doute raisonnable, doute raisonnable que la Cour vous expliquera beaucoup plus savamment que je pourrais le faire, eh bien, alors, messieurs, l’addition est simple, je vous demande de faire votre devoir et de trouver l’accusé coupable de l’accusation portée contre lui.
Si au contraire, vous n’arrivez pas à cette conclusion-là, eh bien, alors, messieurs, rendez un verdict que vous croyez suivant la preuve et en conscience, vous devrez rendre suivant le serment que vous avez prêté.
Mais, messieurs, ce n’est pas agréable ce que je vous dis, mais je dois tout de même le dire parce que je crois que c’est de mon devoir, parce que, messieurs, je ne représente pas ici, je ne représente pas un individu, je représente la société dont vous êtes, je représente tous ceux qui sont dans cette Cour, je représente la population et la société.
Si vous deviez rendre un verdict basé sur la preuve, hors de tout doute raisonnable, dont doit bénéficier l’accusé s’il y en a un, un verdict de culpabilité de meurtre qualifié dans le présent cas de Pierre Marquis, demande vous sera faite ensuite par la Cour, qui est obligée de le faire parce que c’est la loi qui le dit, demande vous sera ensuite faite, à savoir si vous recommandez oui ou non l’accusé à la clémence, je crois qu’il est de mon devoir de vous dire et de vous demander, messieurs, à ce moment-là de ne pas atténuer, ou amoindrir, ou affaiblir l’effet de votre verdict en répondant dans l’affirmative.
Vous avez, messieurs, des enfants, ou des petits-enfants, il y en aura toujours sur nos plages, il y en aura toujours sur les Plaines d’Abraham et ailleurs, vous devez, comme jurés, penser à ce que la preuve a révélé, vous avez le droit de tenir compte des hypothèses, des situations futures dont vous ont parlé les psychiatres.
Je vous demande, messieurs, de juger sans pitié et sans faiblesse, je vous demande de juger par contre sans vengeance et sans colère. Peut-être aurez-vous à l’esprit dans vos délibérations l’idée d’autres êtres humaines qui ne sont plus parmi nous, et qui eux, probablement ou sûrement, n’ont pas de vengeance, n’ont pas de colère, puissent-ils vous inspirer et puisse la Providence vous inspirer afin que vous rendiez un verdict basé sur la preuve, selon votre conscience et suivant le serment que vous avez prêté.
[1] J’ai respecté l’authenticité des transcriptions, car Me Bienvenue répète effectivement sa phrase deux fois.
Directives du juge Lacroix aux jurés lors du procès de Dion:
Messieurs les jurés, avant de vous donner les directives légales qui s’imposent, je crois qu’il est dans l’ordre de remercier les procureurs, tant du ministère public que de la défense, des bons mots qu’ils ont eus tous les deux, très généreusement d’ailleurs, à l’adresse du juge, du président du Tribunal.
J’ai l’impression que ça console quelque peu des lâches et basses attaques qui sont faites quelquefois contre les juges par des gens qui ont assez de courage pour savoir que les juges ne peuvent pas descendre dans l’arène pour leur répondre.
Alors, messieurs, je vous remercie, c’est un peu de baume qui fait du bien à l’occasion. Et à mon tour, je tiens à vous offrir les remerciements à la Cour pour la façon digne et honnête avec laquelle vous avez accompli tous les deux votre mandat : un pour la société, l’autre pour la défense.
C’est une immense consolation de voir que les membres du Barreau, et c’est tout à l’honneur du Barreau, ont à ce point la compréhension de leur devoir et le courage, d’abord de l’accomplir tel qu’il doit être accompli, surtout lorsque tout ceci est servi par une compétence et une intelligence dont nous avons eu les exemples manifestes durant les jours de ce procès.
Le rôle des avocats c’est de mettre devant les juges, que ce soit les jurés ou les autres juges, des faits et de demander aux personnes en autorité de voir à ce que justice soit faite uniquement. Vous l’avez fait sans passion, messieurs, vous l’avez fait d’une façon loyale – oh, il y a bien des fois des petites étincelles, c’est inévitable dans chaque débat – mais je vous remercie de votre travail et de la dignité avec laquelle vous l’avez accompli.
Quant à vous, messieurs les jurés, nous arrivons ce matin au terme, évidemment, d’une expérience qui est longue, qui est fatigante et qui, peut-être, comporte certains avantages dans un sens très large, dans le sens que c’est une expérience humaine qui, peut-être, vaut la peine d’être vécue.
Pendant les trois semaines qui se terminent, vous avez été élevés à la dignité de juges, et vous devez sentir maintenant que vous avez non seulement la dignité de juges, mais que vous avez aussi la responsabilité des juges. Et cela vous fait mieux comprendre quelle est la grandeur d’une part, mais quelle est aussi la lourdeur de la tâche quotidienne que nous sommes appelés à accomplir ici au Palais de Justice. Et, vous l’avez fait d’une façon qui est toute à votre honneur.
J’ai suivi la manière attentive que vous avez apportée aux débats. Vous avez consenti même des séances du soir qui étaient fatigantes; vous les avez acceptées généreusement, et tout ceci est une marque infaillible à l’effet que vous avez conscience du devoir que vous avez accepté, et que vous voulez donner l’exemple, comme vous l’avez fait d’ailleurs, que vous voulez l’accomplir en honnêtes hommes et en vous rappelant le serment que vous avez prêté.
Alors, messieurs, au nom de la société, je vous remercie, et au nom du Tribunal aussi je vous remercie de cette attitude et de cette conduite que vous avez eues.
Dans l’état actuel de notre loi, messieurs, je suis obligé de vous donner, évidemment, des directives.
Je ne le fais pas parce que j’ai le désir personnel de vous faire un exposé de droit, c’est la loi qui m’y oblige. Et je ne ferais pas mon devoir si je ne vous donnais pas ces directives sur les points sur lesquels vous devez être instruits.
La loi criminelle telle qu’édictée maintenant par le chapitre 44, 9-10 Elizabeth II, stipule qu’il y a deux espèces de meurtres qui peuvent être commis. Dans les deux cas, évidemment, ce sont ce que l’on appelle des homicides coupables.
Et je vous donnerai, au sujet de ces deux espèces de meurtres, les explications nécessaires. Mais avant de le faire, je crois qu’il est dans l’ordre de vous informer d’abord de ce que c’est qu’un homicide et ce que la loi exige pour qu’un tel homicide puisse devenir un homicide coupable.
L’accusation qu’on vous a lue, et que je me dispenserai de vous relire, puisque vous en connaissez la teneur, et qui comporte en somme ce que vous savez pour l’avoir entendu tout le temps du procès, en est une de meurtre qualifié.
Et, dans notre loi, le meurtre qualifié est un homicide coupable. Il peut y avoir des cas – ça, vous le savez évidemment, l’expérience de la vie est là – des cas où le fait de tuer un être humain, tout en étant homicide, n’est pas nécessairement un homicide coupable. Vous avez le cas du pur accident, supposons; vous avez le cas du soldat qui tue l’ennemi au combat; ce sont des gens qui tuent des êtres humaines, mais qui ne font pas des homicides coupables.
Il y a donc lieu, en droit, de vous indiquer comme première directive qu’est-ce que c’est qu’on entend par un homicide, et comment notre loi a ensuite divisé et qualifié les différentes espèces d’homicides qu’on peut avoir.
L’article 194 du Code criminel définit l’homicide en disant que c’est le fait de tuer un être humain, directement ou indirectement par quelque moyen que ce soit.
Alors, l’homicide, c’est donc le simple fait de tuer, parce qu’à ce moment-là on n’y attache pas les caractéristiques de culpabilité ou de non-culpabilité. L’homicide, c’est le fait d’enlever la vie à un être humain (homo occidere). Et la loi ensuite, va diviser cet homicide-là. Elle va considérer le fait de tuer et va diviser cet homicide-là en homicide qui peut être coupable d’un côté et non-coupable de l’autre.
C’est ce que dit le paragraphe 2, de l’article 194 que l’homicide, le fait d etuer, peut être coupable ou non-coupable. Et, le paragraphe 3 du même article déclare en toutes lettres que l’homicide qui n’est pas coupable – l’accident, supposons, celui qui est condamné ou qui est autorisé par la loi – ne constitue pas une infraction – c’est-à-dire que ce n’est pas un crime, évidemment. Cela va de soi, parce que si j’ai enlevé la vie à quelqu’un, et dans les circonstances que je viens de vous indiquer, c’est-à-dire dans des circonstances purement accidentelles, ou parce que je suis en service commandé et que mon devoir m’oblige de tirer sur un ennemi, supposons, eh bien alors cela va de soi que ce n’est pas un crime.
Mais, à côté de l’homicide non-coupable, le même article 194 nous explique ce que c’est qu’un homicide coupable. Et, en faisant cette distinction-là, en ce qu’il est d’une part non-coupable et d’autre part coupable, le paragraphe 4, de l’article 194, décrète qu’un homicide qui est coupable, c’est-à-dire celui qui résulte d’un acte illégal ou omission d’un devoir légal, c’est précisément cet acte illégal qui entraîne la mort d’un individu ou l’omission d’accomplir un devoir légal qui va rendre l’homicide coupable, qui va lui donner les caractéristiques du coupable.
À son tour, la loi rend l’homicide coupable maintenant. Elle dit « cet homicide qui peut être coupable parce qu’il résulte d’un acte illégal », on va le diviser en trois espèces. Il peut y avoir le meurtre, en premier lieu, c’est l’homicide qui est accompli avec l’intention de tuer; en deuxième lieu, vous avez l’homicide involontaire coupable ou le « manslaughter », c’est-à-dire celui qui résulte d’un acte illégal mais qui a été accompli sans intention de tuer, et vous avez une troisième espèce qui ne nous intéresse pas, pour les fins de la présente cause, c’est l’infanticide qui couvre la question des bébés que l’on ferait tuer à leur naissance.
Maintenant, le paragraphe 5, de l’article 194, nous indique quelles sont les caractéristiques de l’homicide coupable et comment il peut être commis. Le paragraphe 5 dit : « une personne qui commet un homicide coupable lorsqu’elle cause la mort d’un être humain : première, au moyen d’un acte illégal : deuxièmement, par négligence criminelle. Il y a d’autres cas, mais qui ne nous intéressent pas. Alors, ces deux moyens-là sont à remarquer au moyen d’un acte illégal ou par négligence criminelle. Ce sont là les deux caractéristiques, l’une ou l’autre peut rendre coupable d’homicide, et qui peuvent en faire, selon le cas, selon l’intention qui conditionne ou déclenche cette action, soit un meurtre, soit un « manslaughter ».
Alors, je me résume, messieurs, en disant ceci : premièrement, que le fait de tuer un être humain peut être un homicide non-coupable s’il est justifié, commandé, autorisé ou accidentel; deuxièmement, le fait de tuer un être humain peut être coupable s’il est le résultat d’un acte illégal ou l’omission d’un devoir légal. Enfin, si cet homicide est coupable, on va pouvoir, comme je le disais il y a un instant, en trouver différentes espèces qui sont celles que je vous indiquais.
Avec notre système de loi tel qu’il existe au moment où je vous parle, vous avez premièrement, dans les espèces d’homicides coupables, ce que l’on appelle le meurtre qualifié.
Ce meurtre qualifié, il est caractérisé, évidemment, par l’intention de tuer. Il n’y a pas de meurtre s’il n’y a pas d’intention. Mais, en plus de l’intention de tuer, le meurtre qualifié – celui qui est mentionné dans l’acte d’accusation que vous avez devant vous – doit être caractérisé par le projet que l’on fait de tuer, de propos délibéré dans l’accomplissement de l’acte, la préméditation, et ça pour meurtre qualifié.
Vous avez à côté de ça, maintenant le meurtre non qualifié qui comporte lui aussi, évidemment, l’intention de tuer au moment du meurtre, mais dans lequel il n’y a pas de projet, il n’y a pas de préparation qui caractérisent, par ailleurs, le meurtre qualifié.
Et, vous avez en troisième lieu le manslaughter ou l’homicide involontaire coupable, où la mort va résulter d’un acte illégal, d’abord, mais cet acte aurait été accompli sans l’intention de tuer.
Avant le 13 juillet 1961, on accusait une personne tout simplement d’avoir commis un meurtre. On ne parlait pas de meurtre qualifié ou non. C’était la seule accusation que l’on portait lorsqu’il s’agissait d’un assassinat que l’on jugeait volontaire. Depuis le 13 juillet 1961, c’est-à-dire que depuis l’amendement qui a été apporté à notre loi par 9 et 10 Elizabeth II, chapitre 44, le Parlement canadien a maintenant décrété qu’il y a deux espèces de meurtres.
Il serait peut-être plus juste de dire, au lieu de dire deux espèces, deux manières de commettre le meurtre, et que ces manières peuvent se différencier l’une de l’autre par des éléments de projet, des éléments de préméditation malicieuse qui doivent exister dans le cas du meurtre qualifié, et qui n’existent pas dans l’autre cas, c’est-à-dire dans le cas du meurtre non qualifié.
La loi dit donc ceci : une personne commet un meurtre qualifié – et remarquez bien les expressions – lorsque ce meurtre est projeté, qu’il est commis, qu’il est commis de propos délibéré – en anglais on dit : « planned and deliberate ».
Je soumets, messieurs, que la distinction qui peut être faite entre le meurtre qualifié et le meurtre non qualifié, le meurtre simple, pourrait être la suivante : dans les deux cas – et évidemment, je prends la responsabilité des paroles que je prononce maintenant, et les directives que je vous donne – dans les deux cas, soit celui du meurtre qualifié ou de non qualifié, il faut évidemment chez l’accusé, au moment du meurtre, l’intention de tuer. Car, s’il n’y a pas d’intention, il n’y a pas de meurtre.
Dans le cas du meurtre qualifié, celui qui est le plus grave en loi, la manière qui est la plus grave de commettre le meurtre, il faut que vienne s’ajouter à cette intention de tuer un élément de raisonnement, de réflexion, un élément de préparation qui démontre bien que cet acte est projeté et que c’est ça que l’accusé veut commettre. La loi dit que le meurtre est qualifié parce qu’il est projeté et qu’il est commis de propos délibéré.
« Projeter », en français, c’est synonyme ou encore ça veut dire : concevoir, imaginer, méditer, préparer, ourdir, tramer, ou encore tout simplement préméditer, méditer avant, préméditer; çà, c’est un meurtre projeté.
J’y ai pensé, j’ai ourdi des projets, j’ai conçu des manières de commettre le meurtre; j’ai imaginé ce qui pourrait arriver, et je prends des précautions pour pouvoir réussir dans mon projet; tout ça c’est du meurtre qualifié qui, évidemment, démontre l’intention, mais l’intention strictement malicieuse.
C’est ce projet précisément, c’est cette préparation à l’accomplissement du meurtre qui fait du meurtre qualifié un meurtre que le législateur dit qu’il est plus grave qu’un autre. Parce que, évidemment, s’il est projeté, il est malicieux. En plus d’avoir l’intention de tuer, il y a un élément de malice qui s’ajoute à ça.
Il n’est pas nécessaire, messieurs, que cette préparation – et remarquez bien mes paroles – il n’est pas nécessaire que cette préparation dont je vous parle, cette réflexion, cette préméditation dure depuis des mois, mais non, qu’elle dure depuis bien longtemps.
Elle peut exister dans les heures, dans les moments qui précèdent le meurtre; du moment qu’avant le meurtre l’acte, je projette comment le faire et que c’est ce projet-là que j’accomplis. Et si la Couronne établit que pendant ce temps, qu’il soit long ou qu’il soit court, l’accusé a réellement projeté le meurtre et qu’ensuite il l’a commis de propos délibéré, c’est-à-dire volontairement, en exécution du projet qu’il avait fait, alors là, il n’y a pas de problème, il n’y a pas de discussion, çà c’est le meurtre qualifié.
On peut supposer, messieurs, le cas de celui qui recherche sa victime, et quand je dis qu’il recherche la victime, ça ne veut pas dire que c’est une victime identifiée. Il projette de tuer quelqu’un qu’il pourra rencontrer sans savoir, peut-être, qui est-ce que ça va être? Mais il veut tuer quelqu’un si telle et telle circonstance, si telle et telle circonstance se produisent; qui fait des menaces, qui se cache pour le surprendre, qui prépare des pièges pour l’attraper, des guet-apens, etc., etc., ce sont là des indices qui démontrent bien l’existence d’un projet et qui est exécuté ensuite de propos délibéré, projet qui est d’attenter à la vie d’un être humain.
Dans le cas du meurtre non qualifié, a loi dit au paragraphe 3 de l’article 202-A que tout meurtre autre que le meurtre qualifié, celui que je viens de vous décrire, est un meurtre non qualifié.
Ceci veut dire que dans le cas du meurtre non qualifié il faut nécessairement, encore ici, cela va de soi, au moment du meurtre qu’il y ait l’intention de tuer. Mais ans que l’on voit chez l’accusé ici que l’intention résulte d’un projet qui a été conçu, comme je viens de vous l’expliquer, conçu et exécuté de propos délibéré; il n’y a pas de préparation, il tue parce qu’il veut tuer, mais il n’a pas préparé ça, ça arrive dans des circonstances probablement que lui ne prévoyait même pas à ce moment-là.
Dans le cas du meurtre non qualifié, l’on n’y voit pas ces éléments de préparation, de réflexion préméditée, desquels provient ensuite le projet de tuer. On peut encore ici – et je vous donne évidemment ces exemple-là sous toute réserve – supposons le cas de deux individus qui discutent ensemble d’une question qui les divise; des questions de terres, des questions de testaments des questions de familles, etc., je ne le sais pas; mais il y a eu des questions qui les divisent profondément, et ils en discutent sans aucune intention de se faire mal l’un à l’autre; ils n’ont pas du tout l’intention de se tuer, mais à cause de leur tempérament, à cause peut-être de l’aigreur de la discussion, celle-ci s’anime et un moment donné on passe des mots aux actes et il y a l’un qui tue l’autre dans sa colère. Ce n’est pas projeté. Quand ils se sont rencontrés pour discuter de leurs intérêts, ils ne projetaient pas de se tuer, mais voici qu’un moment donné il y a des contingences imprévues qui ont déclenché un acte de colère chez l’un des deux et ça l’a amené à le tuer. Il n’a pas fait de projet, il n’a pas conçu ce qui est arrivé; il n’a pas prémédité ça, mais un moment donné son tempérament l’a emporté sur lui.
Vous prenez le cas du mari qui est trompé. Il sait que sa femme le trompe, et alors il décide de tuer l’amant de sa femme. Il s’informe de ses habitudes, des heures de ses visites, les endroits de rencontres, peu importe; il s’achète une arme, et un moment donné, quand il a tous ces renseignements, alors il s’organise pour arriver face à face avec le ou les coupables et il les tue. Là, c’est projeté là, c’est prémédité.
Mais, vous prenez le même qui arrive chez lui et qui ne sait pas que sa femme le trompe, mais qu’il découvre subitement et alors dans sa colère, il tue.
Dans le premier cas, c’est un meurtre qualifié, et dans le deuxième cas ça pourrait être un meurtre non qualifié parce que il n’y a pas les éléments de préparation.
Alors, dans notre loi, messieurs, on reste toujours, que ce soit meurtre qualifié ou meurtre non qualifié, avec la définition de l’article 201 du Code qui dit que l’homicide coupable est un meurtre – je crois que ce serait plus juste de vous lire le texte même dans le Code :
« L’homicide coupable est un meurtre lorsque la personne qui cause la mort d’un être humain première, a l’intention de causer sa mort ou, deuxièmement, a l’intention – et remarquez bien les expressions – de lui cause des lésions corporelles qu’elle sait être de nature à lui causer la mort, et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non. »
Il y a d’autres cas qui, pour les fins de la présente cause, il est inutile de commenter.
Alors, il faut d’abord avoir l’intention de tuer, je l’ai dit, et celui qui tue avec cette intention-là est un meurtrier. Il deviendrait un meurtrier qualifié s’il fait ce que je viens de vous expliquer, ou un meurtrier non qualifié s’il n’a pas de projet, ou encore il deviendrait un meurtrier la même chose s’il cause des blessures corporelles assez graves qu’elles sont susceptibles de cause la mort, mais qu’il les inflige pareil, ne se souciant pas que la mort en résulte ou non.
Maintenant, il y a une directive que je dois vous donner aussi, messieurs, et je la retrouve à l’article 569 du Code.
Le Code a été amendé précisément en même temps que l’on a introduit ces deux espèces de meurtres, meurtre non qualifié et meurtre qualifié, et qui se rapporte exclusivement au meurtre non qualifié et au meurtre qualifié.
La loi dit : « Pour plus de certitude et sans restreindre la généralité du paragraphe premier, lorsqu’un acte d’accusation inculpe de meurtre qualifié, lorsqu’un acte d’accusation accuse quelqu’un de meurtre qualifié, lorsqu’on reproche à quelqu’un d’avoir commis un meurtre qualifié – remarquez bien les mots de la loi – et que les témoignages – c’est-à-dire la preuve, parce que nous n’avons pas le droit de sortir de la preuve – ne prouvent pas le meurtre qualifié mais prouvent le meurtre non qualifié, le jury peut alors déclarer l’accusé non coupable de meurtre qualifié mais coupable de meurtre non qualifié ou de meurtre simple. »
Et ça, ça veut dire que lorsqu’il s’agit d’un meurtre qualifié, lorsqu’on accuse quelqu’un d’un meurtre qualifié, si vous avez devant vous autres une accusation de meurtre qualifié et que dans la preuve vous ne soyez pas satisfaits qu’on ait démontrer qu’il y a eu de la préparation, qu’il y a eu de la préméditation, qu’il y a eu des projets, qu’il y a eu de la réflexion ou du raisonnement, alors, dans ce cas-là, la loi vous permet de dire : ce n’est pas un meurtre qualifié, et c’est un meurtre non qualifié.
Vous avez aussi une autre directive que la Cour vous demande de retenir à l’effet que même si une personne qui est accusée d’avoir commis un meurtre ou un acte criminel et là, j’aborde une partie essentielle des directives, à cause précisément de la défense qui a été soumise – si une personne dit : « j’ai accompli tel geste, j’ai fait tel geste, mais je ne suis pas responsable parce que au moment où je l’ai fait, mon esprit était malade; et cette maladie m’empêchait soit de connaître la nature et la gravité de mon acte, soit de savoir que ce que je faisais était mal et défendu ». C’est le plaidoyer de folie.
Dans notre droit, messieurs les jurés, il n’est pas nécessaire lorsqu’un accusé plaide, est amené devant la Cour, pour dire que l’on plaide folie, il n’a qu’à plaider non-coupable et invoquer ensuite la folie, c’est un moyen de défense. Dans le cas d’une accusation de meurtre qualifié, on n’invite même pas l’accusé à dire « non coupable », la loi oblige à faire un procès. Alors, il invoque la folie comme moyen de défense, tout comme n’importe quel moyen de défense, dont l’accusé peut se servir. Nous allons d’abord poser comme principe, avec la loi, évidemment, que toute personne dans notre système légal à nous, ici au Canada, est présumée saine d’esprit, et elle est présumée, par conséquent, connaître la nature de ses actes, leur qualité, et en connaître les conséquences.
On est obligé d’accepter cette présomption que la loi établit que toute personne est présumée avoir un esprit sain, connaître la nature de ses actes et en connaître les conséquences.
On vous l’a dit, d’ailleurs, pendant les plaidoiries, c’est le principe qui est posé par l’article 3 du paragraphe 16, lorsqu’il commet ou omet un acte quelconque, dit la loi, tout individu est présumé sain d’esprit jusqu’à ce que le contraire soit prouvé.
Il peut arriver, messieurs, qu’une personne en ait tué un autre, qu’elle l’ait fait selon toute apparence en des conditions qui laissent croire à l’existence chez elle de tous les éléments pour qu’il y ait un crime, spécialement son intention de faire l’acte. Et cependant, cette même personne devrait être excusée au point de vue légal s’il est démontré d’une façon satisfaisante qu’elle a accompli cet acte dans des conditions telles qu’elle n’avait pas ou ne pouvait pas avoir l’intention requise et voulue par la loi. C’est le ca de l’aliéné, c’est le cas du fou, à condition, évidemment, que les éléments mentionnés dans l’article 16 du Code criminel existent, et remarquez bien, d’une manière que vous jugez raisonnablement satisfaisante.
Si la défense fait naître dans vos esprits un doute raisonnable à l’effet que la folie existe chez l’accusé, en d’autres termes, si vous avez une preuve qui vous satisfasse raisonnablement par sa prépondérance que l’accusé tait dans cet état d’esprit exigé par l’article 16 du Code, alors, vous avez là la possibilité d’accepter, le devoir dans certains cas – si vous avez ce doute raisonnable – d’accepter ce plaidoyer de folie.
Dans notre système légal, un accusé à qui on reproche d’avoir commis un crime peut donc plaider non coupable et essayer de se disculper totalement, essayer de démontrer d’abord qu’il n’est pas l’auteur du crime, qu’il n’a rien eu à faire avec ça, ou de l’acte qu’on lui reproche, et il y a aussi comme je viens de vous le dire des cas, ou même si ces actes, ces gestes, ont été, d’après la preuve que vous croyez, que vous acceptez, même s’ils ont été accomplis par lui ou qu’ils ont été admis par la défense, peu importe, il peut tenter de démontrer qu’il n’est pas coupable, mais pour cause de folie.
La raison d’être, messieurs les jurés, dans la loi, de ce moyen d’excuse, de ce moyen de défense qu’est la folie, peut s’expliquer de la manière suivante.
L’on peut dire et l’on doit dire même que dans notre système légal, pour qu’un crime existe, il faut trois éléments. Il faut d’abord un texte de loi qui défende de faire tel et tel acte spécifié dans la loi. Ce que n’est pas défendu dans le Code n’est pas un crime.
Alors, dans le cas actuel, il n’y a pas de problème. La loi dit que tuer intentionnellement c'est u’ meurtre. Alors, il y a un texte de loi.
Le deuxième élément, qui est évidemment le plus important, spécialement en regard de ce qui nous concerne maintenant, c’est l’élément intellectuel, c’est-à-dire la volonté, l’intention de faire l’acte défendu, l’intention de violer la loi.
C’est en somme, messieurs, cet élément intellectuel qui fait bien voir l’intention criminelle, et sans la co-existence, et sans l’existence ensemble de ces trois éléments-là il ne peut pas y avoir de crime.
Et, c’est pour cette raison que dans le cas d’un aliéné ou de quelqu’un qui souffre de folie, l’on fait de cette aliénation ou de cette folie, un moyen d’excuse, parce que précisément, dans l’esprit du législateur, cette folie ou cette aliénation, quand elle existe réellement chez un accusé, au sens de l’article 16 du Code, elle empêche l’existence de l’un des éléments dont je viens de vous parler; elle empêche l’existence de l’intention criminelle, parce qu’il ne sait pas ce qu’il fait. Si je ne connais pas mes actes, mes gestes, que je ne sais pas ce que j’accomplis, je ne peux pas avoir l’intention de faire mal, cela va de soi. Alors, il manque un élément pour qu’il y ait un crime.
En d’autres termes, une personne peut bien faire l’acte de tuer, même après avoir dit qu’elle voulait tuer. Et ceci, selon toutes les apparences, serait un meurtre, et si on démontre dans un tel cas qu’à cause de sa folie – et remarquez bien, j’insiste sur le mot folie, sur le mot aliénation – il est démontré que cette intention criminelle n’existait pas réellement chez elle, alors c’est évidemment un moyen d’excuse qui doit être retenu et dont l’accusé a le droit de bénéficier lorsque, vous êtes – comme je le disais tout à l’heure, raisonnablement satisfaits par une preuve que vous jugez prépondérante que réellement que la défense a prouvé cette folie.
C’est un devoir, messieurs, de vous lire cet article 16, qui n’est pas très long :
« Nul ne doit être déclaré coupable d’une infraction ou d’un acte à l’égard d’une omission de sa part alors qu’il était aliéné. »
Aux fins du présent article, une personne est aliénée – on la définit la folie dans la loi, on ne laisse pas ça à l’imagination, on dira peut-être que les règles de droit sont sévères, d’accord, mais il s’agit évidemment de protéger la société, et on ne peut pas laisser ces agissements être considérés à la lumière de la fantaisie ou du caprice, il faut des règles de droit, et elles existent; alors, dans la loi, on dit ce que c’est qu’un fou :
« Aux fins du présent article, une personne est aliénée lorsqu’elle est dans un état d’imbécilité naturelle ou atteinte de maladie mentale à un point, à un point qui la rend incapable de juger la nature et la qualité d’un acte. »
Il peut y avoir, par conséquent, des maladies mentales qui ne vont pas jusque-là.
Qu’elle est atteinte d’une maladie mentale qui la rend incapable de juger la nature et la qualité d’un acte ou d’une omission et de savoir qu’un acte ou une omission est mauvaise – elle ne sait pas ce qu’elle fait.
Mais, remarquez les termes de la loi : « atteinte d’une maladie mentale à un point tel » qu’elle ne sait plus ce qu’elle fait. Elle ne sait pas que le fait de prendre un couteau ça va faire mal; elle ne sait pas que c’est mal de faire ça; sa raison est complètement éteinte de ce côté-là.
Maintenant, vous avez la question d’une personne qui a des hallucinations sur un point particulier qui sont les aberrations mentales, mais qui est saine d’esprit à d’autres égards. On vous a parlé dans les plaidoiries « ne doit pas être acquittée pour les motifs d’aliénation mentale à moins que les hallucinations lui aient fait voir l’existence d’un état de choses que s’il eût existé aurait justifié ou excusé son acte ou omission. »
Vous avez l’exemple du cas, de celui qui souffre de la manie de la persécution, qui a des hallucinations, et chaque personne qu’il rencontre, il s’imagine qu’ils lui en veulent et qu’ils vont le tuer. Alors, vous avez un individu qui va passer tranquillement sur la rue qui va voir un pauvre menuisier qui est en train de clouer tranquillement avec son marteau. Il le voit avec un marteau; lui, il voit dans son imagination que ce bonhomme-là veut le tuer. Il se place en légitime défense. Ce n’est pas vrai du tout, mais lui voit cela, c’est sa maladie. Alors, il se défend contre quelqu’un qu’il s’imagine qui l’attaque; ça, c’est de l’aberration mentale. Sur d’autres points, il peut être absolument lucide, mais sur ce point-là, de la persécution, il ne l’est pas; ça, c’est un cas.
Alors, là, vous voyez encore une fois que ici, la maladie mentale existe à un point tel qu’elle empêche de connaître la nature des actes.
C’est ça que la loi veut. Elle l’a accepté comme excuse et pas d’autre chose. Alors, c’est comme je vous l’ai dit tout à l’heure, jusqu’à preuve du contraire, chacun est présumé à être et avoir été présumé sain d’esprit, chacun est présumé de ça.
Lorsqu’une personne est dans les conditions décrites à l’article que je viens de vous lire, elle ne peut pas connaître la nature de l’acte ou la gravité de l’acte qu’elle pose.
En d’autres termes, elle ne sait pas exactement ce qu’elle fait ou si elle le sait, elle ne sait pas que c’est mal ou défendu, soit par la morale et particulièrement par la loi de son pays, parce qu’à ce moment-là son esprit malade ne lui permet pas de distinguer le bien du mal.
Et ça, c’est la défense, messieurs, c’est à la défense qu’il appartient de faire, à l’effet que l’accusé ne connaît pas soit la nature ou la gravité de son acte, qu’il n’est pas capable de faire cette distinction entre le bien et le mal.
Et ça, c’est la défense, messieurs, c’est à la défense qu’il appartient de faire, à l’effet que l’accusé ne connaît pas soit la nature ou la gravité de son acte, qu’il n’est pas capable de faire cette distinction entre le bien et le mal; si la défense veut démontrer que l’accusé est excusable d’un acte qu’il a commis, et cela, en raison de sa folie, elle doit le faire.
Et ici, je vous demanderais encore de bien remarquer mes paroles – elle doit le faire par une preuve capable de faire naître dans vos esprits un doute raisonnable quant à l’état mental de l’accusé; une preuve suffisamment prépondérante alors, preuve qui est capable de vous satisfaire de façon raisonnable, et qui est capable – je l’ajoute – de faire naître dans vos esprits ce doute raisonnable à l’effet que l’accusé, au moment où il a commis l’acte qu’on lui reproche, qu’il n’était pas capable, à ce moment-là, de savoir ce qu’il faisait, de connaître la nature ou la gravité de l’acte qu’il faisait, ou s’il le savait, il ne savait pas par ailleurs que cet acte-là était mal; il n’était pas capable de faire cette différence entre le bien et le mal.
Et quand, dans l’article 16 que je vous ai lu, l’on parle d’imbécilité naturelle ou de maladie mentale, au point de rendre l’accusé incapable de juger de la nature et de la gravité de son acte, que doit-on entendre, messieurs les jurés, par ces expressions-là?
Comme la jurisprudence nous l’enseigne, quand quelqu’un connaît la nature et la gravité de son acte, il sait par exemple que s’il tire sur une personne; s’il frappe une personne, s’il la serre par le cou, avec ses mains ou avec des broches, ça, c’est la nature de l’acte, c’est la qualité de l’acte, ce qui va en résulter. Il connaît donc cette distinction-là, il connaît la nature, il connaît la nature et la gravité, parce qu’il sait que ce coup qu’il porte peut tuer. Il le sait ça.
Dans le cas de la personne qui est atteinte de maladie mentale, au sens de la loi, elle n’est pas capable de faire cette distinction-là.
Elle n’est pas capable de connaître la nature que je viens de vous indiquer ni la gravité. Et, si elle le connaît, elle n’est pas capable de savoir si c’est mal.
Maintenant, se greffant sur ces explications est le cas de ces aberrations dont je vous ai parlé, il y a un instant, et sur lequel je ne reviens pas – je crois l’avoir illustré suffisamment.
Maintenant, j’attire votre attention sur les exigences de la preuve en pareil cas. Et si la loi n’a pas, pour la preuve dans le cas de folie, les mêmes exigences rigoureuses que celles qu’elle a pour la preuve du crime lui-même – et je vous expliquerai, en parlant du fardeau de la preuve qu’avait la Couronne, qu’elle était obligée de vous prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait commis le crime dont on l’accuse – pour la folie, il suffit – je le répète – que vous soyez raisonnablement satisfaits hors de tout doute raisonnable que l’accusé n’était pas sain d’esprit au moment du crime; raisonnablement satisfaits qu’en somme il ne connaissait pas la nature et la gravité de son acte ou qu’il n’était pas capable de faire cette distinction entre le bien et le mal; que vous étiez raisonnablement satisfaits, messieurs les jurés, de ce doute raisonnable, que son esprit était tel à ce moment-là, et il faut que vous considériez, évidemment, les conditions de l’accusé non pas avant le crime, non pas après le crime uniquement, mais au moment du crime, lorsqu’il a commis le crime.
Et, pour cela, messieurs, vous ne devez pas prendre dans la preuve certains faits isolés, considérés seuls, qui pourraient laisser croire que cet acte provient d’un homme sain d’esprit ou d’un homme qui vous paraît fou. Vous devez considérer l’ensemble de la preuve, tout ce qui a été dit, et voir si la prépondérance de cette preuve est suffisante pour démontrer d’une façon suffisamment raisonnable ce que l’accusé prétend quant à son état mental.
Il y a une autre directive qui se greffe sur l’état de la folie aussi et j’en prends toute la responsabilité sans hésitation, parce qu’elle peut avoir ici une portée capitale sur ce que vous avez à décider.
La défense, dans le cas actuel, vous demande de déclarer l’accusé non coupable pour raison de folie. Et, dans ce cas, pour la raison que la victime souffrirait d’un instinct incontrôlable – vous vous rappelez l’exemple du triangle, alors qu’au lieu de placer l’intelligence au-dessus du triangle, on a placé l’instinct, et l’intelligence en bas – pour vous dire en somme ce qu’on pourrait peut-être appeler une impulsion irrésistible, pas capable de résister.
On a employé ces mots-là dans la preuve – et je ne sors pas de la preuve en les employant moi-même – une impulsion résultant d’un instinct sexuel super exagéré, si je puis dire, qui le hante constamment, avec la conséquence que son esprit serait devenu dans un état tel, par suite d’une accumulation dans sa vie d’une suite de chocs émotionnels ou de circonstances de vie, qu’il n’est pas capable de se soustraire à cette impulsion-là.
Messieurs les jurés, le devoir de la Cour – et je comprends très mal ce devoir si je n’étais entièrement objectif, et si je ne me mettais pas au-dessus de toutes ces circonstances qu’on a fait ressortir devant vous, soit de la part de la défense ou de la part de la Couronne – je veux vous rappeler ce devoir et vous dire, avec notre loi telle qu’elle existe, et telle que je viens de l’expliquer en matière de folie, la question que vous devez vous poser est celle de savoir si au moment où l’accusé a accompli l’acte que la Couronne lui reproche – si vous êtes, évidemment, raisonnablement satisfaits, vous avez un doute suffisamment raisonnable qu’il ne savait pas ce qu’il faisait, en ce sens que, était-il capable à ce moment-là, était capable à ce moment-là de connaître la nature de l’acte; savait-il qu’en mettant une broche dans le cou et qu’en tirant dessus, savait-il qu’en tirant avec ses mains ça tuait, ça? C’est ça que vous avez à vous demander. Savait-il que quand il frappait avec un instrument, qu’il frappait avec une pierre ou qu’il étouffait – si vous acceptez que ça s’est produit comme ça – qu’il était capable de connaître la gravité de cette action-là? Savait-il que cet acte ou ce geste pouvait tuer, ou encore s’il en connaissait la nature et la gravité, savait-il ou ne savait-il pas que ce qu’il faisait là c’était mal, que c’était défendu?
Et j’ajoute ceci, messieurs, l’impulsion irrésistible, ce qu’on appelle l’impulsion irrésistible, cet instinct que, en somme, on a assimilé à celui qui existerait chez un animal, la situation pénible dans laquelle une personne a prétendu se trouver, qui ont accumulé, comme je le disais, des chocs émotionnels, et qui ont amené cet instinct, et ce qu’elle appelle cette impulsion irrésistible à laquelle elle ne peut pas résister, ne sont pas, messieurs, et – je prends la responsabilité de mes paroles; je les assume en ayant la conscience satisfaite d’agir ainsi – ne sont pas, et c’est le droit de la Cour de vous les dire, en eux-mêmes, et par eux-mêmes, dans notre loi, des moyens d’excuse, pour quelqu’un qui a commis un acte criminel.
Ce n’est pas une défense, ça veut tout simplement dire : « j’ai eu une impulsion irrésistible. » Parce que cette impulsion irrésistible, cette détresse, en somme, créées par l’instinct, peuvent devenir une excuse, un moyen de défense, qu’en autant qu’ils atteignent le degré de folie que je vous ai indiqué. Ce n’est pas moi qui fais la loi, je la lis. C’est-à-dire que cette impulsion rend l’accusé absolument incapable d’avoir la connaissance de ses actes ou de faire les distinctions prévues par l’article 16. Et ça se comprend, messieurs.
Le législateur a voulu cette rigueur, pourquoi? Parce que ce serait trop facile dans certains cas de dire : « j’ai tué, mais je vous demande de m’excuser, je ne pouvais pas m’empêcher de le faire ». Ce n’est pas cet appétit sexuel, ce n’est pas ce désir de tuer quelqu’un qui est en soi-même une excuse. Il faut que cette impulsion, cette action déclenchée chez l’individu soient le résultat de l’état mental qui fait que quand il tue, que quand il viole, il ne sait pas ce qu’il fait. Il faut qu’il soit fou, même si on appelle ça de l’impulsion – je sais que c’est sévère, peut-être comme règle – et je le répète, ce n’est pas moi qui fais la loi, c’est la loi telle qu’elle existe.
Alors, la défense doit apporter une preuve qui vous satisfasse raisonnablement, par sa prépondérance, que l’accusé, même s’il avait cet instinct, même s’il avait cette impulsion, était dans l’état mental exigé par cet article 16.
Si vous acceptez qu’il a fait des actes sexuels et qu’il a pressé sur le cou de ses victimes ou de sa victime, il faut que vous vous disiez, pour que je puisse l’excuser que vous soyez raisonnablement satisfaits, pas convaincus, messieurs, hors de tout doute – ce serait malhonnête de vous dire ça – mais qu’il y a un doute raisonnable, je suis raisonnablement satisfait qu’à ce moment-là il ne savait pas que ça tuait ça; il ne savait pas qu’en pressant, qu’en tirant une briche ou une corde ça étouffait. Il ne savait pas que c’était mal de faire ça. Ça, c’est la loi.
En d’autres termes, la seule manière de vous demander de considérer l’impulsion irrésistible, ou cet instinct animal comme on l’a appelé, cette détresse créée par l’instinct, c’est de vous démontrer d’une façon suffisamment raisonnable que ces moyens renferment, en somme, tous les éléments, prévus par l’article 16 de notre loi.
Je le répète, messieurs, on peut peut-être dire, on peut peut-être penser : la loi est sévère, mais il faut penser à la contrepartie aussi et pourquoi le législateur l’a faite cette sévérité-là. Parce qu’autrement l’expression, dans l’article 16, « une maladie mentale à un point tel. » Alors, il peut y avoir certains cas de débilité mentale peut-être, mais qui n’empêchent pas de connaître la gravité des actes, puisque la loi dit : « à un point tel que … »
On vous l’a dit. On a parlé de délires, rêves, fantasmes, comme on les a appelés, etc. Un homme peut, par la force de son désir, par la force de sa passion … Il y a des tempéraments, évidemment, qui sont plus sanguins, plus violents que les autres, surtout dans le domaine du sexe. Et il faut que ces idées délirantes soient une psychose, soient une maladie mentale telle que définie par la loi.
Autrement, n’importe qui pourrait dire : « j’ai commis tous les crimes imaginables sur la terre; je savais ce que je faisais, mais je vous demande de m’excuser parce que je n’ai pas le même degré d’intelligence que les autres, ou encore je n’ai pas … » - vous voyez où on irait avec ça. Ce n’est pas de la folie, même s’il y a une débilité mentale.
Dans le cas actuel, si vous acceptez la preuve, vous êtes en présence d’un accusé qui, tant du côté de la défense comme du côté de la poursuite – on vous l’a démontré comme ayant un quotient intellectuel qui en démontrait pas, au point de vue de l’intelligence, une débilité, bien au contraire. Est-ce que cet instinct dont on vous a parlé a pu étouffer cette intelligence-là? Évidemment, ce sera à vous à le dire.
Maintenant, messieurs, depuis le commencement du procès, vous-mêmes, et moi-même, nous sommes des juges de par la volonté de la loi qui nous régit dans le pays. Mais, votre rôle et le mien sont essentiellement différents.
J’ai comme rôle, moi, d’essayer ce que j’essaie de faire présentement : vous diriger en loi. Et j’avais comme rôle, pendant le procès, de diriger les débats. C’est une loi d’ordre public, et le Code criminel le prévoit. Vous avez dû remarquer, que … ceux de vous autres qui ont l’habitude de la Cour, que je n’attendais pas les objections. Si je jugeais qu’il y avait quelque chose qui n’était pas absolument légal, j’intervenais pour maintenir, autant que possible, le débat dans le cadre de la justice et de la loi.
C’est le rôle du juge, ça. Et j’ai le devoir, en plus de ça, de vous donner des directives que j’essaie de vous donner au meilleur de ma capacité présentement.
Mais moi, quant à la preuve, quant aux faits, je n’ai rien à faire. Je n’ai pas de décision à rendre sur la preuve ni sur les faits. Et je n’ai pas à me prononcer sur les faits d’une façon déterminée non plus sur cette décision-là; ça, c’est à vous autres seuls qui êtes les maîtres absolus de la preuve et des faits.
Vous avez prêté, messieurs, un serment de rendre une décision qui va être basée uniquement sur la preuve. Vous vous rappelez, quand vous avez été choisis comme jurés.
Par conséquent, les faits, la preuve, les témoignages, les exhibits, ça, ça vous appartient entièrement, messieurs. C’est vous autres qui allez juger; c’est vous autres qui allez interpréter tout ça. Et c’est vous autres qui allez décider, à la lumière de cette preuve-là; c’est vous autres qui allez décider ou déterminer, dis-je, quelle décision ou quel verdict vous allez rendre.
Alors, la seule manière d’accomplir votre devoir, c’est de vous baser sur la preuve. Il n’y a pas d’autre alternative, c’est celle-là. Vous n’avez pas le droit de sortir de la preuve, je pense à des questions de sentiments, etc. … ou d’expériences personnelles ou des connaissances personnelles, c’est sur la preuve que vous jugez.
Qu’est-ce que c’est que cette preuve-là, messieurs? Il y en a de différentes espèces. Et vous en avez eu ici dans la présente cause, sur lesquelles je suis obligé de vous donner certaines directives.
Je m’excuse, ça fait trois semaines qu’on taxe votre patience à la limite. Le spectateur qui n’aime pas à entendre des discours et des plaidoiries, il a un avantage sur vous et sur moi, il peut partir; mais nous autres on ne peut pas. Il faut qu’on en fasse notre devoir.
Je ne suis pas ici, messieurs – vous pouvez prendre ma parole – pour essayer de faire des discours et vous impressionner par de l’éloquence, mais j’ai ce devoir à accomplir, et je vous demande encore quelques minutes de sacrifice additionnel et de patience pour me permettre de le faire complètement et à la satisfaction de ma conscience.
Vous avez, messieurs, la preuve directe, qui peut être faite par des témoins qui ont entendu ou qui ont vu quelque chose et qui viennent vous raconter ce qu’ils ont vu ou entendu.
Vous avez ensuite la preuve documentaire. On a produit des plans, on a produit des photographies, et cette preuve peut être constituée par ces plans et ces photos; vous avez la preuve physique par des objets qu’on a produits dans la cause; vous avez le droit d’examiner tout ça, d’apprécier, d’expliquer et d’interpréter comme vous l’entendez; et vous avez deux espèces de preuves qui s’ajoutent à ceci : vous avez la preuve verbale ou orale qui est constituée – comme je vous le dis – par des témoins qui viennent relater ce qu’ils ont entendu, et vous avez aussi la preuve d’experts qui est faite par des gens qui n’ont pas vu les faits peut-être – même certainement, dans bien des cas – mais qui viennent ici vous donner des opinions résultant de leurs études et de leurs connaissances particulières sur certains faits spécifiques – dans le cas actuel – ici il s’agissait de l’état mental d’un accusé; je vous en reparlerai brièvement, mais un peu plus loin.
Et vous avez enfin, messieurs, une preuve qui est assez fréquente dans les procès, pas seulement criminels, vous avez la preuve de circonstances.
Cette preuve-là à côté de la preuve directe; la preuve directe, peut-on dire, c’est la preuve la plus fréquente, la plus commune. Et on amène des gens, quand on est capable, ils disent : « j’ai vu telle chose, j’ai entendu telle chose. » Ce n’est pas toujours la meilleure preuve, la preuve directe. Parce qu’on n’est pas obligé de croire tout ce que les gens disent et on n’est pas obligé de croire qu’ils ont toujours vu comme il faut non plus.
Mais, à côté de cette preuve-là, vous avez cette preuve de circonstances, la preuve circonstancielle, qui est admise en droit, qui est une preuve qui est reçue régulièrement devant les tribunaux, et qu’on appelle précisément cette preuve de circonstances.
La preuve de circonstances – et je vous demande encore d’être attentifs à ces considérations-là – en est une qui résulte ou qui se produit peut-être de la manière suivante : on va prouver les faits devant vous.
Si vous acceptez ces faits-là comme prouvés hors de tout doute raisonnable, alors vous avez le droit, vous autres, de déduire de ces faits-là les conclusions qui peuvent se rapporter soit à l’innocence ou soit à la culpabilité de l’accusé; et ça c’est à vous autres de le dire. Mais, vous avez le droit de déduire que tel fait peut produire telle conséquence, et que nécessairement tel fait produit telle conséquence.
Ce ne sont pas des gens qui viennent vous dire : « moi, j’ai vu telle chose se produire. » On va vous donner des faits, un ensemble de faits, et alors vous allez dire si cela a existé, si vous acceptez ça comme prouvé, a les conséquences nécessaires qui en découlent, ou il n’en a peut-être pas.
Vous allez me permettre un exemple bien simpliste, messieurs : ça ne vous insultera pas, je le donne à mes élèves – je peux bien le donner à vous autres – vous allez voir quelqu’un, messieurs, vous êtes dans votre maison, supposons; il fait un soleil radieux à l’extérieur; il fait beau, il fait chaud. Vous êtes dans votre fenêtre, vous allez voir quelqu’un qui passe en s’épongeant le front, vous allez en conclure, évidemment, que la température à l’extérieure est chaude, vous n’êtes pas dehors, vous ne le savez pas, mais simplement parce que vous voyez, vous déduisez.
Par contre, vous voyez un bonhomme qui passe dans la rue avec un imperméable attaché jusqu’au cou avec un parapluie sur la tête et avec un chapeau calé jusqu’aux oreilles; vous allez dire : « il pleut ». On ne se promène pas comme ça quand il fait beau.
Alors, vous déduisez, de fait, de ce que vous voyez. Vous n’avez pas éprouvé la pluie vous-même sur votre personne, mais vous déduisez de ces faits-là, des circonstances que vous acceptez, une conséquence qui pour vous est inévitable.
Alors, vous avez le droit de faire toutes ces déductions-là, de tout ce qui a été prouvé devant vous autres ici. Ce sont des déductions qui peuvent s’inférer, qui peuvent résulter de tous ces faits-là, de tous les exhibits, de la preuve orale, enfin de tout ce qui a pu être prouvé, de l’ensemble de la preuve.
Maintenant, cette preuve-là, je le répète, elle est admissible, mais il faut, entendons-nous bien, il faut évidemment que les déductions qui sont faites soient vraisemblables. Il faut que ce soit logique. Parce que, n’oubliez pas une chose, messieurs, il y en a un qui garde toujours ses droits, du moins, qui doit toujours les garder, c’est le bon sens. C’est à la lumière du bon sens que ces déductions-là doivent être faites.
Vous tous des hommes qui, évidemment, avec la maturité, qui avez vécu; vous connaissez ce qui se passe dans le monde; vous savez ce que c’est que le bon sens; vous savez ce que c’est que la logique, alors c’est en vous servant du bon sens et de cette logique-là que vous ferez les déductions que vous jugerez nécessaires et acceptables.
Quand vous faites de ces déductions-là et que vous vous basez sur ça, vous vous dites : « ç’a du bon sens que ce soit comme ça ou ça n’a pas de bon sens que ce soit comme ça. »
Et, quand même je viendrais ici témoigner et que je viendrais dire : j’ai eu un accident d’automobile, je m’en allais à 80 milles à l’heure, mais j’ai dans une longueur d’automobile, vous allez dire : « ç’a pas de bon sens, à moins d’arriver sur un poteau ou sur un mur. À 80 ou 90 milles à l’heure, on n’arrête pas sur une longueur d’automobile. » C’est une déduction qui n’a pas de bon sens. Alors, les déductions que vous allez faire, il faut que ce soit logique.
Maintenant, la loi, lorsqu’il s’agit de ces déductions-là, dans une preuve de circonstances, devant les tribunaux, non pas des déductions faites ordinairement mais faites de circonstances qui ont été prouvées devant les tribunaux et que vous acceptez comme prouvées hors de tout doute, la loi a des exigences que vous devez respecter pour cette preuve de circonstances et, desquelles, je dois nécessairement vous informer.
Il faut que vous acceptiez ces faits-là comme prouvés hors de tout doute d’abord, hors de tout doute raisonnable. Et les déductions que vous allez faire – et remarquez bien mes paroles, messieurs – doivent être telles qu’elles impliquent nécessairement l’accusé qu’elles le représentent nécessairement comme coupable. Il ne doit pas y avoir d’autre issue possible dans cette preuve-là d’après les déductions que vous faites.
S’il y a une autre alternative; s’il y a dans cette preuve-là d’autres déductions qui pourraient laisser croire ou douter de l’innocence de l’accusé, alors la preuve des circonstances n’est pas complète. Il y aurait un doute alors, et ce doute-là je vous préviens encore plus au long, il appartient entièrement à l’accusé.
On a défini cette preuve-là, messieurs, d’une manière que je trouve très intéressante. En parlant de la preuve des circonstances on a dit que c’est toute preuve suffisante, que c’est : « toute preuve suffisante qui entraîne la certitude morale, certitude dans l’esprit ou dans la conscience que c’est le prévenu, à l’exclusion de tout autre qui est l’auteur du crime qu’on lui reproche. »
Et si l’on retient cette définition – et voici la partie capitale quant à la preuve de circonstances – si l’on retient cette définition, on arrive donc au principe général de la jurisprudence que la preuve de circonstances doit être non seulement compatible avec la culpabilité de l’accusé, mais qu’elle doit être aussi incompatible avec son innocence.
Alors, s’il y a ouverture, s’il y a un doute raisonnable, et qu’il y a une preuve qui serait compatible, qui pourrait être compatible avec son innocence, dans ce cas-là il a le droit au doute, au bénéfice de ce doute-là. Il faut que vous arriviez à cette conclusion-là que ça ne peut pas être d’autres que lui qui ait commis ce crime-là que c’est bien ce crime-là qui a été commis.
S’il y en a une autre qui peut être compatible avec son innocence, je le répète, cette preuve-là s’avère non complète.
Maintenant, messieurs, comment allez-vous apprécier cette preuve-là? Vous allez faire comme on fait tous les jours, vous allez apprécier le comportement des témoins et leur sincérité, leur manière de rendre témoignage. Il n’y a pas de justice, messieurs, quand il n’y a pas de vérité.
C’est un principe très vrai, alors il faut essayer de chercher la vérité.
Les juges qui sont obligés, tous les jours, d’avoir à apprécier les témoins qui viennent devant eux, pour rendre des décisions, soit au civil, soit au criminel, on s’applique constamment, messieurs, à examiner les témoins, à voir leur comportement, leurs hésitations, leur franchise, leur manière de parler, leurs réticences; est-ce que c’est spontané, est-ce que c’est hésitant, est-ce qu’il y a de la mauvaise foi apparente, est-ce qu’il y a de l’intérêt; afin de pouvoir se dire ensuite : « je crois ce bonhomme-là ou je ne le crois pas. Ou j’ai confiance en son témoignage ou je ne l’accepte pas. »
C’est justement parce que vous êtes les maîtres absolues des faits, de la preuve et puis des témoignages, que vous avez en sorte le devoir, vous autres, c’est votre obligation de vous comporter de cette manière-là et de vous dire : « il y a deux ou trois témoins qui sont venus soumettre tels points; je n’ai pas confiance dans leur manière; c’est évident qu’il a blagué, qu’il n’a pas dit la vérité ». Ça, c’est à vous autre à juger.
Alors, vous avez droit, messieurs, de croire un témoignage ou de ne pas le croire. Vous avez droit d’accepter une partie d’un témoignage ou de le rejeter. Vous avez droit de mettre de côté tout un témoignage, d’en retenir quelque chose, une partie qui vous a peut-être impressionnés comme étant vraie, cela. Mais ça, c’est votre domaine absolu, et vous avez essayé tout le temps, dans votre appréciation de ces témoignages-là, vous avez droit de faire remarquer chaque témoignage, chaque témoin afin de voir si réellement vous acceptez ce qu’il dit.
Quant aux témoins, vous en avez de différentes espèces qui viennent devant les tribunaux, lesquels vous avez droit de croire ou de ne pas croire.
Ce sont des témoins oculaires ou auriculaires, comme je vous le dis. Parmi ceux-là, il y en a qui sont indépendants, il y en a d’autres qui sont désintéressés, et il y en a d’autres qui peuvent être intéressés aussi.
Quand quelqu’un est désintéressé, son témoignage, habituellement, prend plus de poids, quoique vous ayez le droit d’y attacher, messieurs, la valeur probante que vous désirez.
Vous en avez d’autres, par contre, qui sont intéressés, qui sont peut-être des amis, des parents; ils ont peut-être des raisons de témoigner dans un sens plutôt que dans un autre.
Il vous appartiendra à vous autres, messieurs, dans votre appréciation, de déterminer si cela peut influencer leur témoignage, ou s’ils disent ou ne disent pas la vérité.
Vous avez aussi entendu dans cette cause-ci des experts, c’est-à-dire des médecins qui vous ont donné leur opinion sur l’état mental de l’accusé.
Je dois, comme directives, vous dire ceci, quant aux experts, que mes directives sont les mêmes que celles que je vous ai données quant aux autres témoins. Ce sont des témoins. Il n’y a pas de privilège à leur témoignage.
Vous n’êtes pas tenus de croire ou d’accepter ces témoignages ou les opinions qu’ils expriment, pas plus que s’il s’agissait des autres témoins. Vous pouvez les rejeter en bloc; vous pouvez vous en servir pour juger.
Le rôle de l’expert consiste à éclairer, à guider. Mais leurs dires et leurs opinions ne vous lient pas, et vous devez considérer non seulement leur témoignage, vous en tenez compte si vous voulez, non seulement les témoignages, mais l’ensemble de la preuve, pour vous former une opinion quant à l’état de l’accusé, quant à l’esprit de l’accusé.
Vous avez votre bon sens, vous avez votre jugement, alors, les faits qui ont été rapportés par d’autres témoins dans la preuve, la conduite de l’accusé, son attitude dans les faits qu’on vous a rapportés, tout cela, messieurs, ça constitue de la preuve, et ça doit servir à vous guider pour vous demander, pas simplement si c’est l’expert qui dit vrai, mais pour vous demander si vous avez raison de dire que l’accusé a fait ce qu’on lui reproche et si c’est lui qui l’a fait, savait-il pourquoi il le faisait, pouvait-il savoir à ce moment-là ce qu’il faisait, voulait0il le faire, en voulait-il les conséquences?
Alors, il fait donc que vous vous satisfassiez raisonnablement dans le sens que l’accusé propose pour pouvoir lui donner le bénéfice de cette défense, et si vous n’êtes pas raisonnablement satisfaits de ses excuses, vous devez en tenir compte, évidemment, quant au verdict que vous devez rapporter.
Maintenant, avant de vous dire un mot de la preuve – et je ne serais pas très, très long, maintenant messieurs, il est de mon devoir de vous rappeler les principes suivant – je vous l’ai déjà dit, le juge n’a rien à voir dans la décision de la cause, quant aux faits et quant à la preuve – c’est votre interprétation de ces faits et de cette preuve qui compte et non celle du juge.
J’ai cependant non seulement le droit – mais je dis, et c’est maintenant accepté – j’ai même le devoir, messieurs les jurés, de vous parler de la preuve afin de mettre à votre service mon expérience, peut-être, pour vous aider à analyser et à interpréter cette preuve. En ce faisant, cependant, je dois vous rappeler que vous n’êtes aucunement liés par l’interprétation ou l’analyse que je peux en faire.
Vous avez le droit de vous dire : « je ne pense pas comme le juge, moi; et je préfère ma manière de voir à celle du juge. » Vous n’avez pas fait le serment, messieurs, de rendre un verdict suivant ce que le juge pense, ou de penser comme le juge. Vous avez fait le serment de juger suivant votre jugement à vous, suivant votre conscience.
Si même dans mon attitude, si même dans mes propos, vous croyez déceler un sentiment chez moi ou une opinion quant à la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, n’en tenez pas compte. Ce n’est pas ça qui doit vous impressionner.
Maintenant, parmi les questions que vous devez vous poser en analysant la preuve, il y en a quelques-unes, et ce n’est pas limité à ça, évidemment, que vous pouvez certainement considérer particulièrement.
Êtes-vous satisfaits, hors de tout doute raisonnable, messieurs, que c’est bien le jeune Pierre Marquis qui est disparu de chez lui, le 26 mai 1963, et dont le cadavre a été retrouvé le 5 juillet suivant sur le lot 43, à St-Augustin de Portneuf? Est-il mort par asphyxie résultant d’étouffement ou de strangulation? Est-ce que les objets physiques qui ont été produits dans cette cause, et l’identification qui a été faite et du cadavre et de ces objets, vous paraissent établis hors de tout doute? Est-ce que l’accusé Léopold Dion est rattaché à cette disparition ou à cette mort du jeune Marquis?
Personne n’est venu dire qu’ils avaient vu Dion en compagnie de l’enfant ou si personne n’est venu dire que Dion avait tué cet enfant, est-ce que par ailleurs la preuve de circonstances, dont je vous ai parlé, vous paraît-elle de telle nature qu’elle rattache Dion à cette mort? Est-ce que l’analyse que vous faites des circonstances qui ont été relatées devant vous – à condition évidemment que vous acceptiez ces faits-là comme prouvés, encore une fois je le répète, hors de tout doute raisonnable – démontre la culpabilité de Dion d’une façon telle que ces circonstances ne peuvent pas vous paraître compatibles avec son innocence, mais entièrement compatibles avec sa culpabilité.
La preuve qui a été faite, si elle n’a pas établi de façon directe que Dion avait tué Pierre Marquis, démontre-t-elle cependant par déduction certaine et inéluctable que c’est lui qui a commis le crime, ce forfait-là? Est-ce que le fait que, apparemment, Dion seul savait où était enterré le cadavre de la victime, à tel point que sans lui on ne l’aurait pas trouvé – d’après ce que les policiers ont dit – est-ce que ceci le rattache au crime lui-même?
Est-ce que le fait qu’il savait et qu’il a indiqué à l’avance aux policiers, l’endroit ou la position du cadavre dans sa fosse vous permet d’en tirer des déductions quant à sa participation au crime?
Comment expliquer, messieurs les jurés, que seul Dion savait que l’enfant était nu dans sa fosse?
Comment expliquer qu’il savait et qu’il a indiqué aux policiers où étaient ses vêtements?
Pourquoi trouve-t-on en son chalet le porte-monnaie de Pierre Marquis, caché dans une vieille chaise, et dans la maison de Roland Dion où il habitait, un porte-monnaie contenant le billet d’autobus que sa mère lui avait donné le jour de sa disparition, si vous acceptez ces faits-là comme prouvés hors de tout doute raisonnable?
Pourquoi Dion sait-il, apparemment seul, où les clefs appartenant à Pierre Marquis peuvent être trouvées sur le lot numéro 44, à St-Augustin?
La preuve a révélé que c’est Dion seul qui a donné toutes ces indications, et que les policiers d’eux-mêmes n’ont rien trouvé sans le concours et sans l’intervention de Dion. Cette preuve démontre évidemment que Dion savait où étaient les cadavres et les objets.
Est-il possible de dire, dans des circonstances prouvées – si, évidemment, vous les acceptez comme prouvées hors de tout doute raisonnable – que Dion savait cela par un autre qui avait accompli ces actes, ou que par ailleurs lui seul le savait, parce que lui seul avait accompli ces actes?
La preuve de la connaissance d’un fait, messieurs les jurés, n’est pas nécessairement toujours la preuve de l’accomplissement d’un fait, mais dans les circonstances de la présente cause, est-il possible de rattacher la connaissance de Dion à autre chose que l’accomplissement de ces actes-là par lui?
La Cour a autorisé la preuve de la découverte de deux autres cadavres, sur les indications de Dion. Elle a autorisé la preuve de la découverte des vêtements d’un troisième cadavre, toujours sur les indications de Dion.
La Cour a aussi permis de prouver qu’avant de trouver ces cadavres et les vêtements, de même qu’une pierre sur le lot de monsieur Derome, je crois, les policiers ont dû recevoir des indications de Dion et que sans lui ils n’auraient trouvé ni cadavres, ni objets.
La Cour a aussi autorisé la preuve démontrant que les deux cadavres découverts sur les indications de Dion, savoir ceux des jeunes Morel et Carrier, de même que le cadavre du jeune Luckenuck, présentaient, d’après leur apparence et d’après les médecins-légistes, des signes évidents qu’ils étaient tous morts par une cause semblable, c’est-à-dire l’asphyxie par la strangulation, soit avec les mains, soit avec des cordes, soit avec un fil de fer.
La Cour a permis cette dernière preuve pour établir ce que l’on appelle des actes similaires qui sont les suivants : Dion dans chacun de ces derniers cas savait, et apparemment il était le seul à le savoir où étaient les cadavres des jeunes Carrier et Morel. Il savait même l’endroit où on a retrouvé le premier cadavre : à savoir celui du jeune Luckenuck. Il savait la position dans laquelle les deux derniers cadavres seraient trouvés, dans une fosse commune; comment l’un était enveloppé, comment l’autre avait une cagoule, et même le fait que l’on trouverait autour de son cou le fil de fer avec des clous qu’on a produit devant vous.
La Cour a permis cette preuve pour établir que tout comme dans le cas de Pierre Marquis, Dion avait les mêmes connaissances; a donné des indications de même nature aux policiers, et qu’apparemment il était seul à posséder ces renseignements-là et cette connaissance.
C’est ça les faits similaires. Et remarquez bien mes paroles – la Cour le répète – cette preuve n’a pas pour but de dire parce que Dion avait cette connaissance de tous ces faits, de l’endroit où étaient les cadavres, etc., que cela indique fatalement, nécessairement que c’est lui qui a tué Pierre Marquis, mais cette preuve de faits similaires avait pour but de démontrer que comme dans le cas de Pierre Marquis, Dion connaissait et apparemment lui seule connaissait ces faits que je viens de vous énumérer.
La similarité des faits réside donc dans ceci : que dans le cas des autres cadavres, Dion, seul, apparemment, avait une connaissance semblable, et cela le fait similaire – à celle qu’il possédait relativement à ce qui intéressait le cas du jeune Marquis qui vous est soumis.
Cette preuve a aussi pour but – et c’est pour ça que la Cour l’a permis – de démontrer comme similarité des faits, que dans le cas des derniers cadavres il a donné des indications de la même nature et de la même manière que celles qu’il avait données dans le cas du jeune Pierre Marquis.
Si vous acceptez ces faits comme prouvés hors de tout doute raisonnable, messieurs, à l’effet que Dion a été le seul, apparemment, à savoir où étaient les corps et les objets, et que c’est grâce à ses indications que la police les a trouvés, dans ces cas-là, vous pouvez vous demander encore si la mort du jeune Marquis est la suite d’un accident ou si, par ailleurs, elle est la conséquence tragique d’un odieux système, ou de la conduite systématique d’un assassin qui a tué le jeune Marquis de la même manière ou à peu près dans le même endroit que ceux où d’autres jeunes enfants ont disparu.
Vous pouvez aussi vous demander, messieurs les jurés, et c’est là le but de cette preuve, si la connaissance que Dion avait, de tous les faits se rattachent à Pierre Marquis, quant à l’endroit où était son cadavre, etc., de même que la connaissance semblable qu’il avait des autres cadavres, peut être de nature à vous permettre de déduire, hors de tout doute raisonnable, des conclusions quant à son identité et quant à sa participation au meurtre du jeune Marquis.
Je le répète, et la loi m’oblige de vous en informer, que bien qu’il savait où étaient les cadavres de Morel, Carrier et même du jeune Luckenuck, de même que tous les autres faits qu’il a indiqués à la police, ceci ne veut pas nécessairement dire que c’est une preuve qui indique qu’il a tué ces trois enfants.
Mais, vous pouvez évidemment en déduire de ces faits et de cette connaissance, les conclusions que vous jugerez logiques, avoir du bon sens, et vous demander si cette connaissance étrange que Dion avait de ces faits, vous démontre hors de tout doute raisonnable son identité comme l’assassin de Pierre Marquis, en étant l’auteur, apparemment d’un système qui a conduit à la mort cette jeune victime, système dont lui seul avait le secret et connaissait les résultats.
Ce sont là, messieurs les jurés, des questions que vous avez le droit de vous poser et auxquelles vous devrez chercher vous-mêmes la réponse et la solution.
Sans être lié par l’interprétation de la preuve, il semble qu’au regard de l’ensemble de la preuve, et particulièrement la preuve de la défense, je crois qu’on peut dire que la réponse à ces questions devient peut-être un peu plus facile maintenant, quand les témoins mêmes de la défense déclarent que Dion leur avait dit qu’il avait tué les enfants dont on parle dans la présente cause.
Je ne vous lirai pas les longs extraits de témoignages; je réfère ici au témoignage du Docteur Camille Laurin, amené par la défense, et en réponse à une question du savant procureur de la défense, à la page 9 de son témoignage :
Est-ce qu’il vous a raconté les relations qu’il avait eues avec d’autres victimes, toujours en rapport avec ses imageries et ses fantasmes?
Bien, il a sûrement réduit à l’impuissance chacun de ceux qu’il reconnaît avoir tués.
C’est la défense qui parle, messieurs. À ceci j’ajoute le plaidoyer qu’on vous a offert en défense, parlant que les actes que Dion aurait faits, et demandant de l’acquitter pour cause de folie.
Si vous en venez à la conclusion, messieurs, que des faits sont prouvés hors de tout doute devant vous, et si vous en venez à la conclusion que les déductions que vous faites de ces circonstances sont entièrement compatibles avec la culpabilité de Dion dans la mort du jeune Marquis, et absolument incompatibles avec son innocence, non compatibles avec son innocence parce qu’elles indiqueraient l’identité de l’assassin, et le fait qu’il serait l’auteur et l’exécuteur d’un système qui ait abouti à la mort du jeune Pierre Marquis, vous aurez maintenant l’obligation de vous demander, si cette mort était le résultat d’un acte malicieux et prémédité de la part de l’accusé.
La préméditation, telle que je vous l’ai expliquée au début, consiste dans la préparation intentionnelle et malicieuse d’un acte criminel. Cette préméditation peut se voir dans la preuve directe qui peut être faite par des témoins qui ont eu connaissance des actes préparatoires ou encore ici, messieurs, elle peut fort bien se déduire de différentes circonstances ou de différents actes de l’accusé que vous acceptez comme prouvés hors de tout doute raisonnable.
Dans le cas actuel, si vous acceptez comme prouvé le fait que Dion serait l’auteur de la mort du jeune Marquis, et que vous le rattachez à la disparition des trois autres jeunes enfants dont il a indiqué l’endroit où on pourrait trouver leurs cadavres, si vous acceptez, dis-je, ces faits comme prouvés, vous pouvez alors vous demander s’il y a dans le reste de la preuve, ou dans l’ensemble de la preuve quelque chose qui vous permette de dire que ces actes n’ont pas été spontanés, mais qu’ils sont le résultat d’un système, d’une conduite systématique qu’il a élaborés et qu’il a sciemment et malicieusement préparés.
Son témoin, le Docteur Laurin, en réponse à une question du Tribunal, a reconnu que lorsque Dion faisait des actes de la nature de ceux qu’on lui reproche présentement, il les préparait, a-t-il dit – ayant même – suivant son expression – « des trésors d’ingéniosité dans la préparation de ses actes. »
Vous avez droit, messieurs, d’examiner la signification de la preuve apportée par le jeune Ouellet et son père. Est-ce que – à condition que vous acceptiez cette preuve encore comme prouvée hors de tout doute raisonnable – le fait, pour Dion, de solliciter le jeune Ouellet comme il l’a fait, de lui offrir du travail, de lui offrir de l’argent, de le tromper délibérément sur ses fausses entrées dans son livre de banque, est-ce que ceci démontre un système pour obtenir des victimes, une préméditation? Est-ce une préméditation malicieuse, mais intelligente dans la recherche des victimes? Est-ce que le fait de donner au père des réponses mensongères, démontre en même temps qu’il avait conscience de la nature et de la qualité de ses gestes – puisqu’il essayait de les cacher – lorsqu’il était découvert ou menacé de l’être?
Est-ce que le fait, si encore vous acceptez ces faits comme prouvés hors de tout doute raisonnable, d’avoir trouvé le cadavre du jeune Marquis avec des marques de strangulation autour du cou, et une corde à proximité de sa fosse, est-ce que le fait d’avoir trouvé les autres avec des marques identiques de strangulation, mais avec des objets différents, peut vous faire déduire, en autant que vous rattachez ces actes-là à Dion, qu’il avait, avec lui, dans sa voiture, ou à la portée de sa main, des objets préparés d’avance pour étrangler des victimes?
Est-ce que le fait de retrouver une victime avec une cagoule, l’autre enveloppée dans un sac, vous permet encore de déduire de ces objets – si vous rattachez ces actes à Dion, hors de tout doute raisonnable, sont les signes ou les preuves de préméditation ou de préparation d’un plan qu’il a mis à exécution systématiquement, et qui a amené la mort du jeune Pierre Marquis, laquelle peut se greffer à celle des autres victimes dont il a été question dans la présente cause?
Est-ce que le fait que le jeune Pierre Marquis soit disparu de la plage du Foulon et que les trois autres victimes soient disparues dans un secteur assez restreint autour de cet endroit, peut vous permettre de déduire encore qu’il y a là une préparation, une préméditation qui avaient pour but de choisir un secteur où on pourrait trouver facilement les jeunes victimes?
Est-ce que le fait de sa présence à Québec, le samedi ou le dimanche, alors qu’il ne travaillait pas à cette époque, du moins je vous le dis avec réserve; je ne crois pas me tromper en le disant – vous permet encore ici de déduire que ses voyages faisaient partie d’un plan et d’une préparation, sachant que en ces jours de fins de semaine, les jeunes enfants qu’il recherchait étaient en congé ou susceptibles d’être rencontrés, soit sur les terrains de jeux, soit sur les plages?
Ce sont là, messieurs, des questions que, dans l’opinion de la Cour, par laquelle vous n’êtes aucunement liés, vous pouvez certainement vous poser ces questions, mais auxquelles il vous appartiendra, en honnêtes hommes, de donner des réponses.
Si vous arrivez à la conclusion, hors de tout doute raisonnable, que soit par la preuve autre que la preuve des circonstances, soit par la preuve des circonstances elle-même que c’est Dion, qui à cause de sa connaissance de tous les faits qu’il a indiqués aux policiers, à cause aussi du fait que le jour même de la disparition des deux jeunes enfants, sa voiture a été vue pas très loin de l’endroit où plus tard on a retrouvé leurs cadavres, soit à cause de sa présente à Québec la veille et le jour de la disparition du jeune Marquis; si vous en venez, dis-je, à la conclusion que Dion serait l’auteur d’un plan qu’il a exécuté et qui a abouti à la mort du jeune Marquis, si vous en venez à la conclusion que ce plan et ces actes ont été prémédités par lui, vous pouvez maintenant vous poser d’autres questions relativement à la défense qui vous a été offerte quant à l’état mental de l’accusé.
Je vous ai indiqué, plus tôt, au début de mes remarques, les règles légales qui doivent être appliquées quant à la folie et je n’y reviendrai pas.
Vous avez donc à vous demander si vous acceptez comme prouvé le fait que Dion a commis des actes qu’on lui reproche; s’il savait, au moment de la commission de ces actes, quelle était la nature et la qualité de ces actes, et s’il pouvait, à ce moment-là, distinguer ce qui était bien et ce qui était mal?
Est-ce que Dion pouvait savoir qu’en pressant sur la gorge d’un enfant, ça pouvait le tuer? Est-ce que Dion pouvait savoir qu’en lui mettant une corde autour du cou avec un nœud coulant ou une broche de fer avec des clous, en tourniquet, ça pouvait tuer? Est-ce que Dion pouvait savoir qu’en mettant une cagoule35 sur la tête sans ouverture pour respirer, et que des liens autour du cou, ça pouvait tuer?
Cela, c’est la qualité, et c’est la nature des actes qu’on reproche à Dion d’avoir accomplis.
Est-ce que Dion pouvait savoir que de faire de tels actes – si vous croyez hors de tout doute raisonnable qu’il les a faits – c’était quelque chose de mauvais, non seulement moralement mais légalement, c’est-à-dire quelque chose de défendu par la loi.
Est-ce qu’à ce moment-là, messieurs, son esprit – même agissant sous la poussée ou l’instinct d’un désir sexuel – l’empêchait-il de savoir ce qu’il faisait? Ou est-ce plutôt la crainte de retourner au pénitencier et d’être pris qui le faisait agir ainsi, pour empêcher ses victimes de parler et de lui créer des ennuis? Est-ce que le fait d’avoir enregistré dans sa mémoire, messieurs les jurés, un nombre considérable de détails, quant aux endroits où étaient les cadavres; quant à la manière dont ils étaient enterrés; quant à la position qu’ils avaient dans leur fosse; quant au fait que l’un était nu; que les autres avaient des vêtements; quant au fait que l’un avait une cagoule, un tourniquet dans le cou, l’autre enveloppé dans un sac, etc.; est-ce que le fait de se rappeler, d’une façon précise, la location exacte dans des endroits perdus et dans des broussailles, des vêtements, des clefs, d’une pierre, démontre que l’esprit de cet homme était tellement obscurci par la passion et le désir qu’il ne savait pas ce qu’il faisait, ou si cela démontre au contraire que ces actes ont été accomplis par un homme conscient d’une façon extraordinaire des actes qu’il accomplissait au point de lui faire adopter une méthode précise et systématique dont il a enregistré, dans sa mémoire, chaque acte de son exécution; est-ce là l’acte d’un homme qui ne se contrôle pas ou est-ce là l’acte d’un homme passionné [pour?] être mais vicieux et qui voit assouvir son désir par des actes méthodiques et précis et à cacher ensuite ces mêmes actes par une action aussi méthodique et aussi précise?
Est-ce qu’un fou pourrait se rappeler autant de détails, s’il ne connaît pas la nature de ses actes, ni leur qualité? Est-ce qu’un fou pourrait penser, s’il ne savait pas ce qu’il faisait – à cacher les preuves de l’acte qu’il aurait accompli inconsciemment et qu’il ne croirait pas être mauvais? Pourquoi le cacher alors? Est-ce que cette action d’essayer de se soustraire à la recherche, cette action d’essayer de couvrir les objets ou les indices d’un forfait, ne sont pas au contraire la preuve que l’on sait ce que l’on faisait et que l’on ne veut pas que les autres le découvrent?
On a parlé, messieurs, de ce qui équivaut chez Dion à des impulsions irrésistibles. Est-ce que vous trouvez que cela a du bon sens, chez Dion, que l’instinct subjugue complètement l’intelligence et que malgré que l’intelligence soit contrôlée et subjuguée cent pour cent, ou soit tout de même capable de préparer les armes, et ensuite penser à cacher les preuves de ses actes? Est-ce que l’intelligence, étant subjuguée complètement par un instinct qu’on a appelé bestial, et peut-être irrésistible, permettrait de retarder l’acte – que commande ici violemment le désir de la jouissance – permettrait de l’ajourner pour aller se débarrasser des intrus. Vous vous rappelez de l’incident qui a été rapporté ici, hier matin.
Messieurs, si vous acceptez cette preuve comme vraie, comme prouvée hors de tout doute – faisons les raisonnements suivants – Dion regarde son acte quand il est surpris. N’oubliez pas qu’à ce moment-là – je vous passe des détails, vous savez dans quelle position il était avec les enfants – si vous acceptez ça; peut-être au moment même d’atteindre le summum de la jouissance qu’il voulait avoir, il abandonne tout ça. Si c’est vrai.
Il se rhabille pour aller renvoyer les intrus qui pourraient le déranger, qui pourraient le surprendre.
Alors, si Dion est conscient de son acte quand il est surpris, c’est donc qu’il résiste. S’il est capable de retarder, c’est parce qu’il est capable de résister. Et s’il résiste, bien, ce n’est pas irrésistible. Il faut être logique. Si il est capable de résister, où est l’impulsion irrésistible?
C’est là que je vous demande de faire appel au bon sens. Je retarde parce que je résiste. Et si je résiste, bien, évidemment, mon impulsion n’est pas irrésistible.36
Est-ce que l’irresponsable dont l’intelligence est subjuguée par les instincts, penserait à la prière dont on a parlé? Aurait-il du remords ou de la peine à la suite de son forfait?
Quand il s’est agi de la preuve de l’état mental de l’accusé, messieurs – et cette dernière directive que j’ai à vous donner est encore capitale ici – vous avez entendu des médecins experts. La défense a fait entendre son expert, le Docteur Laurin.
Quand il s’agit de la preuve faite par la défense, elle-même, cette dernière, peut dire ou admettre, évidemment, ce qu’elle désire, ce qu’elle veut dire ou ce qu’elle veut admettre.
Je vous ai lu tout à l’heure certains extraits du témoignage du Docteur Laurin relativement à ce que Dion lui aurait raconté quant aux meurtres.
Libre à la défense, évidemment, de faire cette preuve et de dire ensuite si Dion a tué, il était excusable parce que fou ou aliéné.
Par contre, lorsqu’il s’agit des témoins de la Couronne, cette dernière ne peut pas prouver tout ce qu’elle désire, elle, sans se soumettre à des règles de droit qu’elle doit constamment respecter.
C’est pour cette raison que je vous ai informés à deux ou trois reprises déjà, que ce que Dion avait raconté aux docteurs Larivière et Daoust ne faisait pas preuve du meurtre lui-même; ne faisait pas preuve que Dion aurait tué, mais que cela devait être reçu par vous uniquement pour apprécier l’état mental de l’accusé Dion, son comportement, et vous aider à déterminer si, à cause des autres preuves, vous trouviez, hors de tout doute raisonnable que Dion avait tué le jeune Pierre Marquis; pour vous aider, dis-je, à déterminer si à ce moment-là, il voulait ce qu’il faisait; il savait ce qu’il faisait, et s’il connaissait la nature et la qualité de son acte, et s’il savait que cet acte était mauvais moralement ou légalement.
Les deux théories, messieurs, qui s’opposent, sont les suivantes : la Couronne dit que Dion a tué Pierre Marquis parce qu’il a résisté à ses avances; que les avances et cette mort étaient prévues au cas de résistance – Dion était déterminé à tuer s’il y avait de la résistance, pour ne pas qu’on parle. – Dans le premier cas, et ensuite, probablement, pour cacher le meurtre, dans le deuxième cas.
Qu’il a fait cela parce qu’il est un perverti sexuel, un vicieux, et non pas un fou et que toutes ses actions prouvent qu’il voulait ce qu’il faisait, qu’il savait ce qu’il faisait.
La défense dit que Dion a fait ce qu’on lui reproche, c’est parce qu’il était fou et dominé par un besoin et un instinct sexuel tel qu’il était obligé de tuer pour obtenir la jouissance, ou, il est la victime – dit la défense – d’un passé qui a développé cet instincts en lui, à un point tel qu’il ne savait pas, le 26 mai, la différence entre le bien et le mal, et qu’il ne connaissait pas du tout la nature ou la qualité de ses actes.
Je crois que, en quelques mots, ce sont les deux versions qui s’opposent.
Et maintenant, une dernière directive, la preuve – et je le fais évidemment sous les mêmes réserves que je vous ai mentionnées, que vous n’êtes pas obligés de penser comme moi, si vous acceptez l’interprétation que j’en fais – a établi, je crois, qu’on avait retrouvé, chez Dion, cachés en différents endroits ou dans son portefeuille, les objets qui ont appartenu à la jeune victime Pierre Marquis.
Je dois ici, messieurs, vous donner une directive dans le sens suivant, au point de vue légal, à savoir que la possession récente d’objets volés d’une personne, qui subséquemment, on découvre être morte, va créer, évidemment, une présomption que le possesseur des objets est l’auteur du vol.
Mais ceci, en droit, n’indique pas nécessairement que c’est le voleur qui a tué la victime. Un voleur peut avoir des objets qui ont été volés à quelqu’un qui est mort, mais ça ne veut pas dire nécessairement que c’est lui qui l’a tué.
Un individu peut en voler un autre, ou être en possession d’objets qui lui appartiennent sans que ça veuille nécessairement dire que c’est lui qui a tué la personne volée.
Vous avez le droit tout de même d’en déduire qu’il peut y avoir entre le vol et la mort une relation qui peut démontrer que c’est le voleur qui a tué. C’est une déduction qui peut bien se faire comme résultant de la preuve circonstancielle, dans les circonstances que je vous ai indiquées.
Maintenant, l’accusé qui est devant vous, messieurs, au sens de la loi, il est présumé innocent. La loi dit que vous devez présumer que Dion est innocent, en ce sens que quand il vient devant la Cour, il est présumé innocent. Alors, cela indique que la Couronne a le fardeau absolu de prouver sa cause – de prouver que c’est Dion qui a tué après préméditation – et cela hors de tout doute raisonnable. S’il y a ce doute raisonnable, il appartient à l’accusé.
La défense, elle, tant sur les faits que sur le plaidoyer de folie n’a pas à vous convaincre hors de tout doute raisonnable que l’accusé n’est pas coupable, ou qu’il est fou. Elle n’a qu’à faire naître en vos esprits ce doute raisonnable. Et, lorsqu’il s’agit de la folie, à vous satisfaire raisonnablement, par une prépondérance de preuve, qui fait naître ce doute raisonnable.
Alors, c’est la différence de la position des parties : la Couronne a le fardeau complet, sans issue, de prouver hors de tout doute raisonnable, et que vous soyez complètement satisfaits que c’est bien ce qu’elle dit qui est vrai, tandis que la défense, elle, n’a qu’à faire naître le doute, et si un doute naît, et s’il existe réellement, dans vos consciences et dans vos esprits, alors, évidemment, c’est Dion qui doit l’avoir.
Maintenant, je résume en deux mots, et je me suis toujours fait un devoir d’en parler à la fin de mes charges, parce que je crois que la justice le commande d’agir ainsi – pour ne pas qu’on passe sur ça comme des choses à la légère, vous m’avez entendu depuis le début, messieurs, vous parler de doute raisonnable, et convaincus hors de tout doute raisonnable.
Ce doute dont la loi parle et que la loi exige, il est qualifié de la manière suivante : on accole les deux mots « doute » et « raisonnable » pour un motif qui est bien facile à voir. Il ne fait pas que ce soit un doute qui naisse chez vous par pitié, par commisération, par sympathie, par faiblesse, pour accomplir un devoir.
Il faut que ce soit un doute de la raison. C’est-à-dire qu’après avoir examiné non pas seulement les deux parties, mais l’ensemble de la preuve, tant de la défense que de la Couronne, après avoir étudié, analysé, interprété, vous sentez que dans le raisonnement il manque un chaînon; que ce n’est pas complet, que vous n’êtes pas entièrement satisfaits, qu’il y a quelque chose qui trouble votre raisonnement; vous n’arrivez pas d’une façon définitive à la conclusion qu’on vous demande d’atteindre.
Alors, là, évidemment, il y a un doute. Et si ce doute-là existe, ce n’est pas une question de privilège, c’est une question de droit, il appartient à l’accusé et il a le droit de l’avoir.
Mais, comme je vous dis, il ne faut pas que ce soit un doute de caprice, il faut que ce soit le résultat d’une étude consciencieuse, honnête, complète aussi, et qui aboutit évidemment avec cette faiblesse, cette faille, à l’effet que la raison n’est pas entièrement satisfaite et que vous n’êtes pas capable de compléter la décision d’une façon finale sans faire une certaine réserve. Si c’est ça, alors c’est un doute, et c’est ce que la loi exige.
Maintenant, après avoir étudié et analysé cette preuve-là, interprété non pas seulement une partie de la preuve, mais toute la preuve, comprenant celle donnée par les faits, celle donnée par les experts, si vous en venez, messieurs, à une conclusion hors de tout doute raisonnable, que c’est Dion qui est l’auteur de la mort du jeune Pierre Marquis, soit parce qu’il aurait élaboré ou exécuté un système qui consistait à attirer des jeunes enfants, pour ensuite les faire disparaître.
Si vous croyez, hors de tout doute que la preuve, soit directe, soit circonstancielle, vous amène inéluctablement à cette conclusion et que la preuve circonstancielle est telle qu’elle est uniquement compatible avec la culpabilité de l’accusé Dion et incompatible avec son innocence; si vous en venez en même temps à la conclusion que la mort du jeune Marquis, à cause de ce plan ou à cause de d’autres raisons peut-être que vous verrez dans la preuve a été préparée, a été préméditée malicieusement par Dion, alors votre devoir, et votre seul devoir, c’est de rapporter un verdict de coupable, conforme à l’accusation, c’est-à-dire un verdict de meurtre qualifié.
Je vous avertis, cependant, messieurs, qu’il n’est pas nécessaire que ce soit la mort de Pierre Marquis lui-même qui ait été préparée ou préméditée. Du moment que vous êtes satisfaits, hors de tout doute raisonnable, qu’il y a eu une préparation ou une préméditation pour la mort d’un enfant qui, malheureusement s’est adonné à être le jeune Pierre Marquis.
En deuxième lieu, si vous en venez à la conclusion, hors de tout doute raisonnable, encore, que c’est bien Dion qui a tué le jeune Pierre Marquis, mais que vous avez un doute raisonnable, mais que vous ne voyez pas dans la preuve que cette mort a été préméditée ou préparée, mais que cela a été spontané, alors vous pouvez rapporter un verdict de meurtre simple ou de meurtre non qualifié.
Je vous informe d’un autre verdict, mais je vous en informe avec beaucoup de réserve, car je ne suis pas absolument convaincu qu’il est admissible dans la présente cause, c’est celui d’homicide involontaire ou de manslaughter.
Et ça, je vous l’ai dit, c’est l’acte de celui qui fait un acte illégal, qui cause la mort, mais sans intention de tuer.
Si donc vous croyez que c’est Dion qui a tué et qu’il l’a fait sans intention à cause d’un acte illégal, alors évidemment, ce verdict-là serait ouvert.
Mais, si vous croyez que Dion, indépendamment de la folie avait un esprit voilé qui l’empêchait de former l’intention spécifique de tuer, il pourrait être question de ce verdict, et j’en parle avec réserve comme je vous le dis, car si Dion a entendu les supplications de la victimes, si réellement vous croyez qu’il a tué pour sauver sa peau à lui, sa liberté, vous pourrez mettre ces facteurs-là en regard et vous demander si réellement il y avait absence d’intention ou s’il y avait intention.
Évidemment, c’est à vous de le décider; si tout de même vous croyez qu’il a fait un acte illégal sans intention de tuer, alors, évidemment, c’est un devoir de décider que c’est du manslaughter.
Si vous avez un doute raisonnable, et il n’est pas nécessaire cette fois que vous soyez convaincus hors de tout doute, comme je vous l’ai dit, mais si vous avez un doute raisonnable à l’effet que Dion n’a rien eu à voir avec la mort de Pierre Marquis, si vous avez un doute à l’effet que la preuve des circonstances non seulement ne serait pas entièrement compatible avec sa culpabilité, mais qu’elle pourrait être compatible avec son innocence; si vous avez un doute raisonnable, encore à l’effet que Dion n’a rien eu à faire avec l’acte qu’on lui reproche; que la connaissance qu’il avait de l’existence des cadavres et des objets ne le rattache pas à la mort du jeune Marquis, si vous avez ce doute raisonnable dont je vous ai parlé antérieurement, ce doute appartient à l’accusé et évidemment vous devrez lui en donner le bénéfice et l’acquitter.
Et enfin, si vous croyez, hors de tout doute raisonnable encore – je le répète, que si Dion qui a réellement tué les enfants, mais qu’à ce moment-là il était fou, au sens de la loi – et j’insiste – qu’il souffrait d’une maladie mentale à un point tel qu’il était aliéné, ce qui l’empêchait de connaître la nature et la qualité de ses actes, ou l’empêchait de savoir ce qu’il faisait, de savoir ce qu’il faisait si c’était bien ou si c’était mal, si vous avez, non pas si vous êtes convaincus, mais si vous avez un doute raisonnable à cet effet-là, si vous êtes raisonnablement satisfaits qu’il en est ainsi à cause d’une preuve qu’on aurait apportée et qui vous aurait créé ce doute par sa prépondérance, alors, évidemment, vous devrez apporter un verdict de non coupable à cause de folie.
Ce sont là, je crois, messieurs, les verdicts que vous pouvez considérer et parmi lesquels vous choisirez celui que votre conscience et votre serment vous dictent de rapporter.
Maintenant, quand vous avez été assermentés, vous avez juré, individuellement, de rendre un verdict vrai suivant la preuve. Cela veut dire que chacun, vous avez droit à votre opinion. Vous n’avez pas juré de juger suivant ce que votre voisin pense. Vous pouvez avoir des opinions différentes, alors dans ce cas-là, il n’y a pas de verdict, c’est un désaccord.
Si par ailleurs, vous vous entendez tous sur un verdict, il faut que les douze pensent pareil; il faut que ce soit un verdict unanime. Et dans ce cas-là, messieurs, alors vous désignerez quelqu’un parmi vous qui parlera en votre nom, et qui viendra rapporter à la Cour le verdict que vous aurez déterminé.
Alors, messieurs, je m’excuse de vous avoir retenus aussi longtemps; je l’ai fait par devoir. Je sais que vous l’acceptez dans cet esprit-là, et je demande maintenant à la Providence de vous éclairer; de vous mettre en face de la société et de la société et de l’accusé; de vous éclairer, afin d’accomplir votre devoir de la manière que je sais que vous allez l’accomplir en gens honnêtes et consciencieux qui vont respecter leur serment.
Si vous avez besoin de renseignements additionnels, messieurs, je me tiendrai à votre disposition pendant votre délibéré.
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