Homicide cautionné par un groupe/extrémiste politique – Explosifs
Montréal, 2496 rue Rachel – 2 SC
Serge Demers, 21 ans, 8 ans et demi de prison; Pierre Vallières, prison à vie.
Le 5 mai 1966, vers 12h20, alors que la majorité des employés se trouvaient dans la cour pour le dîner, un jeune homme est entré dans la fabrique de chaussures Lagrenade, située au 2496 rue Rachel à Montréal. Rapidement, il a remis à André Lagrenade, fils du propriétaire, une boîte à chaussures en disant qu’il s’agissait d’un retour de la Bentley Shoe Store et que son patron l’appellerait dans quelques minutes pour lui fournir plus d’explications. Alors que le jeune inconnu rebroussait chemin vers la porte de sortie, André Lagrenade tentait de le retenir pour en savoir davantage, mais le téléphone a sonné en même temps. Le jeune homme a donc disparu. Un compagnon l’attendait plus loin, assis sur une motocyclette.
Peu après cet échange d’apparence banal, un vacarme épouvantable a ébranlé tout le quartier. Une bombe venait d’exploser à la fabrique Lagrenade. À leur arrivée sur les lieux, les policiers ont découvert André Lagrenade blessé. La secrétaire principale de l’entreprise, Thérèse Morin, se trouvait à quelques pieds de lui seulement au moment de la déflagration. Ce qui restait de son corps gisait par terre, ensanglanté. La femme qui comptait 40 ans de services pour l’entreprise Lagrenade était âgée de 64 ans.
« La bombe, composée d’explosifs violents, probablement de la dynamite, avait été placée dans une boîte à souliers et déposée sur un pupitre de métal. Au moment de l’explosion, Mme Morin entrait dans le bureau, suivie des deux frères André et Henri La Grenade. Ces derniers ont été grièvement blessés aux jambes, aux mains et au visage. Une autre jeune femme, Mme Viateur Sirois176, âgée de 23 ans, du 5647, 9e Avenue à Rosemont, était derrière un comptoir au moment de la détonation. Mme Sirois, qui est enceinte de huit mois, a été grièvement blessée à la figure et l’on craint qu’elle ne perde la vue ». Trois autres employés – Bernard Lemay, 35 ans, Mlle Marie Leblanc, 22 ans, et Jocelyne Milette, 24 ans – ont été hospitalisés pour choc nerveux.
L’enquête du coroner Laurin Lapointe s’est ouverte le 31 août 1966. Le fait que la police n’avait toujours pas attrapé les responsables de l’attentat expliquait probablement ce délai de quelques mois. Roland Morin, le frère de la victime, avait identifié le corps. C’est par sa bouche que le public a appris que Thérèse était née le 24 septembre 1902. Elle était la fille d’Omer Morin et de Rosa Charrette.
Le Dr Jean-Paul Valcourt, qui s’était chargé de l’autopsie, a précisé que « Thérèse Morin est décédée d’un état de choc consécutif aux hémorragies internes et externes à la suite de multiples lacérations (cœur, poumons, rate, estomac, cuir chevelu, jambe gauche etc.). À noter qu’il y avait multiples fractures de côtes, une fracture de la colonne dorsale et fracture et délabrement de la jambe gauche. Le tout causé par la poussée et les projectiles lors d’une explosion vraisemblable à l’arrière de la victime ».
L’enquête policière a finalement permis de procéder à l’arrestation de Serge Demers, un jeune membre du FLQ177 âgé de 21 ans. Celui-ci est passé aux aveux. Selon sa version, le crime était planifié depuis octobre 1965. Au cours d’un rassemblement de sympathisants du FLQ, où Pierre Vallières était présent, on avait clairement parlé de commettre un acte de violence. Peu après, Vallières l’avait rappelé, cette fois pour lui demander de déménager des livres. « Je suis allé au M.L.P. sur la rue St-Denis près de la rue Roy, en face des sourds et muets. C’est là que j’ai rencontré Réal Mathieu ». Mathieu lui avait appris que le travail consistait plutôt à transporter une machine à imprimer, destinée à la création d’un journal clandestin.
En octobre 1965, Demers s’était rendu à une réunion sur la rue Saint-Denis, près du Carré Saint-Louis, où se trouvaient encore Pierre Vallières, Réal Mathieu et un autre jeune homme prénommé Jean qui avait cependant abandonné le mouvement immédiatement après cette soirée. On avait confié à Demers la livraison du journal La Cognée, dont certains exemplaires étaient destinés à l’Université de Montréal, ainsi que des collèges. Il a occupé cette fonction jusqu’à la mort de son père, à la fin de décembre. Demers avait alors pris une pause jusqu’à la mi-janvier.
Toutefois, c’est à la fin de décembre 1965 que « Pierre Vallières m’a demandé si je voulais aller dans l’action. Je lui ai dit oui. On m’a demandé pour recruter des membres. J’ai essayer [sic] dans St-Henri mais ça ne marchait pas ». Peu après, Demers avait connu un peu plus de succès en recrutant Maurice Montpetit, dont le père était épicier. Mais puisque la mère de Demers se retrouvait veuve et qu’elle avait besoin d’argent, elle avait accepté des pensionnaires, parmi lesquels se trouvaient Pierre Vallières et Charles Gagnon. Ces deux têtes fortes du FLQ ont été ses logeurs jusqu’en mai 1966, c’est-à-dire au moment de l’attentat contre la fabrique de chaussures.
Demers a toujours maintenu que c’était Pierre Vallières qui avait conçu l’engin explosif et qui lui avait demandé de le livrer à l’usine. Il a fallu attendre en 1968 avant que Vallières soit condamné à la prison à vie pour le meurtre de Thérèse Morin. Serge Demers, André Lavoie, Claude Simard, Gérard Laquerre, Marcel Faulkner et Réal Mathieu ont tous plaidé coupables et ils ont reçu des sentences d’emprisonnement variant selon leur degré d’implication dans l’affaire.
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