Homicide domestique par un conjoint suicidaire – Arme à feu
Montréal, 563 rue Notre-Dame-Ouest – 1 SC
Tomasso Bernardi, son prétendant, pendu.
Installé à Montréal depuis quelque temps, Tomasso Bernardi a fait venir d’Italie une jeune femme du nom d’Angelina Regina Reagan. Dès son arrivée à Montréal celle-ci a compris les intentions malhonnêtes de Bernardi et elle s’est réfugiée chez d’autres Italiens. « Pour se venger, Thomasso Bernardi aurait tenté de faire mettre sa proie en prison. Ne réussissant pas assez vite, et aveuglé par la passion, il aurait décidé de se faire justice lui-même en tuant celle qu’il avait dit aimer et celui qui la protégeait contre ses menaces. »84
Effectivement, Bernardi a tenté de la faire jeter en prison en l’accusant de lui avoir volé 120$. La police, qui a probablement compris son intention de vouloir marier de force la belle Angelina, a rejeté sa plainte. Toutefois, une seconde plainte a forcé Angelina à comparaître le 15 avril. Puisqu’elle a plaidé non coupable, le juge a fixé sa comparution au 22 avril. Ce jour-là, elle est sorti de sa résidence du 563 rue Notre-Dame-Ouest à Montréal avec un ami, Luighi Scrolli. Il était 11h45 lorsque Bernardi est soudainement apparu devant eux. Après quelques mots, ce dernier a sorti une arme de poing de « fort calibre » et a ouvert le feu sur le couple à cinq reprises. Le tireur a pris la fuite par la rue Sainte-Hélène mais a rapidement été rattrapé par le constable Frappier. La Patrie a comparé l’incident au niveau de violence qui régnait dans les rues de Chicago, aux États-Unis.
C’est à l’intérieur de la quincaillerie Walker qu’Angelina a reçu les premiers soins avant d’être transportée vers l’hôpital Générale avec Scrolli. Accompagné d’un sténographe officiel, le juge Lafontaine s’est rendu à leur chevet pour recueillir des déclarations ante mortem. C’est avec rage qu’Angelina a identifié son agresseur, qui habitait au 8 rue Sainte-Cécile. Après la visite du juge, le père Caramello, un pasteur italien, a rendu visite aux deux victimes. Bien que les médias les ont décrit comme mourants, Angelina a survécu à ses blessures, tandis que Scrolli a succombé au matin du 23 avril.
Selon le témoin Élie Charron, Bernardi aurait par deux fois appuyé le canon de l’arme contre sa tempe au moment de sa courte fuite, mais la mise à feu a fait défaut. Précédemment, Bernardi avait vécu à San Francisco « lorsque pour la première fois il écrivit à Regina Angelina. Il lui parla de ses succès en Amérique et lui proposa de venir l’y rejoindre. De San Francisco il lui écrivit un grand nombre de lettres, pleines de déclarations d’amour, puis, un beau jour, elle reçut une lettre de Chicago. Tomasso avait déménagé mais rien dans Chicago ne pouvait lui faire oublier l’objet de ses amours. »85 Peu après, il avait réussi à la convaincre de venir le rejoindre à Montréal.
À son arrivée, Regina a découvert que son prétendant n’avait même pas les moyens de couvrir les frais de leur mariage, en plus de proposer « d’aller demeurer chez une femme dont la réputation était loin d’être bonne et voyant que son fiancé oubliait ses engagements, la malheureuse l’abandonna. Cela se passait il y a quinze jours. »86 Elle s’était réfugiée chez Scrolli, un marchand de cartes postales qui habitait sur la rue Craig et qui gérait une boutique de cireurs de chaussures. Peu après, le jeune couple allait s’installer chez M. Oligni au 563 rue Notre-Dame-Est. Puisqu’elle les croyait mariés, Mme Oligni leur avait réservé une chambre à l’étage. En larmes, celle-ci a raconté aux journalistes à quel point ce jeune couple était aimable.
Le procès de Bernardi s’est déroulé les 5 et 6 mars 1914 à Montréal devant le juge Lavergne. Un journaliste de La Patrie soupçonnait Bernardi de simuler la folie. Me Joseph C. Walsh, procureur de la Couronne, ne croyait évidemment pas en cette théorie et il s’est acharné à expliquer aux jurés le sens des articles 259 et 261 du Code criminel. Alors que le juge s’adressait aux douze jurés, Angelina s’est effondrée au sol, victime d’une « syncope au cœur », s souligné La Patrie. Les docteurs Devlin et McTaggart ont d’ailleurs craint pour sa vie.
Reconnu coupable, Bernardi a été pendu le 22 mai 1914. Il a conservé son calme jusqu’à la dernière minute, « mais en face du gibet, la grande frayeur de la mort s’empara de lui et, tremblant de tous ses membres, il cria, non pas des mots, mais des sons effrayants et lamentables. »87 Une fois la trappe ouverte, il a fallu 8 minutes avant de constater son décès.
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