1929, 16 décembre – Agatha Coughlin Day; Jimmy Day, 13 ans; Billy Day, 8 ans; Freddy Day, 7 ans; Andrew Day Jr, 6 ans; Daniel Day; Emmett Day, 3 ans; et Peter Day
- 15 déc. 2024
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Dernière mise à jour : 22 déc. 2024
Familicide – Arme blanche (hache et rasoir) – Tuerie de masse
Trois-Rivières, 13 rue Laurier[1] - 1 SC
Andrew Day, mari et père des victimes, jugé inapte et envoyé en institution psychiatrique.
Au matin du 16 décembre 1929, vers 3h40, le policier Alexandre Charest patrouillait dans les rues de Trois-Rivières lorsqu’il est tombé sur un homme à l’intersection des rues Alexandre[2] et Hart. En ouvrant le col de son manteau, l’homme lui a montré qu’il sa gorge tranchée. Croyant d’abord que ce citoyen venait d’être victime d’une violente agression, Charest l’a immédiatement conduit au poste de police. Là-bas, l’inconnu a fait comprendre aux policiers son souhait d’écrire. Lorsqu’on lui a tendu un crayon et le couvercle d’une boîte de carton, il a griffonné « I murdered my family (j’ai tué ma famille) », en plus d’ajouter son adresse : 13 rue Laurier.
Dans la maison, le chef Jules Vachon et ses hommes ont découvert les corps d’une femme âgée d’une quarantaine d’années et de ses sept enfants, tous des garçons. Les huit victimes avaient été tuées dans leur sommeil à coups de hache. La majorité des blessures se situaient au niveau du cou. La scène de crime a été immédiatement protégée pour éviter que les curieux contaminent l’intérieur de la maison, où les cadeaux des enfants attendaient encore sous le sapin de Noël.
L’homme à la gorge tranchée était Andrew Day, un ouvrier de 39 ans employé à la St-Lawrence Paper[3]. Les victimes étaient sa femme, Agatha Coughlin Day, et leurs 7 enfants : Jimmy, 13 ans; Billy, 8 ans; Freddy, 7 ans; Andrew, 6 ans; Daniel; Emmett 3 ans; et Peter. Andrew Day, qui a voulu se suicider après son horrible massacre, a survécu et a dû faire face à la justice. Lors de son procès, en mars 1930, on a établi qu’il aimait ses enfants, au point, peut-être, de leur accorder tout ce qu’ils demandaient. Par ailleurs, ses collègues de travail à l’usine ont décrit certains de ses comportements étranges. Avant la fin de son procès, le jury l’a finalement reconnu inapte en raison de son aliénation mentale et on l’a alors conduit en institution psychiatrique. Il semble que les journaux aient ensuite complètement oublié ce dossier, comme si ce massacre n’avait jamais eu lieu.[4]
[1] Plus tard, les numéros civiques de la ville ont changé. Au moment d’écrire ces lignes, la maison existe toujours, ayant pour adresse le 351 rue Laurier.
[2] Maintenant la rue Radisson.
[3] Plus tard devenue l’usine Kruger.
[4] Sur les 1 533 causes de meurtre qui ont menées à des condamnations à mort au Canada entre 1867 et 1976, on retrouve l’utilisation d’une hache dans plus de 60 cas (3,9%). Dans trois d’entre eux, l’assassin était une femme. En 1873, Timothy Topping tuait sa femme et ses quatre enfants avant de tenter de s’enlever la vie à West Oxford, en Ontario. D’abord condamné à la peine capitale, sa sentence a été commuée en emprisonnement à vie. On croit cependant qu’il serait mort dans un asile de London. En mars 1889, William Harvey tuait sa femme et ses deux enfants à Guelph, en Ontario. Il a été pendu le 29 novembre suivant. Simeon Czubej utilisait lui aussi une hache et une arme à feu pour assassiner une personne du nom de Bojecko et ses quatre enfants à Winnipeg en octobre 1898. L’assassin a été pendu l’année suivante. Le 9 juin 1900, dans le village de Welwyn, dans les T.-N.-O., John Morrison, 27 ans, utilisait une hache pour s’attaquer à son employeur Alex McArthur et les membres de sa famille. Au moment de l’attaque, tous dormaient. Il a tué les parents et trois de leurs sept enfants, en plus d’en blesser gravement trois autres. Maggie, 15 ans, a été la seule à être épargnée. Elle a couru se réfugier chez le voisin William Jamieson, à un mile et demi de là. Selon le Winnipeg Tribune du 11 juin 1900, l’assassin était originaire d’Écosse et était installé dans la région depuis 6 ou 8 ans. Les autorités locales l’ont retrouvé dans l’étable. Morrison portait une blessure prouvant qu’il avait tenté de s’enlever la vie. Des soins adéquats lui ont permis de faire face à la justice. Il aurait affirmé n’avoir aucun mobile avant d’ajouter qu’il n’était pas fou. Jugé à Moosomin North, Morrison a été reconnu coupable et pendu à la prison de Regina, T.-N.-O., le 17 janvier 1901. En avril 2015, j’ai consulté le dossier de Morrison préservé aux archives nationales du Canada à Ottawa, mais il est assez mince. Les transcriptions de son procès sont absentes.
L'enquête préliminaire:
Le procès:
Le procès s’ouvrit le jeudi 13 mars 1930 au palais de justice de Trois-Rivières devant le juge Aimé Marchand et un jury francophone. Me Philippe Bigué assurait la fonction de procureur de la Couronne, tandis que Me Jean-Marie Bureau se chargerait de la défense de l’accusé, qui apparut les yeux cernés. Il était visiblement épuisé. Le Nouvelliste rapporta qu’une foule composée de « plusieurs centaines de curieux » s’était massée entre la prison et le palais de justice pour tenter d’apercevoir le présumé meurtrier. Day portait un complet bleu à fine rayure pâle. La cicatrice à sa gorge était visible. Il demeura debout tout au long de l’avant-midi, mais en début d’après-midi, le voyant osciller, son avocat Me Bureau demanda la permission au juge de faire asseoir son client. Près de Me Bureau, d’ailleurs, se tenait Thomas Day, le frère de l’accusé.
Après que Me Bureau eut annoncé que le procès se déroulerait en français, le greffier C. E. Vigneau lut l’acte d’accusation dans la langue de Molière avant que Me Maurice Fortin ne traduise, lui qui servirait d’interprète tout au long du procès. Ce fut alors d’une voix faible que Day plaida « not guilty » (non coupable). Le procès put enfin commencer.
Dès le départ, sa confession faite le jour même de la triste découverte du drame au poste de police fut déposée en preuve en dépit des protestations de son avocat. Me Bureau s’objecta à la recevabilité de cette preuve et Me Bigué dut alors faire la démonstration que cet aveu avait été enregistré de façon libre et volontaire en interrogeant le policier Ross. Le juge Marchand trancha en acceptant cette preuve, précisant au passage que cet aveu avait été fait spontanément et librement. On produisit également en preuves la hache et le rasoir.
Le premier témoin fut le constable Alexandre Charest du poste no. 1, qui raconta comment il avait trouvé Andrew Day aux petites heures du 16 décembre 1929 sur la rue Hart.
- Au poste No 1, il y avait le sergent Ross, dit Charest. Je lui dis : « J’ai rencontré cet homme sur mon parcours avec cette blessure ». Le sergent appela alors le constable Jacob, qui conduit le bicycle à gasoline et lui demanda de le conduire à l’hôpital.
- Vous l’avez vu embarquer dans la voiture?, questionna Me Bigué.
- Oui.
- Où l’avez-vous vu ensuite?
- À l’hôpital.
- Quand?
- 20 ou 25 minutes après. Le sergent m’avait envoyé pour en prendre soin.
- Dans quelle condition était-il quand vous l’avez vu à l’hôpital?
- Il était assis sur une chaise. Le Dr Cross lui a enlevé son pardessus. J’en ai eu soin jusqu’à 7h00, après qu’ils lui ont cousu la gorge.
- Qui étaient là?
- Le Dr Cross, le Dr H. Normand et les gardes malades, et moi-même. Le sergent Ross et le constable Jacob étaient retournés. On l’a ensuite transporté dans un lit. Un homme est venu me remplacer à 7h00.
- Y êtes-vous retourné ensuite?
- Non.
- Où l’avez-vous revu ensuite?
- Ici, au palais de justice.
Après avoir affirmé ne pas s’être retrouvé en présence de Day en même temps que le sergent Ross ou le constable Jacob, Charest fut contre-interrogé par Me Bureau.
- Quand vous avez rencontré l’homme sur la rue Hart, est-ce qu’il paraissait affaibli?
- Non, parce qu’il s’en est venu à pied lui-même.
- L’avez-vous soutenu?
- Non.
- Savez-vous si on l’a aidé pour monter dans la motocyclette?
- Je n’ai pas remarqué du tout.
- Au moment où vous l’avez rencontré, pouvez-vous nous dire s’il coulait beaucoup de sang de sa gorge?
- Non, bien peu. Son linge était tout imbibé.
- Comment était-il vêtu?
- Il avait un grand manteau et dessous une camisole. Il l’a ouvert.
- Est-ce que vous avez dit que vous avez assisté à l’opération, quand le Dr Cross l’a cousu?
- Oui.
- Est-ce que vous étiez présent quand il a pris place sur la table?
- Oui.
- Est-ce qu’il s’est étendu lui-même?
- On lui a aidé un peu.
Questionné par le juge, Alexandre Charest dira que Day portait un pantalon et des chaussures en cuir sans caoutchouc. Puis Me Bigué revint, le temps de deux questions.
- À ce moment-là, est-ce que vous connaissiez autre chose que ce que vous avez vu sur la personne de Day?
- Non, monsieur.
- Est-ce que vous aviez raison de croire qu’il s’était passé autre chose que ce que vous voyiez sur sa personne?
- Non.
Par ces réponses, le constable Charest démontrait qu’en tombant sur Day il n’avait aucune raison de croire qu’à quelques rues de là un massacre avait été commis.
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On appela alors le témoin suivant, le sergent Roméo Ross, également du poste de police No 1. Bien qu’on n’en fasse aucune mention dans les journaux de l’époque, les questions utilisées par le procureur laissent entendre qu’on débuta avec Ross par une preuve de voir-dire afin de valider l’admissibilité des aveux écrits.
- Connaissez-vous l’accusé à la barre?, lui demanda Me Bigué.
- De vue seulement, dit le policier.
- Où l’avez-vous vu pour la première fois?
- Au poste No 1.
À ce moment-là, Day avait déjà la gorge tranchée et Ross avait alors demandé au constable Charest s’il savait qui lui avait fait ça. Ross aurait répété la même question à Day, qui se pointa alors lui-même du doigt pour avouer qu’il s’était lui-même infligé cette blessure. Lorsqu’on l’avait fait asseoir, Day avait renvoyé sa tête vers l’arrière et ce fut à cet instant que Ross avait vu l’ampleur de la blessure au cou. Immédiatement, il avait contacté le constable Jacob pour conduire l’homme à l’hôpital.
Ross montra ensuite au tribunal que la lacération était transversale sur 3 ou 4 pouces de longueur et « à une forte profondeur ».
- Est-ce qu’il saignait beaucoup?, continua Me Bigué.
- C’était arrêté. Il ne saignait pas beaucoup.
- Qu’est-il arrivé ensuite?
- Nous l’avons fait embarquer et conduit à l’hôpital. En arrivant à l’hôpital, il était affaibli et nous l’avons aidé en le soutenant. J’ai demandé à la garde malade s’il y avait un médecin. Elle me dit : « conduisez-le à la salle de pansement, je vais aller voir ». Il s’est assis, je lui ai fait demandé qui lui avait fait ça, et il a fait signe avec sa main comme s’il voulait écrire. Le constable Jacob a pris une boîte en carton et un crayon et les lui a donnés. Il s’est appuyé sur ses genoux et a commencé à écrire.
- À ce moment-là, est-ce que vous aviez raison de croire qu’autre chose s’était passé?
- Non.
- À ce moment, quelqu’un lui a-t-il posé des questions quelconques à part de « qui vous a fait ça? ».
- Non.
- Vous ne saviez pas ce qui s’était passé au 13 Laurier ou ailleurs?
- Non. J’ai pensé que c’était une bataille, une chicane.
- Quelqu’un a-t-il fait à Day des promesses ou des menaces? A-t-il demandé à faire une déclaration quelconque?
- Non, monsieur.
- Aviez-vous raison de soupçonner aucune des déclarations qu’il a écrite postérieurement?
- Non, monsieur.
- Est-ce que vous prétendez que ce soit la seule interpellation à Day par vous ou par le constable Jacob « qui est-ce qui vous a fait ça? »?
- Oui.
- Est-ce tout ce que vous lui avez demandé?
- Oui, c’est tout.
- Quand il vous a répondu par geste de la manière que vous avez indiquée, est-ce avant ou après avoir écrit sur le carton?
- Avant.
- Lorsqu’il a manifesté le désir d’écrire est-ce qu’il y avait quelqu’un pour lui imposer des questions?
- Personne.
- Est-ce que quelqu’un lui a fait signe ou invitation à écrire?
- Aucun signe.
- Vous êtes bien positif qu’il a demandé de lui-même du papier et un crayon ou qu’il a fait signe qu’il voulait écrire?
- Oui, de lui-même.
Désireux d’éclaircir le point selon lequel ces aveux étaient légaux, Me Bureau contre-interrogea Ross sur le sujet.
- Est-ce que vous lui avez demandé une fois seulement s’il était blessé?
- Oui, au poste.
- Après?
- Une fois à l’hôpital.
- Par qui?
- Le constable Jacob.
- Ça c’est après avoir eu l’idée d’une bataille où Day aurait pu être blessé?
- Oui.
- Vous cherchiez comme officier de police à savoir qui aurait pu commettre ce crime ou cette offense?
- Ce n’est pas un crime, je pensais que c’était une bataille.
- C’est pour ça que vous lui faisiez poser la question par le constable Jacob?
- Oui, monsieur.
- Vous venez de dire qu’en descendant de la motocyclette vous l’aviez soutenu parce qu’il vous a paru affaibli?
- Oui.
- Vous avez dit qu’en s’assoyant au poste, la tête lui était tombée en arrière?
- Il s’est levé la tête de lui-même.
- C’est après la question du constable Jacob à l’hôpital que des écritures ont été faites?
- Oui, monsieur.
- Alors, c’est au cours d’une enquête sommaire pour trouver un coupable?
- Oui, monsieur.
- Alors que vous étiez en présence d’un homme blessé gravement et que vous aviez été obligé de soutenir pour faire quelques pas pour entrer à l’hôpital?
- Oui, monsieur.
- Ne l’avez-vous pas fait prévenir qu’il n’était pas obligé de répondre?
- Non.
Me Bureau soumit alors au juge que les aveux de son client ne devraient pas être admis en preuve car ils avaient été obtenus ou fais à des policiers qui effectuaient une enquête et tout cela à l’endroit d’un homme affaibli qui ne possédait pas toutes ses facultés mentales. Mais le juge en décida autrement et permit la preuve.
Après un ajournement, Me Bigué revint interroger le sergent Ross mais cette fois en lui présentant le carton qui était encore souillé de sang et qui sera admis en preuve au procès sous la cote P-1.
- Voulez-vous prendre connaissance du carton que je vous exhibe maintenant et nous dire si c’est celui que vous avez présenté à Day et sur lequel il aurait écrit quelque chose?
- Oui, monsieur.
- L’avez-vous [vu] écrire?
- Oui.
- Je remarque quelques lignes écrites au crayon, est-ce que ce sont les lignes qu’il a écrites de sa main?
- Oui.
- Vous êtes-vous rendu compte immédiatement de ce que c’était?
- Oui.
- Pouvez-vous nous lire ce qui est écrit sur ce carton?
- Andrew Day, 13 Laurier. I murdered my family.
Me Bigué montra ensuite au témoin une reproduction photographique du carton pour lui demander s’il trouvait qu’elle ressemblait à l’original. Obtenant une réponse affirmative, Me Bigué voulut ensuite en produire plusieurs autres copies mais Me Bureau s’objecta aussitôt. Me Bigué expliqua que plusieurs copies faciliterait la manipulation de la pièce P-1, probablement parce qu’il avait l’intention de les distribuer auprès des jurés, mais Me Bureau se contenta de dire que l’originale suffisait pour satisfaire la Justice.
Me Bigué put finalement reprendre son interrogatoire auprès de Ross.
- Que s’est-il passé après que Day eut écrit sur le carton?
- Le Dr Cross est arrivé avec la garde malade. Il lui a ôté son paletot et il s’est courbé sur la table d’opération.
- Qu’est-ce qu’il a fait du carton en question?
- Il me l’a remis et je l’ai apporté au poste.
- Qu’est-ce que vous avez fait ensuite?
- Le constable Jacob et moi nous nous sommes rendus au poste No 1 et en arrivant j’ai téléphoné au chef qu’un homme venait d’écrire sur une boîte qu’il avait tué sa famille à 13 rue Laurier. Le chef, moi-même et le constable Desaulniers nous nous sommes rendus à cette adresse. En arrivant, la contre-porte d’en avant était fermée, mais l’autre était entr’ouverte.
- Est-ce qu’elle était barrée?
- Non. On est entré tous les trois. À droite en entrant, il y avait un jeune homme sur le dos, une blessure à la gorge.
- Est-ce que vous étiez tous les trois ensemble pour cette visite?
- Tous les trois.
- Dans quelle condition était-il?
- Il avait la gorge ouverte, il était mort. C’était un salon double. Il était couché sur le sofa.
- Est-ce que vous n’avez trouvé qu’une seule personne là?
- Oui.
- En partant de cette pièce, où vous êtes-vous dirigé?
- Dans la cuisine.
- Qu’est-ce que vous avez trouvé là?
- Une hache et un rasoir.
- Où était-elle cette hache?
- Sur la table.
- Quelle sorte de table était-ce?
- Je crois que c’était une table de cuisine à panneaux.
On lui fit ensuite identifier la hache, en plus de préciser qu’elle était couverte de sang lorsqu’il l’avait retrouvée sur la table. En fait, l’arme portait encore les traces du sang des pauvres victimes.
Me Bigué produisit alors comme pièce P-2 ce que Le Nouvelliste décrivit comme « une petite hache ordinaire de menuisier ». Quant au rasoir, décrit comme étant blanc, il fut également déposé en preuve après avoir été identifié par le témoin.
- Avez-vous remarqué si le sang que vous dites avoir été trouvé sur ces instruments était du sang frais ou du sang coagulé?, reprit Me Bigué.
- Du sang frais.
- Êtes-vous positif que c’était du sang frais?
- Oui.
- Avez-vous remarqué autre chose dans la cuisine?
- Du sang à terre et sur la table.
- Est-ce qu’il y en avait beaucoup?
- Pas mal.
- Ce sang était-il frais ou séché?
- Frais.
- Avez-vous trouvé autre chose?
- Dans le lavabo il y avait du sang.
- Est-ce que c’était du sang frais ou séché?
- Du sang séché. C’était sur le bord.
- Où vous êtes-vous dirigé ensuite?
- Au deuxième étage par l’escalier dans la cuisine.
- Qu’est-ce que vous avez trouvé? D’abord, êtes-vous monté tous les trois?
- Oui. Dans la première chambre en montant, il y avait une femme et un bébé. Ils étaient morts. Ils avaient eu la gorge coupée.
- Vous avez dit qu’en bas le jeune homme avait la gorge coupée. Est-ce que la femme et le bébé avaient la gorge coupée de la même façon?
- Oui, de la même manière.
- Avez-vous une idée avec quoi ces blessures pouvaient avoir été causées?
- Par une hache.
- Avez-vous une raison particulière pour croire que c’est par une hache?
- La hache était en bas, pleine de sang.
- Sur quoi était la femme?
- Sur un lit double.
- Y avait-il des couvertures sur ce lit?
- Oui.
- Est-ce que la femme était sous les couvertures ou dessus?
- Dessous.
- Quelle était la position des corps?
- La femme était couchée sur le côté gauche et le bébé sur le dos.
- Avez-vous remarqué s’il y avait du sang sur les couvertures?
- Ah, oui!
- Ce sang était-il frais ou séché?
- Frais.
- Y avait-il du sang à terre?
- Je n’ai pas remarqué.
- Y avait-il autre chose qui attira votre attention?
- Sur les switches [interrupteurs] de lumière, il y avait du sang.
- Où se trouvaient ces switches?
- Dans le mur.
- À l’intérieur ou à l’extérieur de la chambre?
- Dans les appartements.
- Combien y avait-il d’appartements en haut?
- Trois et la chambre de bain.
- Y avait-il du sang sur les autres switches?
- Oui.
- En partant de cette chambre, où êtes-vous allé?
- À la chambre du milieu.
- Vous étiez encore tous les trois?
- Oui.
- Qu’est-ce que vous avez trouvé là?
- Trois cadavres.
- Dans quelle position?
- Deux étaient couchés dans le même lit, la gorge tranchée.
- De quelle manière?
- Ils avaient une large ouverture.
- C’étaient des enfants de quel âge?
- De 7 à 8 ans.
- Vous dites qu’il y en avait deux dans un lit, et l’autre?
- Il était dans un autre lit.
- Étaient-ils sur les couvertures ou dessous?
- Je ne me rappelle pas.
- Où était le troisième cadavre?
- Dans une couchette plus loin.
- Il était plus jeune que les autres?
- Oui.
- Dans quelle sorte de couchette était-il?
- Une couchette d’enfant.
- Dans quelle position était-il?
- Il avait la gorge coupée.
- En avez-vous trouvé d’autres?
- Deux autres.
- À quel endroit?
- Dans la troisième chambre.
- Des enfants de quel âge?
- 6 ou 7 ans, je pense.
- Des garçons ou des filles?
- Des garçons.
- Dans quelle condition les avez-vous trouvés?
- Morts tous les deux.
- De quelle manière?
- La gorge tranchée.
- Y avait-il du sang sur le lit?
- Oui.
- Frais ou sec?
- Je n’ai pas remarqué.
- Après, qu’est-ce que vous avez fait?
- Nous avons descendu dans la cuisine.
- Combien de temps a duré votre visite?
- Une quinzaine de minutes.
- Qu’avez-vous fait après cette visite?
- Le chef Vachon a pris la hache et le rasoir.
- Qu’avez-vous fait alors, tous les trois?
- Le chef nous a dit, à moi et au constable Desaulniers, « vous allez rester ici pour garder la maison ».
- Quelle heure était-il?
- 4h05 ou 4h10 du matin.
- Vous êtes resté là tout le temps?
- Jusqu’à 7 heures, on est venu nous remplacer.
- Avez-vous rencontré Day après ça?
- Je ne me rappelle pas.
- Lui avez-vous parlé?
- Non.
Étrange, le témoin Ross permit de comprendre que dans la cuisine il y avait à la fois du sang frais et du sang séché. Que devait-on en déduire? Qu’est-ce que la Couronne tentait de démontrer par cette précision? Que l’assassin avait passé du temps seul à attendre entre le moment de ses meurtres et celui où il avait tenté de s’enlever la vie?
Si tel était le cas, alors combien de temps Day aurait-il attendu?
Les premiers témoignages entendus au cours de l’après-midi ne furent, selon Le Canada, que la répétition de ceux entendus lors de l’enquête préliminaire mais sans toutefois offrir plus de précisions. Les journalistes s’attendaient à ce que le procès s’étende sur plusieurs jours.
« Andrew Day semble très faible et on dut lui permettre de s’asseoir au cours de la séance du matin, sur le conseil du docteur Fontaine », écrivit le journaliste anonyme de La Patrie. Selon les journaux, les curieux étaient nombreux aux abords de la salle d’audience puisque les policiers eurent du mal à les contenir. Le juge Aimé Marchand menaça d’ailleurs de faire évacuer la salle si on ne cessait pas ce vacarme.
Après les premiers témoignages, les jurés se déplacèrent pour aller visiter les lieux du crime. Le Nouvelliste rapporta que la maison « est vide depuis la tragédie. Sans doute pour éloigner les mauvais souvenirs qu’invoquait le chiffre fatidique, on l’a remplacé par un autre ». Le juge Marchand leur avait d’abord expliqué que le but de cette visite était de sa familiariser avec les lieux dans l’intérêt de la Justice afin de mieux comprendre les récits des témoins et les commentaires des avocats. De nos jours, il s’agit d’une pratique très rare, voire inexistante.
« La petite troupe ne demeura pas très longtemps à la maison abandonnée et vide de tout meuble », ajouta le quotidien trifluvien, en plus de préciser que les effets de la famille avaient été vendus, exception faite de certains objets plus personnels. Les jurés suivirent ensuite le trajet emprunté par Andrew Day avant qu’il ne tombe sur le constable Charest. Puisqu’il n’y eu aucune autre audience en ce samedi, les jurés retournèrent à leurs quartiers pour y être à nouveau séquestrés. « Ils ne peuvent communiquer avec personne d’autre. Ils prennent leurs repas et couchent sous la garde des officiers de la Cour », fit Le Nouvelliste.
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Le témoignage du Dr Rosario Fontaine permit d’établir que les coups avaient été porté dans la clarté et non l’obscurité, ce qui portait à croire que Day avait pris la peine d’ouvrir les lumières avant de les refermer après chaque meurtre et dans chaque chambre, laissant ainsi une trace de sang sur les interrupteurs.
- Voulez-vous nous dire dans quelles circonstances vous avez été appelé aux Trois-Rivières vers le 17 décembre 1929?, interrogea Me Philippe Bigué.
- Le 16 décembre j’ai reçu instruction du procureur général de venir ici pour l’examen d’une femme et de sept enfants trouvés morts assassinés au No 13 de la rue Laurier, expliqua le Dr Fontaine. Les cadavres me furent montrés par le chef de police Jules Vachon et identifiés par M. Duchesneau, celui qui témoigna avant moi. Toutes les victimes étaient au lit, dans l’attitude du sommeil, et aucune n’avait apparemment offert de résistance. J’ai fait l’examen des 7 enfants et de la mère.
- Pouvez-vous nous décrire le résultat de vos examens?
- La mère, Mme Andrew Day, était une femme de 40 ans, très bien constituée, mais paraissant plus vieille que son âge. Au bas de l’oreille droite, et perpendiculairement je remarquai une plaie béante de 5 pouces avec section du maxiliaire inférieur. La colonne vertébrale était coupée et tous les vaisseaux du cou (l’artère et les veines) de ce côté étaient également sectionnés. Au-dessous, il y avait une plaie n’intéressant que la peau. L’instrument avait apparemment ricoché sur la peau. Ces deux blessures, dont une seule mortelle, avaient été faite par une hache. À l’autopsie, j’ai trouvé que la femme était enceinte d’un fœtus en bonne voie de développement. Les organes ne présentaient rien de particulier.
Pour Jimmy, dont l’âge fut estimé par le pathologiste à 12 ou 13 ans, il portait deux plaies transversales et parallèles à la partie inférieure du cou et avec section de la colonne vertébrale. Ces deux lacérations étaient à un demi pouce l’une de l’autre. La trachée avait été sectionnée. Une troisième plaie avait coupé les vaisseaux sanguins.
William, décrit comme un enfant de 8 ans, portait lui aussi trois coups de hache. Le premier coup lui avait enfoncé la joue droite, faisant en sorte de lui agrandir l’ouverture de la bouche. Les deux autres coups avaient traversé la région antérieure du cou, coupant les artères et les veines et la trachée, entamant aussi la colonne vertébrale. Les trois coups étaient aussi considérés comme mortels, comme dans le cas de Jimmy.
Pour Freddy, 7 ans, il n’avait reçu qu’un seul coup dans la région cervicale antérieure. La colonne vertébrale, les vaisseaux et la trachée étaient complètement sectionnés. « La tête ne tenait que par quelques muscles à la nuque », dira le Dr Fontaine.
Andrew Jr., 6 ans, avait reçu 5 coups de hache. Il avait reçu un premier cou dans une joue qui n’était pas mortel, puis un deuxième dans la région carotidienne (sous la mâchoire), tranchant donc la carotide. Le troisième coup a été porté derrière l’oreille droite, fracassant le crâne. « Par cette plaie on pouvait voir l’intérieur du crâne », dira Fontaine. Quant aux quatrième et cinquième coups, ils avaient été porté de manière semblable à ceux portés au cou.
Daniel, 4 ans, avait été atteint de trois coups de hache. Le premier à travers l’oreille gauche, qui avait tranché l’oreille en deux; les deux autres avaient été portés à la région cervicale antérieure. Tous les vaisseaux étaient coupés et ces trois blessures étaient mortelles.
Emmett, 2 ans, avait reçu deux coups, un à l’oreille gauche et le second tranchant complètement la colonne vertébrale. Encore une fois, la tête était presque entièrement détachée du tronc.
Peter, le bébé de 13 mois, avait reçu deux coups de hache, le premier lui coupant les vaisseaux et la trachée, ainsi que la colonne vertébrale. Le second fut porté à l’arrière de la nuque. « Je crois que c’est le seul qui ait pu bouger, parce qu’il porte un coup en arrière », précisa Fontaine.
- La femme Day et ses enfants ont évidemment été tués pendant leur sommeil, ajoutera Fontaine. Elle était couchée sur le côté gauche et les enfants, pour la plupart étaient sur le dos ainsi que dorment ordinairement les enfants. Les coups portés étaient presque immédiatement mortels. Dans tous les cas, la mort a été instantanée. J’ai ensuite fait l’examen de la hache et du rasoir apportés par les détectives de la police provinciale.
Il confirma aussi que le sang retrouvé sur la hache et le rasoir était humain. À cette époque, la technologie ne permettait pas encore de déterminer les groupes sanguins, et encore moins de pratiquer des tests ADN, mais la démonstration était bien suffisante pour comprendre sommairement ce qui s’était produit dans cette maison.
- Vous nous dites que vous avez fait l’autopsie de Mme Day. Avez-vous examiné les viscères?
- Oui.
- Vous dites qu’elle était en parfaite santé?
- En parfaite santé.
- Voulez-vous nous dire si les viscères contenaient de l’alcool?
- Non, monsieur
- Êtes-vous positif?
- L’estomac était absolument vide. Il ne contenait rien. Je n’ai pas fait l’examen du sang pour savoir de façon positive s’il y avait de l’alcool. Mais il se dégage toujours de l’estomac une forte odeur d’alcool quand il y a eu absorption.
- C’est votre opinion que s’il y avait eu absorption d’alcool vous l’auriez constaté?
La réponse du pathologiste à cette question ne fut rapportée nulle part, mais on la devine. Si la défense ne semble pas avoir émis d’objection, il est clair qu’une telle constatation ne serait pas admise en Cour devant tous les tests dont nous disposons maintenant pour déterminer le taux d’alcoolémie dans le sang. De nos jours, on ne se fie plus aux odeurs pour détecter la présence d’alcool. Cette technique ne tiendrait évidemment plus devant un tribunal.
Quoi qu’il en soit, ce fut ensuite au tour de Me Bureau de contre-interroger le pathologiste.
- Docteur, d’après les faits constatés chez les cadavres, en tenant compte qu’ils furent tous trouvés sur des lits ordinaires dont le fond n’a pratiquement pas de résistance, êtes-vous d’opinion que les coups ont pu être portés avec violence et une détermination extraordinaire?
- Avec une extrême violence et une grande assurance.
- Cette hache que vous avez examinée, voulez-vous nous dire si le taillant est en bon état, si elle est bien aiguisé ou si c’est une vieille hache?
- On peut pas dire que c’est une hache en bon état.
- Est-ce que le taillant n’a pas plutôt l’air d’une scie que d’un taillant de hache?
- Ce n’est évidemment pas une hache en bon état.
- Le rasoir, docteur, avez-vous examiné s’il est en bon état?
- Il est en assez bonne condition.
- La hache dans l’état où elle est maintenant, intervint le juge Marchand, pouvait-elle infliger les blessures constatées chez les cadavres?
- Oui, votre Seigneurie.
- Avez-vous fait l’autopsie des cadavres?
- Non, la cause de la mort était tellement évidente.
- Vous n’avez rien trouvé dans l’estomac de la mère?
- Il était absolument vide. La digestion était complète et finie.
- Pouvez-vous nous dire combien de temps après le dernier repas a dû survenir la mort?
- Un minimum de 5 à 6 heures.
- Y a-t-il quelque chose que vous avez constaté qui pourrait nous aider à fixer le temps précis de la mort?
- C’est la seule chose.
- Vous en venez à la conclusion que ces personnes ont été tuées la nuit au milieu de leur sommeil au moins 5 ou 6 heures après leur repas du soir?
- Oui.
- Était-il possible d’infliger ces blessures dans l’obscurité?
- Je ne crois pas, car elles sont pratiquement toutes au même endroit. Quelques-unes peut-être chez les enfants auraient pu être faites dans l’obscurité.
- D’après vos constatations, pouvez-vous dire si l’assassin a toujours visé au même endroit?
- Il a toujours visé au cou. Je crois que les plaies au crâne ont été involontaires. Tous sont morts par rupture des vaisseaux.
- Serait-il juste de dire que l’assassin a voulu couper le cou de ses victimes?
- Parfaitement.
Le témoignage du pathologiste Fontaine avait permis d’apprendre que les meurtres avaient été commis de 5 à 6 heures après le dernier repas puisque l’autopsie avait démontré que l’estomac d’Agatha Day était vide. Et pour la plupart, les coups de hache, qui visaient tous le cou, avaient été portés à la lumière; sans qu’on sache cependant comment Fontaine en était arrivé à cette conclusion.
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Après l’apparition du Dr A. Tétreault, qui occupait toujours la fonction de coroner dans le district de Trois-Rivières, le principal témoin de la journée fut Louis Jargaille. Me Bureau obtint alors une victoire en convainquant le juge de ne pas admettre en preuve les aveux que Day aurait fait à Jargaille.
- Après avoir eu la permission du docteur et de la garde malade en charge, expliqua Jargaille, après qu’ils nous eurent dit qu’il pouvait supporter une entrevue, je suis entré avec le chef Vachon et le détective Dorais. Je nous ai présentés, disant qu’il était en présence du chef de police Vachon et de deux détectives provinciaux. Je lui demandai s’il savait ce que c’était des détectives. Il répliqua que oui.
- Combien de fois y êtes-vous allé?
- Une fois dans la nuit, deux fois le 17 et une fois le 18. Lors de ces quatre interrogatoires nous étions toujours les trois mêmes personnes.
- Voulez-vous dire à la Cour et aux jurés quels termes vous avez employés pour le mettre en garde?
- Je lui ai dit, après avoir expliqué qui nous étions : « Day, je tiens à vous avertir que vous n’êtes pas obligé de parler. Tout ce que vous pourrez dire sera pris par écrit et servira contre vous à votre procès. Si vous parlez, il faut que ce soit de votre pleine volonté. Vous n’avez rien à craindre ni à espérer ». Il répondit : « oui, je le sais, mon avocat me l’a dit ».
Contre-interrogé par Me Bureau, Jargaille expliqua que le blessé lui avait dit assez rapidement que « je suis fatigué, je ne répondrai plus, si vous continuez je vais appeler la garde malade ».
Me Bigué reprit ensuite l’interrogatoire du détective.
- Quel entretien avez-vous eu avec l’accusé?
- Je lui demandai de me donner l’emploi de son temps la veille. Il dit qu’il était allé à la messe, avec quelques-uns des enfants, qu’il avait passé l’après-midi à la maison pendant que les enfants jouaient dehors. Il n’était venu aucun visiteur. La famille soupa entre 17h30 et 18h00, puis plus tard les enfants étaient montés se coucher, ainsi que sa femme. Lui-même était resté à lire en bas, ne s’endormant pas, n’ayant pas l’idée de dormir. Vers 23h00 ou minuit, racontait-il, il était monté, puis était redescendu et était remonté. Deux fois il avait essayé de dormir. Il n’a pas dit s’il s’était couché dans son lit ou s’il avait essayé de le faire sur une chaise. Je lui demandai si dans le courant de [la] veillée, jusque vers minuit, s’il était allé des gens du dehors avec lui. Il réplique que non. Ensuite, s’il était possible qu’une ou plusieurs personnes puissent pénétrer quand il lisait ou essayait de dormir; il répliqua que non. Je lui ai fait préciser plusieurs fois qu’il avait passé l’après-midi et la veillée seul, sans recevoir d’amis ou des connaissances. Je lui demandai après ce qui s’était passé. Il dit : « Et bien, c’est assez, il n’y aura plus d’autres réponses pour ce soir, je suis fatigué. Je vais appeler la garde malade si vous posez d’autres questions ». Comme c’était futile, nous sommes partis.
- Est-ce tout pour l’entrevue du 16?
- Oui.
- L’avez-vous rencontré ensuite?
- Le lendemain, nous sommes retournés deux fois, la première à 11h00. Nous avons encore demandé la permission aux autorités de l’hôpital et je l’ai mis en garde de la même façon, à peu près dans les mêmes termes.
Encore une fois, c’est en contre-interrogeant le témoin que Me Bureau s’assura que la mise en garde avait été faite dans les règles de l’art. Il s’objecta, mais le juge trancha une fois de plus en faveur de la Couronne et Jargaille pu continuer son témoignage.
- Après l’avoir mis en garde, poursuivit Jargaille, je lui demandai s’il avait un rasoir. Il répondit « oui ». Est-ce un « safety » ou un rasoir ordinaire? Ordinaire, fut la réponse. Il ajouta qu’il était blanc. Je lui demandai s’il le reconnaitrait, si je lui montrais. Il répondit « oui ». Je sortis alors un rasoir blanc, celui qui est produit comme exhibit et je lui montrai. Il dit : donne-le-moi donc pour que je le regarde ». Je refusai, craignant qu’il pourrait se produire quelque chose, mais je lui montrai tout près de ses yeux. Je lui dis : « quand vous en êtes-vous servi la dernière fois? » « Dans la nuit du 15 au 16 décembre ». « Pour vous faire la barbe? ». « Non, pour me couper le cou ». Et il montrait avec sa main. Je lui demandai s’il avait une hache. Il dit « oui ». Quelle sorte? À manche court. Il dit que les enfants l’avaient achetée environ deux ou trois mois auparavant. Je lui demandai s’il la voyait, s’il la reconnaitrait. « Je crois bien », dit-il.
Le juge ajourna ensuite jusqu’à 14h00 pour permettre la pause du dîner. Au retour, on entendit immédiatement Édouard Lorrain, qui devait rentrer à Montréal. Lorrain était considéré comme un expert en empreinte digitales et travaillait à l’identité judiciaire de la Sûreté provinciale. C’est lui qui produisit à la Cour les photos des cadavres sur la scène de crime.
On rappela ensuite Jargaille dans la boîte des témoins.
- Avez-vous eu d’autres entrevues le 17 décembre avec l’accusé?
- Entre 16h30 et 17h15, je retournai à l’hôpital avec le chef Vachon et le détective Dorais. Je l’ai mis sur ses gardes de la même façon et à peu près dans les mêmes termes.
Ce fut ensuite à Me Jean-Marie Bureau de contre-interroger le témoin.
- À votre deuxième visite du 17 décembre, avez-vous conversé avec l’accusé de choses dont il n’avait pas voulu parler lors de vos visites précédentes?
- Oui.
Me Bureau s’objecta aussitôt, prétextant qu’il s’agissait là d’une manœuvre policière pour arracher des aveux à son client. « On a attendu, dit-il, que le malade fut fatigué pour lui servir goutte à goutte une pression habile. Par des moyens détournés on a réussi à lui faire… ».
Le juge Marchand suspendit alors les audiences pour aller consulter le juge Stein. À son retour, il décida de soutenir l’objection de Me Bureau et avertit le témoin de ne pas rapporter les réponses attribuées à l’accusé.
Jargaille expliqua donc ensuite avoir montré le carton à Day, qui reconnut son écriture mais ne se rappela pas avoir écrit les mots. Quant à la hache, il déclara que « c’est bien une hache pareille comme la mienne, mais je ne peux pas dire que c’est elle ».
- Je demandai : « où la mettiez-vous habituellement? ». « Les enfants jouaient avec », dit-il. J’ajoutai : « mais la dernière fois que vous vous en êtes servi, savez-vous où vous l’aviez laissée? ». « Oui, dans la nuit du 15 au 16 décembre, je l’ai posée sur ma table de cuisine ». « Comme ça », lui dis-je, « il n’y a pas d’erreur? ». Il répondit : « bien, je ne peux pas dire que c’est celle-là, mais la mienne est une pareille ». « Day, vous savez que nous voulons éclaircir cette affaire. C’est notre devoir, et vous-même seriez le premier à nous blâmer si nous ne le faisions pas. Si vous voulez nous donner d’autres renseignements, nous les recevrons avec plaisir ». Il répondit : « je n’ai rien à dire, mon avocat m’a averti de ne pas parler ».
- Avez-vous revu l’accusé ensuite?, questionna Me Bigué.
- Oui, le lendemain, autour de midi, toujours avec le chef Vachon et le détective Dorais. Il y avait là un ou deux constables de la police provinciale. Je le mis en garde comme les jours précédents. Le détective Dorais eut alors à sortir pour quelques minutes. Cette journée, j’ai trouvé Day plus disposé que les jours précédents. Il me demanda lui-même si l’enterrement de sa femme et de ses enfants avait eu lieu, s’ils avaient été enterrés ou mis au four crématoire. Je lui dis qu’ils avaient été enterrés. Il réplique : « j’aurais préféré au four crématoire ». « Pourquoi? », lui dis-je. « C’est une de mes idées. Mais c’est une chose passée, n’en parlons plus ». Je lui dis : « c’est bien malheureux une affaire comme ça », puis je lui ai posé une question que je ne lui avais pas encore posée; je lui ai demandé comment ça se faisait qu’on l’avait trouvé ainsi errant et blessé sur la rue, le matin. Il me donna une longue réponse faisant une déclaration confortant des réponses à tout ce que je lui avais demandé auparavant et sur lequel il avait refusé de répondre.
Me Bureau intervint en expliquant qu’on était en train de revenir sur ce terrain glissant. Le juge lui donna rapidement raison. Jargaille devait donc éviter de rapporter les réponses de l’accusé à ses questions. Pourtant, il poursuivit en expliquant que Day lui avait dit être revenu des quais, où il avait pensé se jeter dans les eaux du fleuve, avant de s’être blessé au cou.
- Ensuite je lui posai une question très directe : « Day, qui avez-vous frappé le premier? ».
Me Bureau s’objecta aussitôt. L’objection fut maintenue et Jargaille sortit de la boîte des témoins. Il était alors 15h45.
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Le témoin suivant fut le détective Dorais. Ce dernier corrobora le témoignage de son collègue avant que le chef Vachon lui succède à la barre. C’est après ce témoignage que Me Bigué annonça sa preuve close. On aura remarqué, en se fiant aux résumés parus dans les journaux, qu’il n’aura jamais été question de la situation financière de la famille Day, un motif pourtant évoqué largement à l’époque du drame. Qu’en serait-il pour la défense?
Pour sa part, Me Bureau proposa que la Cour se déplace, en compagnie des jurés, afin de visiter la scène de la rue Laurier et aussi l’usine où travaillait Day. Le juge écarta la visite de l’usine, n’y voyant aucun intérêt, mais se montra d’accord pour celle de la maison du drame. Me Bureau demanda aussi à ce qu’on ajourne à lundi, car il n’était pas prêt à présenter sa défense, probablement pris de court par la fin abrupte de la preuve de la Couronne.
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Le lendemain, samedi 15 mars, les jurés se déplacèrent sur la rue Laurier pour effectuer une brève visite des lieux. Le Nouvelliste rapporta à ses lecteurs que la maison « est vide depuis la tragédie. Sans doute pour éloigner les mauvais souvenirs qu’invoquait le chiffre fatidique, on l’a remplacé par un autre ». Au préalable, le juge Marchand leur avait expliqué que le but de cette visite était de se familiariser avec les lieux dans l’intérêt de la Justice afin de mieux comprendre les récits des témoins et les commentaires des avocats. De nos jours, il s’agit cette pratique est devenue très rare, voire inexistante.
« La petite troupe ne demeura pas très longtemps à la maison abandonnée et vide de tout meuble », ajoutait le quotidien trifluvien, en plus de préciser que les effets de la famille avaient été vendus, exception faite de certains objets plus personnels. Les jurés suivirent ensuite le trajet emprunté par Andrew Day avant qu’il ne tombe sur le constable Alexandre Charest. Puisqu’il n’y eu aucune autre audience en ce samedi, les jurés retournèrent à leurs quartiers pour y être à nouveau séquestrés. « Ils ne peuvent communiquer avec personne d’autre. Ils prennent leurs repas et couchent sous la garde des officiers de la Cour », fit Le Nouvelliste.
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Lundi, 17 mars 1930.
Ce matin-là, Me Bureau annonça son intention de démontrer que son client ne saurait être tenu responsable de ses actes. « C’est en somme un plaidoyer de folie », écrivit Le Nouvelliste. Restait à savoir s’il aurait du succès dans cette voie. Pour ce faire, il comptait sur les témoignages des connaissances de Day, incluant ses compagnons de travail. Pour sa part, Me Bigué aurait pour devoir de contre-interroger ces témoins afin de leur demander ce qui pouvait réellement paraître étrange dans certains actes de l’accusé, son but étant évidemment que Day soit jugé comme étant sain d’esprit, ce qui l’exposait automatiquement à une peine de mort.
La jurisprudence en cette matière remontait en 1895. Cette année-là, Francis Valentine Cuthbert Shortis, un jeune homme d’à peine 20 ans, entra dans le bureau de l’usine où il avait été congédié à Valleyfield. C’est en compagnie d’employés qui le connaissaient bien qu’il huila et entretint un revolver appartenant à la compagnie durant plus d’une heure. Et soudainement, il tira sur tout le monde. Il en tua un premier et en blessa gravement un autre. Peu après, il tua également un gardien de nuit qui effectuait sa ronde.
Shortis ne fit aucune tentative pour s’enfuir. Au procès, la défense plaida coupable à l’accusation d’homicide mais plaida la folie. Une commission rogatoire se rendit jusqu’en Irlande, le pays d’origine de l’accusé, pour recueillir une cinquantaine de témoignages pour apprendre que des proches parents avaient été internés à l’asile. Quatre experts appelés à la barre s’entendirent sur le fait que Shortis était un « imbécile naturel » et qu’il n’était pas sain d’esprit au moment de son crime. Malgré l’absence d’une contre-preuve de la part de la Couronne, Shortis fut trouvé coupable. Puisque la Cour d’appel n’existait pas à cette époque, ce fut le Conseil des Ministres qui intervint, mais le vote s’en trouva égal. Finalement, sa sentence fut commuée en prison à vie et on l’envoya au pénitencier Saint-Vincent-de-Paul, où il croupissait toujours au moment où Day subissait son procès à Trois-Rivières.
Le procès de Day suscitait de vives réactions, au point où ce matin-là le shérif J. Lassonde fut renversé dans l’escalier.
Le premier témoin appelé par la défense fut J. Rivard, un marchand d’instruments de musique, qui raconta qu’en mai 1929 il avait vendu un piano à l’accusé et que ce dernier l’avait payé comptant. Il fut suivi à la barre par un certain Boisjoli, gérant de la Banque de Montréal.
- Au 14 décembre 1929, interrogea Me Bureau, avait-il de l’argent en dépôt, et si oui, quel montant?
- Il avait 128.73$ avec les intérêts accrus.
- Savez-vous si ce compte était un de ceux qu’on appelle comptes conjoints, c'est-à-dire sur lequel plus d’une personne peuvent [re]tirer?
- Oui, c’était un compte conjoint avec Agatha N. Day.
Me Philippe Bigué s’avança alors pour contre-interroger le témoin.
- Ce compte a-t-il beaucoup changé dernièrement; était-il élevé? Ou moins?
- Moins élevé.
- A-t-il bien fluctué?
- Au premier décembre 1928, il était de 1299.44$. Le 1er janvier de 1929 à 1194.94$.
- Voulez-vous nous dire, puisque c’était un compte conjoint, par lequel des deux les derniers chèques ont été tirés?
- Les derniers par monsieur Andrew N. Day. Durant la période du 15 décembre 1928 au 23 octobre 1929, ils ont tous été tirés par monsieur Andrew Day.
- Est-ce que tous ces chèques apparaissent avoir été tirés par monsieur Andrew Day et payables à « cash »?
- Oui, seulement je ferai remarquer que certains qui sont marqués payables à « cash » ont été payés à d’autres individus.
- Est-ce que vous pourriez nous dire à qui les paiements ont été donnés?
- Le 7 mai 1929 un chèque pas fait à son ordre a été payé à Keating & McRae ou au porteur.
- Est-ce que vous connaissez la profession de messieurs Keating & McRae?
- Ce sont des courtiers. Le 4 janvier 1929, un chèque de 31$ à Georges Allen.
- À part ces deux chèques, est-ce qu’il y en a eu d’autres faits payables à « cash » durant la période en question?
- Oui, monsieur.
- Pouvez-vous nous dire quels autres paiements ont été faits avec ces chèques payables à « cash »?
- Je n’ai aucune information là-dessus.
- Pouvez-vous nous dire si certains dépôts ont été faits durant cette période?
- Le dernier est en date du 5 décembre 1929 : 10$, puis le [?] mars 1929, 10.20$; février 1929, 50.20$; novembre, 50$.
- Quel était le montant, avez-vous dit, au 1er décembre 1928?
- Au 1er décembre 1928 le compte était à 1294.94$.
- Est-ce que ce compte avait déjà été plus élevé au crédit de Day?
- Oui, le 2 mai 1927, la balance au crédit était de 2,279.87$.
Avant que le témoin se retire, Me Bureau lui demanda de déposer en preuve une copie du grand livre de la banque où les opérations avaient été enregistrées. Il était donc possible que l’argent ait joué un rôle car Me Bureau venait de démontrer que son client avait perdu ou dépensé plus de 2,000$ en deux ans.
Le témoin suivant fut Valmore Charron, comptable à la Banque Canadienne de Commerce, succursale de Trois-Rivières. D’emblée il admit connaître l’accusé comme l’un des clients de sa banque. Puisqu’il était un témoin appelé par la défense, il fut d’abord interrogé par Me Bureau.
- Voulez-vous nous dire si au 14 décembre 1929 le compte de Day était au crédit, et si oui, pour quel montant?
- Il avait un crédit de 516.97$
Me Bigué prit ensuite la relève en contre-interrogeant le comptable.
- Avez-vous une copie du compte de Day?
- Pour l’année 1929.
- Voulez-vous nous en dire les fluctuations?
- Le 12 avril, un chèque de 20$; le 8 mai, 3$; le 31 mai, un crédit de 11.69$ représentant l’intérêt sur le compte; le 24 octobre un chèque de 172$; le 9 novembre un chèque de 100$; le 30 novembre un crédit de 10.53$, comme intérêts sur le compte.
- Vous n’avez pas apporté les chèque avec vous?
- Non.
- Est-ce que vous pourriez vous procurer une copie du compte de Day, ainsi que les chèques, d’ici demain?
- Certainement.
Me Bigué demanda alors que le témoignage de Charron soit suspendu, probablement en attendant d’obtenir les documents nécessaires. Toutefois, Me Bureau s’objecta aussitôt en déclarant qu’il s’agissait de son témoin et qu’il n’avait plus besoin de l’entendre. Ainsi, l’avocat de la défense poursuivit avec Charron.
- En disant que l’accusé avait à son crédit un montant de 514.91$, dois-je comprendre que vous voulez dire qu’il avait chez vous cette somme de 514.91$ lui appartenant?
- Oui, monsieur.
En démontrant que Day n’avait pas réellement de problème d’argent au moment des faits, Me Bureau souhaitait donner du poids à sa stratégie visant à démontrer que son client était fou et qu’il ne pouvait donc pas subir son procès. Pour sa part, Me Bigué se devait de prouver le contraire. Mais comment interpréter correctement ces chiffres?
- Savez-vous ce qu’il y avait au crédit de ce compte au 1er janvier 1929?, questionna Me Bigué.
- 787.00$ avec Mme Day.
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Cyriac Dupont était le propriétaire de l’immeuble où s’était déroulé le drame, en plus d’habiter lui-même l’immeuble voisin. En fait, un étroit passage de 7 pieds de largeur séparait les deux maisons.
- Avez-vous déjà vu l’accusé en compagnie de ses enfants?, questionna Me Bureau.
- Oui, bien des fois.
- Voulez-vous nous dire quelle conduite il tenait envers eux?
- Pour ses enfants c’était le meilleur garçon du monde. Je ne l’ai jamais entendu leur dire quoi que ce soit. Quand il venait pour partir en auto, ils ne voulaient pas embarquer tant qu’ils n’avaient pas eu ce qu’ils désiraient : un c’était du « cream soda », un autre de la crème à la glace, d’autres autre chose. Il leur achetait ce qu’ils voulaient, puis il les embarquait.
- Depuis combien de temps avez-vous observé ces faits?
- Depuis deux ans.
- L’avez-vous vu dans d’autres circonstances, autrement qu’alors qu’il se préparait à partir pour des promenades?
- Oui, dans la cour, à la maison.
- L’avez-vous [vu] en diverses circonstances avec son épouse?
- Jamais. Je ne rentrais pas.
- Savez-vous la façon dont il se conduisait envers son épouse?
- Suivant moi, comme un bon garçon.
- Avez-vous eu occasion de lui voir faire certains travaux à la maison?
- Oui, au printemps dernier c’est lui qui a fait le ménage partout. Il a lavé les cloisons, les cadres de châssis. Il avait répandu de la peinture à l’eau. Je l’ai vu aussi laver le linge des enfants.
- Plusieurs fois?
- Souvent. Je ne l’ai pas vu souvent laver, mais je le voyais étendre le linge.
- Avez-vous remarqué si c’était un homme gai et enjoué et plutôt tranquille?
Me Bigué s’objecta à la question mais le juge Marchand permit à l’avocat de la défense de poursuivre. « Il ne parlait pas à personne », répondit Dupont avant d’être contre-interrogé par Me Bigué.
- Si je comprends bien, fit Me Bigué, l’accusé ne parlait que l’anglais?
- Oui.
- Et vous? Comprenez-vous l’anglais?
- Non.
- Vous n’avez jamais eu l’occasion de converser avec lui?
- Je ne peux pas, puisque je ne parle pas l’anglais.
- Vous dites qu’il ne parlait à personne?
- Quand il avait affaires, il parlait à mon garçon, quand il avait affaires.
- Vous l’avez remarqué faire plusieurs travaux domestiques, comme laver?
- Oui, il a fait son ménage.
- Vous l’avez souvent vu étendre le linge?
- Oui.
- C'est-à-dire l’ouvrage d’une femme de journée?
- Il lavait le linge du bébé.
- Avez-vous déjà eu connaissance que quelqu’un lui ait parlé et qu’il n’ait pas répondu?
- Non.
- Quelle sorte de voisin était-ce pour vous?
Me Bureau s’objecta aussitôt en disant que ce point n’a pas été soulevé lors de l’examen, mais Bigué répliqua aussitôt qu’il s’agissait du pendant d’une question posée plus tôt par le criminaliste, qui demandait justement si Day était gai ou joyeux. La question sera finalement permise par le juge.
- C’était le meilleur garçon qu’il n’y avait pas, répondit Cyriac Dupont.
- Voulez-vous nous dire s’il recevait souvent ou quelque fois de la visite?
- Je n’en ai pas vu bien souvent. Quelques fois, bien rarement j’ai vu entrer de la visite.
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Le témoin suivant fut Joseph Dupont, fils de Cyriac, qui déclara à propos de Day qu’un « père ne peut faire mieux ».
- Avez-vous eu occasion de les accompagner (Day et ses enfants) quelques fois hors de la ville?, l’interrogea Me Bureau.
- Oui, je suis allé conduire les enfants à St-Lawrence Beach à la Pointe-du-Lac avec son auto.
- Qui vous demandait de les conduire là?
- Monsieur et madame Day.
- Est-ce que monsieur Day vous donnait les raisons pour lesquelles il vous demandait de conduire ses enfants?
- Des fois parce qu’il était sur son quart.
- Qu’est-ce qu’il vous disait alors?
- Il me disait : « Jos, veux-tu aller conduire les enfants cet après-midi, parce que je ne peux pas y aller? ».
- L’avez-vous vu en compagnie de son épouse?
- Souvent.
- Comment se conduisait-il envers elle?
- Très bien.
- Qu’est-ce que vous entendez par très bien?
- Il me semble qu’il était assez aimable pour elle.
- L’avez-vous vu aider aux travaux domestiques?
- Oui, en plus d’une circonstance.
- Qu’est-ce qu’il faisait?
- Il étendait du linge sur la corde, il ramassait diverses choses autour de la galerie.
- L’avez-vous vu travailler dans la maison même?
- Non.
- Quand vous dites qu’un père ne peut faire mieux pour ses enfants, qu’est-ce que vous entendez?
- Il les aimait beaucoup. Bien des pères de famille ne feront pas ce que Day faisait pour les siens. Il ne sortait jamais sans ses enfants.
- Pourquoi dites-vous ça?
- Par exemple, souvent ils ne voulaient pas embarquer en auto, demandant de la crème à la glace, des liqueurs, des bonbons. Il ne partait pas tant que chacun n’avait pas eu ce qu’il voulait.
Me Bigué contre-interrogea ensuite Joe Dupont, dont l’âge ne sera jamais mentionné.
- Est-ce que vous êtes entré chez la famille Day?
- Quelques fois.
- Est-ce que vous parlez anglais?
- Un peu.
- Est-ce que vous avez eu l’occasion de converser avec Day souvent?
- Assez souvent.
- Avez-vous conversé avec lui jusqu’aux derniers temps?
- Je ne crois pas. Une quinzaine de jours avant.
- Est-ce qu’il sortait souvent avec sa femme?
- Oui, ils allaient assez souvent ensemble.
- Quand il vous demandait pour aller conduire ses enfants à la Pointe-du-Lac, est-ce que sa femme y allait?
- La plupart du temps.
- Vous dites que vous l’avez toujours considéré comme un époux qui aimait bien sa femme?
- Oui.
- Vous n’avez jamais rien eu connaissance?
- Non.
- Avez-vous dit que vous alliez quelques fois ou assez souvent à la maison?
- Quelques fois.
- Vous l’avez vu faire certains travaux domestiques, comme le lavage?
- Je n’ai pas vu s’il faisait le lavage. Je l’ai vu étendre le linge.
- Savez-vous comment était tenue la maison à l’intérieur?
Me Bureau s’objecta à cette question et l’objection fut maintenue par le juge.
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Le témoin J. S. Rivard vint à la barre pour dire que le 7 novembre 1929 un piano avait été livré à la maison de la famille Day et que Mme Day avait payé comptant le prix de cet instrument, soit 150$.
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Ensuite la défense appela à la barre Mme Eugène Godfrey, une femme qui demeurait en face de la famille Day et les connaissait seulement depuis mai 1929.
- Aviez-vous occasion de rencontrer madame Day assez fréquemment?, lui demanda Me Bureau.
- Oui, j’avais coutume d’y aller presque tous les jours.
- Au cours de vos visites, avez-vous déjà rencontré l’accusé?
- J’ai rencontré monsieur Day plusieurs fois.
- Avez-vous eu l’occasion de le voir en compagnie de ses enfants?
- Oui, plusieurs fois.
- Comment se conduisait-il envers eux?
- J’ai pensé qu’il était un père merveilleux.
- Comment se conduisait-il envers son épouse?
- Il était un très bon mari.
- L’avez-vous déjà vu jouer avec ses enfants?
- Oui, très souvent.
- De quelle façon?
- Il les prenait sur ses genoux. Il les sortait pour les amener.
- Avez-vous déjà accompagné la famille au cours d’une excursion?
- Oui, à la Pointe-du-Lac.
- De quelle façon avez-vous passé la journée?
- Nous nous sommes bien amusés. Nous nous sommes baigné, nous avons nagé.
- A-t-il déjà été question entre vous et madame Day de quelle façon la vie familiale était organisée?
- Non, jamais.
- Madame Day vous a-t-elle déjà dit comment Day se conduisait envers elle?
- Elle m’a toujours dit que c’était un des meilleurs hommes qu’elle ait jamais vus.
- Avez-vous déjà eu connaissance qu’il ait travaillé à la maison?
- Non.
- Avez-vous eu connaissance qu’il donnait lui-même certains soins aux enfants?
- Oui, il avait coutume d’aider madame Day à les laver, ou quelque chose comme ça.
- Savez-vous si Day ou madame Day jouait au piano?
- Je crois qu’elle jouait un peu, très peu.
- Savez-vous si les enfants jouaient?
- Jimmy prenait des leçons à l’école.
Ce fut ensuite à Me Philippe Bigué de contre-interroger le témoin pour tenter de miner cette preuve de bonne réputation.
- Avez-vous dit que vous alliez visiter la famille Day tous les jours?
- Presque tous les jours. Parfois j’étais une journée sans y aller.
- Vous avez dit que madame Day vous avait déclaré que son mari était le meilleur garçon du monde. Est-ce qu’elle ne vous a jamais fait remarquer à ce sujet certaines choses dont elle souffrait à l’égard de son mari?
- Non, jamais.
- Est-ce que vous prétendez qu’elle ne vous [a] jamais fait remarquer qu’elle était malheureuse parce que son mari prenait de la boisson?
- Jamais.
- Vous-même, vous ne vous êtes jamais aperçu de scènes plus ou moins disgracieuses parce que Day buvait?
- Non, jamais.
- Savez-vous si, oui ou non, Day prenait de la boisson?
Me Bureau s’objecta et le juge admit que la question pourrait être posée autrement, et à ce propos il suggéra lui-même celle-ci : « avez-vous déjà vu Day en boisson? ».
- Pas que je sache, répliqua Mme Godfrey.
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Le témoin suivant fut son mari, E. Godfrey, décrit comme papetier à la St-Lawrence Paper Mill. Il abonda dans le même sens que son épouse concernant le caractère aimable de l’accusé. Plus Me Bureau arriverait à démontrer la bonne réputation de son client et plus il accentuerait l’écart entre l’acte et l’homme, espérant peut-être ainsi prouver sa folie et lui éviter la potence.
- Avez-vous remarqué en particulier certaines choses qu’il faisait pour elle?, demanda Me Bureau.
- Oui, je l’ai vu lavant le plancher pour elle.
- Quand l’avez-vous vu laver le plancher?
- Le dimanche précédent la tragédie.
- De quelle façon se comportait-il d’habitude, le dimanche?
- Le matin, il allait à l’église. Après son retour, sa femme y allait. Après le dîner quand il faisait beau, ils allaient sur la plage.
- Travailliez-vous au même endroit que Day?
- Oui, à la St-Lawrence Paper Mill.
- Est-ce que vous avez remarqué certains signes de nervosité chez lui?
- Oui. Par exemple, si quelqu’un sifflait sans que Day l’aie vu, il sautait.
- L’avez-vous déjà vu prendre de la boisson?
- Non, monsieur.
- Avez-vous déjà eu occasion d’aller chez lui et qu’il vous ait offert de la bière?
- Oui, monsieur.
- En prenait-il lui-même?
- Non, monsieur.
- Êtes-vous déjà allé en sa compagnie ailleurs et vous-même avez pris de la bière?
- Oui.
- Lui, en a-t-il pris?
- Non.
- À votre connaissance, comment se conduisait-il envers sa famille?
- Il était toujours gentil.
- Qu’est-ce que vous entendez par là?
- Il les traitait comme le meilleur des pères et des maris.
Me Bigué se leva, sachant qu’il se devait maintenant de revenir sur la question de la consommation de la bière afin de contredire l’hypothèse de la folie.
- Est-ce que vous prétendez savoir si oui ou non Day prenait de la bière?
- Non.
- Comme question de fait, est-il à votre connaissance qu’en certaines circonstances Day prenait de la bière?
- Pas à ma connaissance.
- Est-ce qu’il ne vous est pas arrivé souvent de voir les fournisseurs entrer chez lui de la bière à la caisse?
- Non, je n’en ai pas vu.
- Vous avez dit que si quelqu’un sifflait sans qu’il le vit, cela le faisait sauter?
- Oui.
- Est-ce que vous parlez d’un sifflement strident produit avec les doigts dans la bouche?
- Oui.
- Est-ce tout ce que vous avez remarqué d’anormal chez lui?
- Oui.
- Vous avez dit que Day était un époux modèle envers sa femme et un bon père à l’égard de ses enfants. N’avez-vous pas eu l’occasion de constater s’il leur a fait de la peine en certaines circonstances?
- Non, monsieur.
- Êtes-vous allé à la maison de la famille Day immédiatement après la tragédie?
- Non, je devais aller travailler.
- Y êtes-vous allé plus tard?
- Non.
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Après un ajournement de la Cour, on appela William Boucher, un homme qui connaissait Day depuis 4 ans pour avoir travaillé avec lui à la St-Lawrence Paper Mill de Trois-Rivières.
- Au cours de l’été, questionna Me Bureau, est-ce que vous avez eu des relations avec l’accusé au sujet d’une certaine souscription?
- Oui, durant la campagne en faveur du Séminaire, j’allais rencontrer les gens pour leur expliquer l’œuvre et j’ai rencontré Day. Il a souscrit. Je ne me rappelle pas si c’est 25$ ou 50$, un avant-midi. Le soir, après une séance au séminaire, il m’attendait pour me remettre sa souscription. Je lui ai expliqué de nouveau tous les bienfaits spirituels, les messes dites. Je lui dis que durant sa vie, cela lui coûterait plus pour payer une seule messe par année que le montant qu’il souscrivait. Il décida alors de payer la souscription. Le lendemain matin à 5h00, il est revenu chez moi pour me dire qu’il me rapportait sa souscription. Je me suis dit en moi-même : quelle sorte de fou.
Parce que Day avait changé d’avis sur sa participation à un regroupement spirituel, serait-ce suffisant pour le déclarer fou?
Me Bigué fit alors admettre au témoin avoir été un des plus actifs militants dans cette campagne d’aide au Séminaire. Boucher affirma s’être servi auprès de Day des mêmes arguments utilisés auprès des autres donateurs. « Me Bigué fait ensuite expliquer au témoin que pendant la campagne il y avait deux cartes, dont l’une était signée par le souscripteur et demeurait entre les mains du zélateur, et l’autre était gardée par le premier. C’est cette dernière carte que Day était venu remettre au témoin, signifiant ainsi qu’il ne souscrivait pas », précisa Le Nouvelliste.
- Est-ce qu’il y en a beaucoup qui ont fait comme Day?, demanda Me Bigué.
- Il est le seul.
- Est-ce qu’il n’y en a pas qui ont hésité avant de donner leur souscription?
- Ah oui. Mais ceux qui ont signé la carte l’ont tous gardée.
- Tout ce que vous avez trouvé de particulier chez lui c’est qu’après avoir gardé la carte il vous l’a remise. C’est pour ça que vous avez fait en vous-même la réflexion : quelle espèce de fou?
- Oui, il aurait pu attendre à une autre heure.
- Prétendez-vous sincèrement, au fond de vous-même, qu’à la suite de ça vous avez pensé que Day était un homme privé de sa raison?
- Non.
Après que son collègue eut annoncé ne plus avoir de questions, Me Bureau revint pour une toute dernière intervention.
- Avez-vous trouvé que Day avait agi comme un autre homme?
- Ça c’est difficile à répondre; mais j’ai trouvé ça curieux. Il aurait pu attendre une autre heure.
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Le témoin suivant fut Maxime Hébert, qui avait connu Andrew Day en 1919 à East Angus en travaillant au même moulin à papier que lui. Les deux hommes s’étaient retrouvés en 1926 à la St-Lawrence Paper, ici même à Trois-Rivières.
- Quand vous l’avez connu, en 1919, avez-vous remarqué quelque chose d’étrange chez lui?, demanda Me Bureau.
- Il songeait beaucoup. Il nous parlait, puis nous laissait tout d’un coup.
- Voulez-vous dire qu’il commençait à vous parler?
- Cet homme ne nous parlait jamais de lui-même. On lui parlait, puis il nous laissait tout d’un coup pour faire le tour de sa machine et revenait.
- Avait-il une raison de faire le tour de sa machine?
- Pas pour moi.
- Est-ce que vous avez remarqué quelque chose d’extraordinaire dans ses conversations?
- Un matin, vers 4 ou 5 heures, il songeait. Je lui dis, « viens donc parler. Qu’est-ce que tu as à songer? ». Il me répondit : « moi je ne suis pas comme toi, tu es satisfait de ton ouvrage. Moi j’aurai plus tard une grosse position et je vais faire beaucoup d’argent ». Je lui dis : « laisse faire, viens pas fou avec l’avenir, laisse faire le présent ». Et je l’ai laissé.
- Pourquoi l’avez-vous laissé?
- Parce que ça ne m’intéressait pas de l’entendre parler comme ça.
- Vous paraissait-il malade?
- Il m’a dit souvent qu’il avait mal à la tête et qu’il prenait des pilules pour dormir.
- Vous donnait-il des détails si ce mal le tenait depuis longtemps?
- Non.
- Vous a-t-il dit s’il dormait sans prendre de médicaments?
- Il m’a dit qu’il prenait des pilules pour dormir le jour quand il travaillait la nuit.
- Au matin, comment agissait-il?
- Il était correct quand personne ne lui parlait. Si quelqu’un sifflait, il faisait un saut.
- Est-ce une habitude de siffler dans les moulins?
- Oui, souvent.
- Est-ce un signal?
- On siffle des fois de l’autre bout pour donner la pesanteur du papier.
- Quand vous l’avez revu ici, avez-vous remarqué un changement dans sa conduite?
- Non, il songeait à peu près pareil comme là-bas. Toutes les fois qu’il était arrêté, il était autour de sa machine, la tête basse.
- À East Angus, vous est-il arrivé de vous trouver en même temps que lui à la salle de repos?
- On n’avait pas de salle de repos. On se changeait en arrière de la machine, et on s’en venait au-pieds se chausser en avant.
- Vous est-il arrivé quelque chose à cette occasion?
- J’étais à mettre mes chaussures, quand il arriva devant moi en faisant des « simagrées » et me donna deux coups de poings à la tête. Il est revenu après me demander si j’étais fâché et je lui ai dit que non.
- Est-ce qu’il vous a parlé avant?
- Non, il faisait des simagrées et m’a donné deux coups de poing.
- Avez-vous remarqué quelque chose de particulier dans sa figure?
- Il avait l’air bête.
- Êtes-vous déjà allé chez lui?
- Oui.
- Quelle conduite avait-il quand vous y alliez?
- Une bonne conduite.
- Parlait-il chez lui?
- Quand on lui parlait.
- S’est-il passé quelque chose d’étrange au cours de ces visites?
- Non, pas que je me rappelle.
- Est-ce qu’il avait l’air intéressé à ce que vous soyez là?
- Des fois je suis allé le matin, je n’ai jamais resté longtemps, une demi-heure ou une heure.
- Qu’est-ce qu’il avait l’air?
- Il était songeur. Des fois sa femme lui disait : M. Hébert te parler. Cela est arrivé deux ou trois fois.
Me Philippe Bigué prit ensuite le temps qu’il fallait pour contre-interroger l’ouvrier.
- Pendant combien de temps avez-vous connu Day à East Angus?
- J’ai travaillé avec lui un an et 4 ou 5 mois.
- Pendant combien de temps l’avez-vous connu ici?
- Depuis 1926 jusqu’à l’accident.
- Quand vous lui parliez, était-ce en anglais ou en français?
- En anglais.
- Est-ce que vous y alliez avec votre femme?
- Je n’allais pas veiller avec ma femme. Nous arrêtions en revenant de la messe.
- Êtes-vous allé souvent ici aux Trois-Rivières?
- Cinq ou six fois.
- À East Angus, combien de fois vous êtes-vous voisinés en famille?
- Peut-être une ou deux fois par année. Je suis allé trois ou quatre fois en tout.
- Était-ce un homme poli?
- Oui.
- Faisait-il des politesses?
- Qu’est-ce que vous entendez par ça?
- Payait-il un coup?
- Une ou deux fois je me rappelle.
- Ici aux Trois-Rivières?
- Une couple de fois.
- Qu’est-ce qu’il avait?
- De la bière.
- En preniez-vous ensemble?
- Oui.
- Vous n’avez jamais eu de difficulté avec lui, de la chicane?
- Non, jamais. Rien.
- Cette fois qu’il est arrivé à vous en faisait des simagrées, a-t-il frappé sur vous ou sur lui?
- Sur moi, à la tête.
- Comment avez-vous pris ça?
- Comme un homme qui ne sait pas jouer.
- Avez-vous rapportez ça aux autorités?
- Ah! Non.
- Avez-vous rapporté ça chez lui?
- Ah! Non. Ça, on ne parle pas de ça.
- Alors, vous n’en avez pas parlé avant la tragédie?
- Non.
- Vous n’avez pas porté de marque?
- Non.
- C’est comme quelqu’un qui joue dur?
- Oui, c’est ça.
- Revenons à ce que vous dites quand vous parlez qu’il était songeur. Allez-vous chez lui par plaisir ou par obligation? Jurez-vous que vous n’y alliez que quand sa femme était malade?
- À East Angus, rien que quand sa femme était malade.
- Ici? Pour faire un tour, pour le visiter?
- Oui.
Le témoin aurait ensuite expliqué que les autres ouvriers de la papetière ne sursautaient pas comme le faisait Day lorsqu’on sifflait, ajoutant que lorsque le papier ne cassait pas il n’y avait pas tant d’ouvrage à faire dans l’usine. Pour le reste, il avoua que Day était un bon employé.
- Est-ce que vous n’avez jamais songé à changer de position pour améliorer votre sort?, poursuivit Me Bigué.
- J’ai toujours pris le temps comme il venait.
- Est-ce que vous prétendez que quand Day vous a dit qu’il n’était pas pour faire ça toute sa vie et qu’il était pour prendre une position pour faire plus d’argent, il était fou?
- Ça prend un homme pas bien fin pour répondre ça quand je lui demandais qu’est-ce qu’il avait à songer.
- Savez-vous si Day avait meilleur salaire ici qu’à East Angus et vous-même?
Me Jean-Marie Bureau s’objecta mais le juge permit la question.
- C’est le même ouvrage mais le salaire a monté, répondit le témoin.
C’est alors que sur les conseils du Dr Rosario Fontaine on permit à l’accusé de s’asseoir. Les journaux rapporteront d’ailleurs ce fait afin de démontrer l’affaiblissement de Day. Doit-on en déduire qu’à l’époque les accusés devaient rester debout tout au long des audiences?
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Antoine Drolet, un autre compagnon de travail de l’accusé, ne demeura que quelques instants à la barre des témoins. Drolet, qui faisait parfois monter l’accusé dans sa voiture pour se rendre à l’usine, trouvait que Day était du genre nerveux. Il répéta également cette histoire de sifflet. Selon lui, Day sursautait sur son siège lorsqu’une autre voiture passait trop près. Contre-interrogé par Me Bigué, Drolet expliqua que c’était la première fois qu’il voyait un homme aussi nerveux mais dut admettre qu’en voiture il ne semblait pas plus nerveux que plusieurs autres.
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On appela ensuite dans la boîte des témoins Harvey Allen, qui avait connu Day à East Angus en 1919 ou 1920. Allen expliqua que Day changeait subitement de sujet de conversation en plus de le trouver lui aussi extrêmement nerveux. Un soir, Day aurait renversé une boîte de papier humide à l’usine. Lors d’une autre occasion, alors que le papier refusait de s’introduire dans une presse et que le tout s’accumulait, Day se serait mis à frapper dans le lot à grands coups de pieds. Signe d’une impatience extrême?
- Est-ce qu’il vous a déjà dit qu’il se sentait mal à l’aise au moulin?
- Ah! Au sujet de son ouvrage, il disait : « si un homme perd sa position aujourd’hui, il ne sait pas quand est-ce qu’il pourra en avoir une autre ». Il était anxieux sur ce sujet.
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Le témoin suivant fut Frank Dalton, un autre ouvrier de la St-Lawrence Paper qui disait aussi avoir constaté la nervosité de Day avec cette affaire de sifflet. Il lui arrivait également de perdre le file d’une conversation. Dalton se souvenait l’avoir vu frapper à grands coups de poing sur sa machine et lors d’une autre occasion se livrer à des mouvements indécents sur la boîte à papier à déchets. Toutefois, selon lui, Day était un ouvrier compétent.
Me Bigué le contre-interrogea pour lui demander comment cela pouvait être possible de le décrire comme un homme étrange alors que ses patrons le voyaient comme un excellent employé.
- Monsieur Cloutier m’a dit un jour qu’il était fou et qu’il avait peur de travailler avec lui. Sur ça, dit Dalton, j’ai demandé à son boss et il m’a dit que c’était un des meilleurs hommes qu’il avait au moulin.
Dalton dut cependant admettre avoir sifflé à quelques occasions pour taquiner Day mais avait apparemment cessé cette pratique en constatant qu’il était aussi nerveux.
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Le dernier témoin de la journée, Fred Kendall, vint corroborer les dires de ses collègues ouvriers, entre autres à propos de cette histoire de mouvements indécents qui ne furent d’ailleurs jamais décrits convenablement dans les articles de journaux de l’époque. La cour s’ajourna ensuite jusqu’au lendemain matin.
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18 mars 1930.
Le premier témoin de cette journée de procès semble avoir été Me François Désilets, bâtonnier. Il fut interrogé par Me Bureau. En juillet et août 1928, il raconta avoir loué une petite maison lui donnant une vue sur les Day et déclara ne pas avoir vu d’époux plus admirable que lui.
- Je ne lui ai jamais connu un moment d’emportement contre sa femme ou ses enfants, dit-il. Dans les derniers temps, madame Day était malade et restait dans l’auto. C’est lui qui voyait à déshabiller les enfants et à les rhabiller. Il allait porter les aliments à madame Day. Il avait toujours un ou deux enfants sur les épaules ou dans les bras. Le soir, il ramassait du bois mort pour faire un feu sur la grève et il dansait ensuite autour avec ses garçons. Il paraissait démontrer pour ses enfants une patience extraordinaire. À tel point que quand je refusais de jouer avec mes enfants comme Day avec les siens, j’étais gêné, parce qu’il me semblait que j’étais moins bon père de famille que lui.
Il était intéressant de constater que, selon ces témoignages, Andrew Day paraissait impatient à l’usine alors qu’à la maison il se montrait d’une patience exemplaire avec ses enfants.
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Le témoin suivant fut Fernand Beilly, qui connaissait l’accusé depuis une dizaine d’années, d’abord à East Angus. Pour sa part, il avait noté des comportements étranges, comme de frapper sa machine à l’usine à papier.
- Lui avez-vous vu faire quelque chose d’étrange sur sa machine?, questionna Me Bureau.
- Je l’ai vu casser la feuille de papier, à part des coups de poings et des coups de pieds.
- Dans quelle circonstance?
- Quand ça adonnait.
- Est-ce que ça adonnait en même temps qu’un ralentissement ou un arrêt de la machine?
- Non. Il marchait près de la machine, puis à un moment il donnait des coups de poings sur les presses.
- Vous dites qu’il a cassé la feuille, était-ce nécessaire pour le bon fonctionnement de la machine?
- Ah! Oui.
- Est-ce que vous avez vu ces choses-là se produire fréquemment?
- À East Angus, oui, assez.
- Avez-vous déjà remarqué d’autres façon étranges de se comporter à East Angus?
- Oui, une fois il avait retourné une boîte de « wet broke ». C’est une boîte rempli de papier humide, pouvant peser de 700 à 900 livres.
- Voulez-vous dire qu’il a renversé son contenu sur le plancher?
- Oui. La machine allait mal. Je ne sais s’il était choqué. Après que le papier eut été remis en place, il s’approcha de la boîte et essaya de la tirer sur lui. Il força pendant quelques minutes, puis il la renversa.
Le témoin expliqua ensuite avoir revu l’accusé à Trois-Rivières à l’usine St-Lawrence, où il avait travaillé au côté de lui au cours des trois mois ayant précédés la tragédie.
- Avez-vous eu occasion de remarquer quelque chose de spécial chez lui?, reprit Me Bureau.
- Quand ça allait bien, il marchait, dansait. Il venait me trouver pour me dire quelques mots; je ne comprenais rien et il repartait.
Après que Beilly eut corroboré les gestes indécents et la nervosité de Day, ce fut à Me Bigué de le contre-interroger.
- Pouvez-vous nous dire si Day était un vieil employé [vétéran]?
- Oui.
- Pouvez-vous nous dire si c’était un bon ouvrier?
- Très bon.
- Sur une journée de 8 heures, est-ce qu’un faiseur de papier est tenu de travailler tout le temps, est-ce que ça l’occupe tout le temps ou s’il a des loisirs?
- Ah! Non! Quand la feuille ne casse pas, il n’y a rien à faire. Il surveille.
- À propos des coups de poing, est-ce que vous pouvez déclarer qu’une personne ordinaire au cours de l’ouvrage que vous faites, ne fait pas ces mouvements de détente, tout à coup, comme à un moment frapper avec les poings pour se désankyloser, je dirais?
À ce moment, Me Bigué capta l’attention de tout le tribunal en frappant sur la table et le témoin répliqua que, peut-être, cela pouvait être le cas sur une table mais pas sur une machine.
- Est-ce qu’il ne vous est jamais arrivé à vous ou à d’autres travaillant au même travail ahurissant de marcher pour vous détendre?
- Oui, mais pas comme il [le] faisait.
- Est-ce qu’il marchait autrement?
- Oui. Il partait et s’arrêtait tout d’un coup et se retournait comme l’air bête.
- Avez-vous jamais pensé de dire à quelqu’un que Day ne savait pas ce qu’il faisait?
- Non.
- N’est-il pas vrai que d’après son contremaître et ses compagnons il passait pour une des meilleures mains?
- Oui.
- Alors ce n’était pas un homme qui sacrifiait l’intérêt de ses patrons en cassant le papier et en occasionnant des pertes de temps?
- Je l’ai vu faire.
- Êtes-vous prêt à dire qu’il ne pouvait avoir aucune raison de casser le papier comme ça à cause du fonctionnement de la machine?
- Aucune raison.
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Joseph Melançon connaissait Day depuis 3 ou 4 ans à la St-Lawrence Paper. En fait, il passait près de lui à l’usine à environ toutes les 30 minutes. Étrangement, il avait noté que Day refusait de passer au-dessus des coulisses d’eau, en plus de contourner les boyaux.
- Avez-vous remarqué autre chose?, questionna Me Bureau.
- Il a un jour cassé une roue pour régler les « stretch ». C’était une roue de 10 pouces de diamètre. Il essayait de la tourner et il l’a cassée et elle lui est tombée sur les pieds. Je l’ai trouvé pas mal fort. D’autres avaient essayé avant lui de la tourner et ils n’avaient pas été capables.
Contre-interrogé par Me Bigué, Melançon avoua avoir parlé du comportement indécent de Day à d’autres employés.
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Le témoin suivant fut Roy Weaver. Le juge Marchand, qui commençait probablement à comprendre qu’on avait fait le tour de la question entourant le comportement de l’accusé, demanda aussitôt à Me Bureau si ce dernier allait seulement répéter les mêmes choses que les témoins précédents. Me Bureau rétorqua alors que ces témoins apportaient tous un petit élément supplémentaire.
Mais Weaver répéta que l’accusé était nerveux, songeur et très bon pour sa femme et ses enfants. Un jour, Day lui aurait dit souffrir d’insomnie. En contre-interrogatoire, ce fut pour Me Bigué l’occasion de revenir sur le sujet de l’alcoolisme.
- Comment est-ce que c’est venu ça qu’il vous a dit qu’il ne dormait pas?
- Un jour que j’avais bien travaillé, je lui dis que j’allais en prendre un bon coup. Il me dit : « est-ce que tu bois beaucoup? ». Je lui réponds : « non, quand ça me tente ». Je lui dis : « et toi? ». Il me répondit : « moi je prends de 6 à 15 bouteilles par 24 heures ». Je lui dis : « où peux-tu mettre tout ça? ». Il me dit que son système semblait avoir besoin de ça. Je lui répliquai que je croyais qu’il pourrait remplacer ça par d’autre chose.
- Êtes-vous un ami de Day?
- Oui, j’ai toujours considéré que j’étais un ami.
- Avez-vous eu occasion de constater vous-même si Day faisait des abus de boisson?
- Une fois ou deux j’ai cru constater qu’il ne ressentait des effets d’avoir bu.
- Le connaissiez-vous assez pour constater quand il était sous l’influence de la boisson, oui ou non?
- Je crois que je le connaissais assez pour pouvoir dire ça.
- Est-ce que vous avez dit qu’en deux occasions différentes?
- Je puis dire qu’en deux occasions différentes je me suis aperçu qu’il était sous l’influence de la boisson.
- À son ouvrage ou en dehors?
- Une fois à son ouvrage et une fois en dehors.
La première fois qu’on lui avait présenté Day, Weaver se rappelait que celui-ci, alors que la conversation venait de s’entamer, avait tourné les talons pour s’éloigner, sans dire un mot.
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Frank McLeod connaissait l’accusé depuis 20 ans, d’abord pour avoir travaillé avec lui à l’International Falls, dans le Minnesota, puis à Sault Ste-Marie, à Iroquois Falls, à East Angus et finalement à Trois-Rivières. Il n’avait pas travaillé avec Day à ces deux derniers endroits. Il expliqua avoir remarqué un comportement étrange chez, en particulier à l’époque d’Iroquois Falls. En plus de mentionner son agitation, McLeod dira l’avoir vu s’emparer de pesées pour les lancer à une distance de 40 ou 50 pieds. Selon lui, il pouvait également demeurer quelques jours sans ouvrir la bouche. Tout ceci avait pousser McLeod à confier à sa propre femme qu’un jour Day deviendrait fou.
- Dans vos occupations comme vice-président de l’Union des Faiseurs de papier, avez-vous eu à le voir?
- Oui, je l’ai rencontré ici.
- Est-ce qu’il vous a semblé étrange?
- Oui, surtout dans les derniers temps. Je l’ai rencontré la dernière fois à la fin de septembre, au sortir de l’église St-Patrick. Lui arrivait comme on sortait. Il dit : la messe est pas finie? Je pensais d’être en temps pour la messe de 8h00. Mon impression c’est qu’il n’était pas correct. Il avait les yeux bien gros. Il ne s’était pas rasé depuis peut-être une semaine et il regardait comme un fou.
- Avez-vous eu occasion de le visiter chez lui?
- Oui.
- Avez-vous remarqué quelque chose de particulier?
- Bien, la maison n’était pas trop nette. Il avait l’air à bien aimer sa femme et ses enfants.
- Est-ce qu’il vous a déjà parlé de question d’affaires?
- Oui, au printemps passé. Il me rencontra sur la rue Notre-Dame et me demanda quels étaient les bons stocks qu’il pourrait acheter. Il disait qu’il avait assez d’argent et qu’il voulait acheter des stocks. Je lui ai répondu que je ne voulais pas lui donner de conseil, que c’était des affaires qu’il devrait faire de lui-même. Il me demanda ce que je pensais du stock St-Lawrence. Je lui dis que je ne pouvais pas rien lui dire.
- Vous dites que vous êtes vice-président de l’Union des Faiseurs de Papier. Au cours de votre carrière, avez-vous rencontré un grand nombre de faiseurs de papier?
- Ah oui. Peut-être 20 ou 23,000.
- En avez-vous rencontré qui se conduisaient comme l’accusé?
- Non.
- Avez-vous déjà eu connaissance que l’accusé prenait de la boisson?
- Pas gros.
- L’avez-vous déjà vu en boisson?
- Non. Je l’ai vu prendre un coup, un verre de bière, mais jamais plus que ça.
Contre-interrogée par Me Bigué, le témoin dut admettre que Day n’était pas en état d’ivresse lors de cette rencontre à la sortie de l’église. Il n’était pas en mesure non plus de savoir si l’accusé faisait abus de boisson, que ce soit à Trois-Rivières ou à East Angus. Toutefois, il croyait que Day en avait toujours à la maison. Une fois qu’on remercia le témoin, le juge ajourna la séance pour la période du dîner.
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C’est à la reprise des audiences en après-midi qu’on appela le témoin Léon Badeaux, courtier en assurances, qui vint expliquer que vers 10h00 au matin du 1er mai 1929 Day s’était présenté au bureau de Georges Allen. Après le départ de Day, Badeaux s’était rendu au bureau d’Allen pour lui faire remarquer qu’il paraissait « dopé ».
- Vous dites qu’il avait l’air d’un dopé, fit Me Bigué en contre-interrogeant le témoin. Est-ce qu’il n’avait pas l’air d’un homme qui a pris de la boisson?
- Non, mais il avait les yeux fixes et ça m’a impressionné et j’en ai parlé à monsieur Allen aussitôt. Je lui ai dit : moi, je ne l’assurerais pas.
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Le témoin suivant fut Philippe Desroberts, un épicier demeurant à proximité de la demeure louée par la famille Day. Celui-ci déclara que Day se rendait souvent à son magasin avec ses enfants et que chacun voulait alors des choses différentes, que ce soit des pommes, des oranges ou des gâteaux. Et Day leur achetait tout ce qu’ils voulaient, au point où les enfants se rendent parfois seuls au magasin en sachant que Day paierait ensuite la facture.
Questionné par le juge, Desroberts expliqua qu’au cours de la semaine ayant précédée le drame Day s’était rendu à son magasin pour y acheter des pommes et des oranges pour ses enfants. En contre-interrogatoire, Me Bigué lui demanda s’il vendait autre chose que des pommes, des bonbons ou des oranges.
- Vendez-vous aussi de la bière?
Une objection de Me Bureau, maintenue par le juge, força Me Bigué à se tourner vers une autre question.
- Est-ce que Day achetait autre chose que ce que vous nous avez dit tout à l’heure?
- Oui, il achetait de la bière.
- Souvent?
Me Bureau s’objecta de nouveau et le juge décida d’interdire la question.
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On appela alors dans la boîte des témoins Charles Lydick, qui avait travaillé avec l’accusé au moulin de Ste-Croix, à Woodland, à Sault Ste-Marie et finalement à Trois-Rivières. Celui-ci raconta un incident où il était allé boire une bière chez Day, qui lui avait fait remarquer qu’il ne voulait pas entretenir de relation avec des protestants. Lydick dira qu’il avait préféré sortir, où il se sentait plus en sécurité puisque Day marchait de long en large « comme un homme sauvage ».
Lors d’une autre occasion, Andrew Day lui aurait confié à propos de la maison qu’il louait à Dupont que « Charley, un jour j’aurais pu acheter cette maison pour 1,000$, mais j’ai acheté tellement de stocks de mises que je ne pourrais plus ». Un autre jour, il était monté avec lui en voiture pour faire une balade sur le terrain de l’Exposition, dans le nord de la ville. Soudain, Day aurait enfoncé l’accélérateur pour n’appliquer les freins qu’à la toute dernière minute alors qu’il fonçait vers un mur. Danny Day, qui était assis à l’avant de la voiture, s’était violemment frappé contre le pare-brise. Peu après, il aurait offert un verre de vin à Lydick.
À l’usine, Lydick expliqua que Day lui avait déjà donné un coup de poing à l’estomac, ce qui lui avait coupé le souffle. Par la suite, « il se recula et se mit à faire des gestes comme Jack Dempsey », dira Lydick. Dempsey s’était fait connaître comme un champion de boxe au cours des années 1920. On le considérait comme la première grande vedette de ce sport.
Après avoir mentionné lui aussi l’amabilité que Day pouvait démontrer envers ses enfants, le témoin fut amené à répondre à d’autres questions.
- D’une façon générale, avez-vous remarqué quelque chose d’étrange chez lui?
- Oui. Depuis les trois dernières années j’ai toujours considéré que quelque chose n’allait pas bien chez lui. J’en avais peur. Je n’aurais pas voulu lui tourner le dos. Il semblait toujours avoir peur que quelqu’un le frappât par en arrière ou qu’une porte lui tombât sur la tête. La première fois que j’allai chez lui, dans la cuisine, il me parut fou. Il marchait et tournait rapidement. Je le connais depuis 21 ans et je n’ai jamais eu un mot plus haut que l’autre avec lui.
- En dehors de ces circonstances, comment se conduisait-il avec ses compagnons?
- En autant que je puis le savoir, tout le monde s’accordait bien avec [lui].
En contre-interrogeant le témoin, Me Bigué permit de faire ressortir le fait que lors de l’épisode sur la piste de course du coteau, comme l’écrivait Le Nouvelliste et qui devint plus tard mieux connu comme le terrain de l’Exposition, Day n’avait offert du vin qu’une seule fois au témoin. Il avoua d’ailleurs en avoir pris quelques gorgées.
- Quand vous étiez assis dans le salon et qu’il vous invita à passer dans la cuisine, fit Me Bigué, est-ce qu’il avait l’air fâché?
- Non.
- Il vous a donné de la bière dans la cuisine?
- Oui.
- N’avez-vous pas compris qu’il vous invitait à aller dans la cuisine parce qu’il voulait vous offrir de la bière?
- Oui, c’est ça que j’ai compris.
- Saviez-vous si Day avait acheté un grand nombre de partie de mines?
- À ce moment je ne le savais pas.
- Vous a-t-il parlé d’aucun montant qu’il aurait employé?
- Non.
Me Bureau revint ensuite devant le témoin, le temps de quelques questions supplémentaires.
- Quand Day vous a dit qu’il aurait pu acheter la maison pour 1,000$, était-ce celle qu’il habitait au mois de décembre dernier?
- Oui.
- D’après vous, était-ce la valeur de la maison?
- Non, monsieur.
- D’après vous, quelle était sa valeur?
- De 4,000$, 5,000$.
Comme il n’avait pas dit son dernier mot, Me Philippe Bigué revint à son tour.
- Prétendez-vous qu’il voulait dire qu’il aurait pu acheter toute la maison pour 1,000$ ou qu’il aurait pu faire un premier paiement?
- J’ai eu l’impression que ce qu’il disait à ce moment c’est qu’il pouvait acheter toute la maison pour 1,000$.
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Selon Le Nouvelliste, on fit alors appel à W. Karls, mais comme ce dernier était absent on procéda avec Alfred Cloutier, un homme qui travaillait depuis 3 ans avec l’accusé. Celui-ci raconta qu’en montant sur sa machine à papier Day « se livra à des soins de toilettes très intimes. Il lança le tout dans la boîte, et descendit son couteau à la main. Il se rendit à un petit poêle électrique servant à réchauffer le lunch des travailleurs et se mit à travailler dedans »[i]. À l’époque, on comprend que Le Nouvelliste se refusait de décrire les détails trop obscènes de ces comportements, et puisque les transcriptions du procès sont introuvables dans l’affaire Andrew Day on ne connaîtra donc probablement jamais les détails de ce comportement.
- Est-ce qu’il se plaignait?, demanda Me Bureau.
- Il disait que chaque fois que sa femme était malade, il était malade tout le temps. Chaque fois qu’elle avait un bébé c’était la même chose. Plusieurs fois, il me dit qu’il avait mal à la tête, que c’était la bière qui le ramenait, que s’il n’avait pas la bière il pensait qu’il [de]viendrait fou. Il m’avait dit une fois qu’à East Angus il avait eu bien mal à la tête et qu’il avait des idées de se débarrasser de sa famille et qu’il était bien content quand ça s’était passé.
- Avez-vous déjà remarqué si Day arrivait au moulin en boisson?
- Une fois, je crois il y a un an, il était arrivé pas mal chaud et le contremaître l’a renvoyé. C’est la seule fois. Il disait souvent qu’il buvait tant de bouteilles de bière, mais qu’il était toujours bien quand il rentrait.
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Jeudi 20 mars 1930.
Dr J. A. Lussier avait visité Day à l’hôpital dès décembre alors qu’on le traitait encore pour sa lacération au cou. Selon lui, Day souffrait alors d’obsessions.
Me Bigué souleva plusieurs objections avant qu’on interrompe le témoignage de Lussier pour permettre celui du Dr G. De Bellefeuille. Ce dernier était professeur de clinique psychiatrique à l’Université de Montréal en plus d’être attaché à l’Asile St-Jean de Dieu depuis environ 21 ans.
- D’après la preuve que vous avez entendue et d’après vos examens de l’accusé, questionna Me Bureau, en êtes-vous [arrivé] à une conclusion?
- Oui, c’est que Andrew Day souffrait d’une maladie mentale.
- Dites-vous qu’il souffrait ou qu’il souffre d’une maladie mentale?, tint à préciser le juge Marchand.
- Qu’il souffrait et qu’il souffre encore.
- Alors, comment pouvons-nous lui faire subir son procès?, questionna encore le juge.
- Il s’agit de savoir si actuellement il est dans l’impossibilité de subir son procès, de conduire sa défense, intervint Me Bigué.
Après que le juge eut commenté l’article 967 du code criminel, Me Bureau souligna que s’il y avait un doute c’était à la Cour de prendre une décision. « Le président du tribunal remarque qu’à ce stage la procédure pour établir l’état mental du prisonnier n’est pas la même qu’elle l’aurait été si une motion dans ce sens avait été présentée au début du procès. Maintenant, le jury actuel doit être assermenté pour avoir à décider du point spécialement soumis au cours d’une enquête à être tenue »[ii]. En fait, cette révélation du Dr De Bellefeuille prit le procureur de la Couronne par surprise, si bien qu’il demanda un ajournement des audiences pour réfléchir à sa stratégie.
Le juge Marchand ordonna l’assermentation des jurés tout en leur expliquant qu’ils allaient devoir écouter la preuve concernant la capacité intellectuelle de l’accusé et juger ensuite sur sa capacité à subir son procès ou non. Bref, les jurés n’avaient plus à juger Andrew Day sur sa culpabilité des faits mais plutôt sur son état mental au moment de commettre les meurtres.
Me Jean-Marie Bureau, qui était en train de réussir un véritable coup de maître, interrogea alors le Dr De Bellefeuille.
- Voulez-vous expliquer ce que vous entendez par obsession?
- C’est un symptôme mental qui a comme caractéristique l’apparition involontaire et anxieuse dans le champ de la conscience du sujet d’idées ou de sentiments anormaux qui tendent à s'emparer du « moi » malgré les efforts de la volonté.
- Voulez-vous nous expliquer ce que c’est que le déficit de la volonté?
- C’est une diminution du développement ordinaire d’une volonté.
- Avez-vous constaté ce déficit de la volonté chez l’accusé?
- Oui.
- Avez-vous constaté autre chose?
- De nombreuses impulsions.
- Voulez-vous nous dire ce que c’est qu’une impulsion?
- C’est une obsession qui tend à se transformer en acte; le sujet de l’obsession en passe dans le domaine purement idéatique. Quand elle tend à se transformer en impulsion, elle s’extériorise, se manifeste au dehors du sujet par certains actes.
- À votre point de vue, est-ce que la volonté du sujet se trouve dans le même état relativement à l’impulsion et à l’obsession?
- Exactement, le mécanisme psychologique est le même.
- Est-ce que cela veut dire qu’il n’est pas plus capable de contrôler la réalisation de son impulsion que l’obsession?
- Oui.
- Est-ce qu’un malade ne peut généralement pas s’empêcher de penser une chose et la faire?
- Ça, c’est peut-être un peu trop général. Mais quand un motif obsédant pénètre en lui et tend à se transformer en impulsion, pour moi il n’y a aucune puissance qui puisse le contrôler.
- Est-ce que ce sont ces obsessions et ces impulsions trouvées chez lui qui vous portent à conclure que l’accusé souffre réellement de maladie mentale?
- Oui, monsieur.
- Croyez-vous que l’accusé est actuellement malade?
- Oui.
- Le fait que l’accusé est obsédé et impulsif l’empêchent-ils de donner des réponses complètes et de présenter une défense entière?, questionna alors le juge Marchand.
- Pour deux raison. D’abord je prétends qu’il souffre d’un déficit de la volonté, puis je prétends qu’il est dans un état de dépression marquée. Lui-même m’a dit qu’il préférait en finir avec la vie, que la vie n’a plus aucun intérêt pour lui.
- Est-il dans un état tel qu’il puisse apprécier ce qui se passe de manière à aviser son avocat pour faire sa meilleure défense?
- Non.
Ce fut ensuite à Me Bigué de contre-interroger l’expert en psychiatrie.
- Est-ce que l’état d’obsession ou d’impulsion est le fait d’être absorbé par un seul but, une seule chose?, demanda encore le juge.
- Non. Il faut une idée involontaire, qui pénètre chez le sujet et qui amène des réactions affectives, du côté de l’humeur.
- Est-ce que la boisson pourrait être la cause de l’obsession et de l’impulsion?, reprit Me Bigué.
- Non. La boisson par elle-même ne peut constituer la cause de la maladie, mais elle peut stimuler les tendances obsédantes.
- Avez-vous trouvé encore des symptômes d’obsession lors de vos examens?, demanda encore le juge.
- Oui, Votre Seigneurie.
- Quand ces idées s’imposent, est-ce qu’il y a de la place dans son cerveau pour d’autres idées?
- Non, monsieur.
- Est-ce que la maladie, sans penser à ce qui est la cause de sa présence ici, est dans un état antisocial, est justifiable d’internement dans un hôpital d’aliénés?
- Oui, Votre Seigneurie.
- Votre témoignage est à l’effet qu’il devrait être dans un hôpital plutôt qu’ici?
- Oui.
- Est-ce que l’obsession pourrait conduire au meurtre?, demanda finalement Me Bigué.
- Absolument.
On rappela ensuite le Dr J. A. Lussier, qui corrobora les prétentions du Dr De Bellefeuille. Par la suite, on laissa Me Bigué le contre-interroger.
- Est-ce que la boisson peut être la cause de l’obsession et de l’impulsion?
- Uniquement, non.
- Est-ce qu’elle ne peut être la cause génératrice?
- Elle peut contribuer, dans une certaine part chez le sujet, à constituer son aptitude à des obsessions.
- Dans le cas de Day, est[-ce] que la boisson n’aurait pas pu être la cause adjuvante ou génératrice?
- Sûrement que l’alcool n’a pas été un facteur d’augmentation de son impulsivité.
- Pourquoi?
- D’après ce qu’il m’a dit, l’alcool était pour Day un moyen de défense pour l’aider à se débarrasser des impulsions qui envahissaient son état mental.
- D’après vous, quelle était la cause de ses obsessions?
- Son état morbide constitutionnel, qui a évolué un peu avec les années.
Il expliqua, lui aussi, que Day était inapte à subir son procès. Me Bigué demanda alors un ajournement afin de consulter ses propres experts, appelant ensuite l’un d’eux dans la boite des témoins, soit le Dr Daniel Plouffe. Celui-ci était surintendant médical de l’hôpital des aliénés criminels à la prison de Bordeaux en plus d’être expert auprès des tribunaux, surintendant de toutes les écoles de réforme de la province. Plouffe avait eu l’occasion de rencontrer Day à la fois à Bordeaux et à Trois-Rivières.
- Quelle serait d’après vous la cause de sa maladie mentale?, lui demanda Me Bigué.
- Il existe chez cet homme un certain degré de dégénérescence mentale qui serait causée par un état d’alcoolisme chronique à la suite d’abus prolongé de la boisson. L’alcool aurait amené chez lui cet état mental défectueux.
Lorsque le sujet du comportement obscène de Day fut abordé, le Dr Plouffe parla alors de perversion morale. Le Nouvelliste mentionna quant à lui que Plouffe « a pratiqué l’examen Wasserman, et les résultats ont été absolument négatifs », sans qu’on nous explique cependant ce dont il s’agissait.
Question de contrecarrer ce revirement de situation engendré par la stratégie de la défense, Me Bigué appela son deuxième témoin expert. Le Dr F. E. Devlin, attaché à St-Jean de Dieu depuis 1887, affirma avoir témoigné à titre d’expert pour la première fois en 1888 et depuis 1918 il était surintendant médical à St-Jean de Dieu. Après l’apparition de Devlin, qui corrobora les dires du Dr Plouffe, le juge Marchand fit ses instructions aux jurés avant que ceux-ci se retirent.
Était-ce donc l’alcool qui avait été l’élément déclencheur ou alors la maladie mentale était réellement ancré chez Andrew Day?
Après une dizaine de minutes de délibérations, ceux-ci revinrent déclarer que « nous trouvons que l’accusé n’est pas capable de subir son procès ».
Le juge Marchand ordonna alors que Day soit détenu à la prison de Trois-Rivières jusqu’à ce que le lieutenant-gouverneur décide de son sort. Ainsi donc prenait fin le procès d’Andrew Day. Jugé inapte à subir son procès, cela signifiait donc qu’aux yeux de la justice les meurtres de sa femme Agatha et de ses sept enfants resteraient théoriquement impunis.
Si on en croit certains comptes rendus journalistiques de l’époque, Day n’avait pas été complètement insensible à ce qui se passait autour de lui. « Il parut fort affecté quand ses amis d’autrefois parurent dans la boîte et énumérèrent certains détails de sa vie familiale », pouvait-on lire dans La Patrie.
Quant à la situation financière de l’accusé, des témoins vinrent démontrer qu’il possédait un compte dans deux institutions financières différentes et que dans chacun d’entre eux ses économies « avaient généralement diminué depuis plus d’un an »[iii]. La perte monétaire aurait donc pu être un autre élément déclencheur. L’hypothèse du crash boursier évoqué dès l’époque du drame n’était donc pas sans fondement, bien que la preuve restait à faire.
Devant certaines accusations de brutalité et de répression policière provenant d’un journal anglophone de Montréal, Me Philippe Bigué dut se défendre en déclarant qu’il s’agissait d’insinuations injustes et inexactes. Pour sa part, Me Jean-Marie Bureau fit taire toute rumeur en ce sens en reconnaissant l’honnêteté professionnel des policiers. Quant à lui, le juge Marchand déclara ne rien trouver dans la preuve qui puisse appuyer de telles affirmations et que rien ne démontrait que Day ait été soumis à des pressions quelconques.
Le Canada n’aura que des éloges pour la stratégie de Me Jean-Marie Bureau qui avait réalisé un véritable coup de maître en sauvent ainsi son client de la potence.
Devant cette situation, le juge Aimé Marchand n’eut d’autre choix que de rendre immédiatement sa sentence. Il décréta que Day « serait détenu à la prison commune [de Trois-Rivières] sous stricte surveillance, jusqu’à ce que soit connu le bon plaisir de son Excellence le Lieutenant Gouverneur »[iv].
[i] Le Nouvelliste, 19 mars 1930.
[ii] Le Nouvelliste, 20 mars 1930.
[iii] La Patrie, 18 mars 1930.
[iv] La Patrie, 20 mars 1930.
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