Homicide commis lors d’un vol – arme à feu (revolver de calibre .38)
Montréal – 1 SC
Joseph Abramovitch, 17 ans, condamné à mort, sentence commuée; William Shaeffer, 17 ans, s’est suicidé après le crime.
William Haynes, 58 ans[1], était un armurier bien connu à Montréal. Le 2 janvier 1936, vers 11h30, deux jeunes hommes entraient dans son atelier. Haynes se trouvait alors en compagnie d’un client et d’un employé. L’un des jeunes a sorti un revolver de calibre .38 en demandant à Haynes s’il voulait bien lui réparer. L’armurier a examiné l’arme avant de la lui remettre. Aussitôt, le jeune homme l’a visé avec le revolver tout en exigeant d’autres armes. Devant l’hésitation de Haynes, le jeune homme a pressé la détente. Selon les premières constatations journalistiques, Haynes aurait été atteint à la tête mais le procès a révélé autre chose.
Une fois que Haynes s’est retrouvé au sol, grièvement blessé, les deux assaillants ont ligoté le client avant de prendre la fuite dans les rues, en direction nord. Un employé de Haynes est cependant parvenu à les suivre sur une courte distance en criant, attirant ainsi les regards des passants. Peu après, c’est à l’intersection des rues Demontigny et Saint-Laurent qu’un des deux suspects a été arrêté par le constable Maurice Cardinal (matricule 836), secondé par le citoyen Albert Dubois, qui résidait au 206 Est rue Demontigny. Tandis que Cardinal maîtrisait le fuyard, Dubois l’a désarmé en le frappant au visage. L’arme retrouvée sur celui-ci était un revolver de calibre .38. Lorsqu’on a examiné le contenu du barillet, on a vu que l’une des cartouches avait été utilisée récemment. Dans ses vêtements, on a trouvé une boîte contenant 18 cartouches.
Pendant que le capitaine Victor Julien examinait la scène de crime, une ambulance est arrivée sur les lieux. Malheureusement, en constatant la mort de Haynes, les autorités ont compris qu’il fallait plutôt transporter le corps en direction de la morgue. Peu après, c’est dans une station-service située au coin des rues Hutchinson et Laurier qu’on a retrouvé l’autre suspect : William Shaeffer, 17 ans.[2] Il s’était réfugié dans les toilettes de la station pour s’enlever la vie. La police a trouvé une note qu’il avait laissée avant de se suicider et sur laquelle il déclarait « préfère envoyer un cadavre à sa famille que de lui donner un bagnard. »[3]
L’autre suspect, conduit au poste de police no. 4, a révélé son identité. Il s’appelait Joseph Abramovitch, avait lui aussi 17 ans et résidait au 266 de l’avenue des Pins Est. Pendant que la presse sentait le besoin de mentionner ses origines juives, on a souligné que le jeune accusé mesurait 5 pieds et 5 pouces et pesait 120 livres.
Le procès d’Abramovitch s’est bouclé en deux jours, les 9 et 10 mars 1936 au palais de justice de Montréal devant le juge R. A. E. Greenshields. Me Dan Gillmore occupait pour la Couronne tandis que l’accusé était défendu par Me Joseph Cohen. L’un des premiers témoins entendu a été le Dr Rosario Fontaine de l’Institut médico-légal, qui avait fait l’autopsie. Il a expliqué que la victime avait été atteinte au poumon gauche, le projectile sortant dans le dos à la hauteur de la 9ème vertèbre. Il n’y avait aucune trace de poudre sur les vêtements de Haynes, mais le Dr Fontaine en avait retrouvé sur le menton, « ce qui porte à conclure que la balle a été tirée de haut en bas à bout portant, avec un revolver neuf de calibre .38. »[4]
Le mobile évoqué lors du procès aurait été à l’effet que les deux voleurs avaient l’intention de prendre des armes afin de les revendre pour payer leurs études. C’est la version qu’a donné Abramovitch, qui a témoigné pour sa propre défense. Ensuite, il a prétendu ne plus se souvenir qui, de lui ou de son complice, avait ouvert le feu sur l’armurier. Toutefois, les expertises du Dr Fontaine ont confirmé que l’arme du crime était celle retrouvée sur l’accusé au moment de son arrestation.
Au moment de sa plaidoirie, Me Cohen a essayé de présenter aux jurés une version selon laquelle son client était victime de la société « parce qu’elle lui a faussé l’esprit par le cinéma, les magazines, etc. » Il a servi l’argument selon lequel l’accusé avait été entraîné par Schaeffer. Pour sa part, Me Gilmore a mis en garde les jurés contre les théories de son adversaire, expliquant que « c’est une cause simple et votre verdict peut avoir une grande influence sur la société. »
Le jury a reconnu Abramovitch coupable de meurtre tout en recommandant la clémence de la Cour. La mère de l’accusé, qui se trouvait dans le prétoire, est sorti en pleurant au moment du prononcé de la sentence. Dans ses directives au jury, le juge aurait mentionné qu’il n’y avait aucune raison d’envisager le manslaughter (homicide involontaire). L’exécution a été fixée au 15 mai 1936 mais la peine a été commuée en emprisonnement à vie au pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul.[5]
[1] Dans les articles publiés au cours du procès, en mars 1936, on le décrivait comme un homme de 56 ans.
[2] Selon Le Soleil, « Shafer » logeait au 4572 rue St-Urbain. Il se serait éteint à l’hôpital Royal Victoria à 18h30 le soir même de l’agression à l’atelier Haynes.
[3] La Patrie, 10 mars 1936.
[4] La Patrie, 9 mars 1936.
[5] Dans La Presse du 29 juin 1960, on fait mention d’un Joseph Abramovitch condamné pour avoir fraudé l’assurance chômage. « […] Joseph Abramovitch, dont l’adresse n’était pas indiquée au dossier, a reconnu sa culpabilité à 35 chefs d’accusation ayant trait à l’obtention frauduleuse d’un montant global de $971 provenant de l’Assurance-chômage. Sous le premier chef d’accusation, il a écopé d’une amende de $50 et pour chacun des 34 autres, de $5 ». Il m’a cependant été impossible de confirmer si ce Abramovitch était le même condamné qu’en 1936.
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