1968, 22 novembre – Marcel Prince
- 29 nov. 2024
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Dernière mise à jour : 21 déc. 2024
Homicide commis lors d’un vol – Arme à feu (calibre .22)
Saint-Léonard d’Aston/route 34 à Saint-Célestin – 2 SC
Marcel St-Louis, 6 mois de prison.
Le 22 novembre 1968, un peu après 18h00, Camille Prince, 13 ans, était seul pour s’occuper de l’épicerie de son père, à Saint-Léonard-d’Aston, lorsqu’un jeune homme s’est présenté. Celui-ci a d’abord demandé du jambon puis finalement un sac de pommes. Lorsque le jeune commis s’est brièvement absenté dans l’arrière-boutique, le client a disparu avec la caisse enregistreuse. Paniqué, le jeune Camille a aussitôt averti ses frères qui habitaient juste au côté et au-dessus du commerce. Ceux-ci ont alors sauté dans une voiture pour prendre le voleur en chasse.
La poursuite automobile a donné lieu à une première altercation, puis une deuxième qui s’est produite sur la route 34, à Saint-Célestin. Les frères Prince ont bloqué le chemin au voleur et Michel Prince, l’aîné, a même ouvert le feu avec une arme de calibre .22. Se sentant piégé, le voleur a donc sorti sa propre carabine, également de calibre .22, pour atteindre mortellement Michel Prince, qui s’est effondré dans la neige. Le voleur a réussi à prendre la fuite, mais des policiers l’attendaient chez lui, à Drummondville. Il s’appelait Marcel Saint-Louis.
Le procès de Marcel Saint-Louis s’est ouvert le 3 février 1969 au palais de justice de Trois-Rivières. Prenant en considération que la famille Prince avait voulu se faire justice, Saint-Louis a été reconnu coupable d’homicide involontaire et il a écopé de seulement six mois de prison. Toutefois, le destin lui réservait un avenir plus sombre encore. En septembre 1971, à Roxton Ponds, près de Sherbrooke, il a tué sa conjointe, Gaétane Giggs, 21 ans, ainsi que la fillette de Gaétane, Nancy. Marcel a laissé une note de suicide. À l’arrivée des policiers, toutefois, St-Louis était encore vivant. Encore une fois, il avait utilisé une arme de calibre .22.
Le procès:
St-Léonard d’Aston,
Vendredi, 22 novembre 1968
Peu après 18h00, Camille Prince, 13 ans, se retrouva seul dans l’épicerie de son père. Malgré son jeune âge, il avait l’habitude d’occuper cette fonction. Après tout, ce commerce l’avait vu grandir. De toute manière, il se sentait bien entouré puisque son frère aîné, Michel, habitait juste au-dessus. À cette heure-là, Michel était d’ailleurs en train de souper dans son petit appartement en compagnie de sa femme. En fait, il préparait quelque chose pour Ginette, qui ne se sentait pas très bien.
Camille habitait lui-même avec ses parents dans la maison voisine. Ainsi, au moindre problème, il n’avait qu’à pousser la porte et courir quelques pas pour obtenir un renseignement ou une aide quelconque.
Le commerce ne comptait que trois étagères remplies de produits variés. À cette heure, les clients se faisaient généralement rares. Les gens de la région étaient en train de souper, d’autant plus que la noirceur laissait tomber son voile assez tôt en cette fin de novembre. Ce soir-là, le manteau de neige recouvrant le sol de la région apportait une mince consolation à cette monotonie de fin d’automne, en plus d’une légère clarté.
Le jeune adolescent s’affairait dans le commerce lorsqu’une brève lueur jaillit dehors. Était-ce les phares d’une voiture ou les reflets sur une carrosserie? Camille n’avait rien vu. Mais la porte du commerce s’ouvrit peu de temps après et un homme marcha dans sa direction. Derrière le comptoir, le jeune employé lui accorda toute son attention, comme son père le lui avait appris. En tant que commerçant, il fallait retenir la règle de base : le client a toujours raison. Sans compter qu’on doit tout faire pour le satisfaire. La qualité du service en allait de l’avenir du commerce, d’autant plus que ce client il le voyait pour la première fois. Camille n’eut cependant pas le temps de s’arrêter à ce détail, lui qui avait plutôt l’habitude de voir venir le soir des habitants du secteur, que ce soit pour des cigarettes, de la bière, des loteries, ou autres besoins pressants.
- Je vais te prendre du jambon, lança l’inconnu.
- J’en ai seulement du congé, monsieur, répliqua poliment Camille.
- … Alors, je vais te prendre trois livres de bologne.
- Désolé. Mon bologne est congelé, lui aussi.
- Tu as des sacs de pommes?
- Oui. Ce sera pas long.
Camille s’exécuta aussitôt. Puisque les pommes se trouvaient dans l’arrière-boutique, il dût quitter son comptoir un instant pour s’y rendre. À peine venait-il de se pencher pour s’emparer d’un premier sac de pomme qu’il entendit un bruit. Sa première impression lui fit dire que sa brocheuse venait de tomber sur le plancher. Mais voilà, il avait l’habitude de toujours laisser cette brocheuse près de la caisse enregistreuse.
Intrigué, Camille marcha rapidement pour revenir vers le comptoir et c’est là qu’il constata que la caisse enregistreuse avait complètement disparue. Le mystérieux client s’était aussi volatilisé. En aussi peu de temps, l’incident parut surréaliste, mais Camille se montra très rapide dans ses réactions.
Sans tarder, il contourna son comptoir et courut jusqu’aux vitrines, où il grimpa sur une tablette pour compenser sa petite taille. Évidemment, il avait été hors de question pour lui de se lancer dehors aux trousses du voleur, risquant ainsi d’être frappé, voir pire. Mais c’est à ce moment qu’il aperçut l’homme s’engouffrer à bord d’une petite voiture qui, sur le coup, lui sembla être verte ou bleue. Sans attendre plus longuement, il retourna vers le comptoir, sauta sur le téléphone et composa son propre numéro, la maison d’à côté.
Au bout du fil, il reconnut immédiatement la voix de son frère André, 17 ans.
- On vient de se faire voler, lança nerveusement Camille.
- Quoi?
- Oui. Il … il est parti avec la caisse, dans une auto.
- Euh … Attends! T’as noté le numéro de licence?
- Non.
Dans la maison des Prince, André raccrocha immédiatement l’appareil pour courir au-devant son père, qui se trouvait alors dehors en train de faire quelques travaux de mécanique sur son camion. Pendant ce temps, Louis, 16 ans, se trouvait à l’étage de la résidence familiale. Il se préparait à se rendre à une patinoire extérieure pour y jouer au hockey avec des copains. Lorsqu’il entendit l’alerte donnée par André, il se précipita dehors à son tour. Déjà, son père était sur le point de se mettre au volant de sa voiture.
- Va chercher Michel, lança le patriarche en s’adressant à son fils Louis.
Sans discuter, comme si les hommes de la famille Prince avaient déjà révisé le scénario de leur intervention depuis les vols qu’ils avaient subis dans le passé, Louis grimpa l’escalier conduisant à l’appartement de Michel et Ginette. Dès l’ouverture de la porte, Louis lui cracha la nouvelle au visage. Michel enfila aussitôt une veste avant d’aller prendre son arme et une poignée de cartouches.
Tandis que Michel et Louis descendaient l’escalier, la voiture de Marcel quittait déjà le stationnement pour s’élancer sur la route. Le père se trouvait au volant, alors qu’à sa droite son fils André se montrait tout aussi déterminé que lui à rattraper le voleur. Plutôt que de contacter la Sûreté du Québec[1], il leur était apparu tout naturel de prendre eux-mêmes les choses en mains.
Rapidement, Michel se mit au volant de sa propre voiture, avec Louis à ses côtés. Dans la seconde qui suivit, Michel, qui avait posé son pistolet sur la banquette, entre lui et Louis, enfonça l’accélérateur pour se mettre en direction de St-Célestin.
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En dépit de la noirceur, Michel et Louis repérèrent la voiture de leur père qui était alors stationnée en diagonal sur la chaussée du 7ème rang, non loin de l’intersection avec la route 13. Ayant compris que le suspect se dirigeait vers un cul-de-sac, Marcel s’était donc immobilisé dans cette position pour lui bloquer le passage et tout en se précipitant vers la résidence d’un dénommé Corriveau dans l’intention de prévenir enfin la police. Ce fut à cet instant que la voiture de Michel s’arrêta à l’intersection et que celle du suspect revenait après avoir effectué un demi-tour. Devant le tribunal, Marcel sera bien obligé d’admettre qu’il n’eut finalement pas le loisir de téléphoner à la Sûreté du Québec. Inquiet pour ses fils, il revint vers sa voiture.
Contre toute attente, la voiture du suspect parvint à se faufiler à travers ce barrage routier amateur. Toutefois, comme on le verra, un ou plusieurs coups de feu claquèrent. Michel aurait donc tenté de forcer le voleur à s’immobiliser, d’abord en criant, puis en tirant. Les membres de la famille Prince expliqueront cependant que les tirs avaient été effectués dans l’espoir d’atteindre les pneus.
Une seconde poursuite automobile s’engagea donc après ce premier échec d’interception. Cette fois, cependant, André grimpa sur le siège avant de la voiture de son frère Michel, tandis que Louis s’installa sur la banquette arrière. Quant à lui, Marcel se remit derrière son volant et les suivit.
Une seconde interception se produisit, cette fois sur la route 34 de St-Célestin, devant la résidence d’un dénommé Arthur Alie[2]. La confusion s’installe. D’autres coups de feu sont échangés. Le suspect parvient à nouveau à prendre la fuite. Cette fois, cependant, les Prince ont littéralement perdu toute motivation de lui donner encore la chasse. Car sur la chaussée repose le corps sans vie de Michel Prince, 21 ans. Une balle semble l’avoir atteint dans le haut de la cuisse gauche et une autre à la tempe droite. Les projectiles seront identifiés comme étant de calibre .22.
Désemparés, ses frères traînent sa dépouille à l’écart de la route, jusqu’au pied du perron de la résidence Ally. Sous sa tête, on place également un vêtement replié. Mais c’est peine perdu. Le décès de Michel Prince fut constaté peu de temps après.
Enfin, la police fut contactée. Lors de ce qu’on pourrait désigner comme la première partie de cette poursuite automobile, André Prince, qui prenait alors place dans la voiture de son père, avait réussi à voir et à mémoriser le numéro d’immatriculation du véhicule suspect. Grâce à cette précieuse information, quelques minutes plus tard la Sûreté du Québec connaissait donc le nom du propriétaire, ainsi que le modèle et la marque : un Vauxhall de modèle Envoy.
Ce fut donc sans grande déduction qu’on envoya un véhicule surveiller la résidence du propriétaire, à Drummondville. Les agents Yvon Lemire et Douglas Lyons entamèrent donc une surveillance étroite des lieux. Celui-ci se présenta peu après et se précipita dans la maison à la vue des policiers, où il fut cependant arrêté sans offrir de résistance. Le suspect se nommait Marcel St-Louis, 25 ans[3]. La police le trouva également en possession d’une carabine semi-automatique, également de calibre .22. Toutefois, en le conduisant au poste, on découvrit que St-Louis n’avait aucun antécédent judiciaire.
Ainsi se pose donc un résumé des faits. Comme il fut mentionné en introduction, mieux vaut étudier les zones grises à travers les témoignages enregistrés devant la justice, ce qui permettra de se faire un jugement plus éclairé à propos de chaque détail. Voilà donc pourquoi, par exemple, je n’ai pas voulu mentionner le nombre de coups de feu, ni les positions, déplacements ou agissements des individus lors de la première et de la deuxième interception.
Néanmoins, l’exercice permet déjà de soulever quelques questions. Étant donné que deux armes à feu de même calibre sont impliquées dans cette affaire, s’agit de savoir laquelle a servi au meurtre. Un des frères de Michel aurait-il pu tirer accidentellement sur celui-ci? Est-ce plutôt St-Louis qui aurait voulu tenter quelque chose après s’être senti coincé?
Le lendemain, samedi 23 novembre, tandis que Le Nouvelliste répandait la nouvelle à travers toute la région de la Mauricie, on fit défiler Marcel St-Louis dans une parade d’identification, de laquelle la police prit quelques clichés photographiques. Les frères de la victime purent ainsi clairement identifier le suspect. Le Nouvelliste, qui plaçait l’incident vers 19h00, mentionna que la mère de la victime était « en proie à un violent choc nerveux », sans oublier que le père et Ginette, l’épouse de Michel, étaient eux aussi affectés par la conclusion du drame.
Marcel St-Louis avait vu le jour le 14 janvier 1943. Il résidait au 19 de la rue Montcalm, à Drummondville. Sa profession fut mentionnée comme journalier, œuvrant dans le domaine du déneigement. Il n’avait aucune condamnation antérieure et possédait un niveau de scolarité équivalant à la 7ème année.
Le lundi 25 novembre, un policier de la Sûreté du Québec se rendit au garage de Drummondville où on entreposait la voiture de Marcel St-Louis afin d’en prendre quelques photos qui allaient servir pour l’enquête policière et les procédures judiciaires. Ces photos immortalisèrent donc certains dommages causés à la voiture de St-Louis, dont un trou évoquant le passage d’un projectile dans la partie supérieure droite du pare-brise. De plus, la vitre de la portière arrière droite de cette petite berline avait littéralement volée en éclats. Les pneus ne semblaient pas abîmés.
En ce même lundi, Le Nouvelliste expliquait que le suspect, « s’étant enfui avec la caisse de l’épicerie Prince, St-Louis aurait cherché à semer ses poursuivants en se dirigeant dans le 7ème rang de St-Léonard, pour parvenir à un cul-de-sac, et être coincé par le véhicule de Michel Prince qui lui barrait la route, et c’est alors que des coups de feu furent tirés entre St-Louis et Michel Prince, qui fut abattu dans la cour de M. Henri Allie à St-Célestin »[4].
Après avoir raconté brièvement l’arrestation et la présence de la carabine de calibre .22, le quotidien de Trois-Rivières ajoutait que « le présumé auteur de ce meurtre avait demeuré, autrefois, sur la rue William près du rond-point de la route Trans-canadienne/sic/, mais demeurait depuis quelques mois dans la municipalité de Drummondville-Sud »[5].
Sans donner de date, on précisait que Marcel St-Louis comparaîtrait bientôt à l’enquête du coroner que l’on prévoyait se dérouler à St-Léonard d’Aston.
Déjà on entend l’écho de certains porte-paroles de la police ayant répété à maintes reprises que le citoyen doit éviter de se faire justice lui-même. Sans vouloir jeter le blâme sur qui que ce soit, je crois que cette brève description des faits nous en donne un bon exemple.
Chapitre 2
Trois-Rivières,11 décembre 1968
Le 11 décembre 1968, c'est-à-dire le lendemain de ce qui aurait dû être le 22ème anniversaire de Michel, Marcel Prince et ses fils, ainsi que les autres témoins appelés au dossier, se rendirent au palais de justice de Trois-Rivières devant la Cour des Sessions de la Paix dans le cadre de l’enquête préliminaire qui devait déterminer s’il y avait matière à envoyer Marcel St-Louis en procès. C’est l’Honorable Juge Maurice Langlois qui présida. Le représentant de la Couronne était Me Maurice Laniel, procureur de Montréal. Quant à lui, l’accusé était représenté par Me Gérald Grégoire de Trois-Rivières, qui, selon Le Nouvelliste, avait offert gratuitement ses services à St-Louis.
Le premier témoin appelé fut le caporal Léopold Lavigne, 29 ans, de la Sûreté du Québec[6]. Lavigne raconta d’abord s’être déplacé au soir du vendredi 22 novembre 1968 sur la route 34 de St-Célestin pour prendre des photos de la scène de crime. On déposa alors comme pièce à conviction P-1-A une photo représentant la maison de Monsieur Arthur Ally, devant laquelle le drame s’était joué. Celle-ci était située à environ un quart de mille de l’intersection des routes 13 et 34, à St-Célestin. Il y avait donc une photo prise en face de la résidence de Monsieur Ally en direction du village sur laquelle on apercevait à droite la maison de Monsieur Ally. Sur l’exhibit P-1-B, on pouvait voir « la maison de Monsieur Ally de face ainsi qu’un corps qui se trouvait au pied de l’escalier à ce moment-là », expliqua le caporal Lavigne.
Quant à la photo P-1-C, il s’agissait ni plus ni moins d’un cliché du corps de Michel Prince, étendu au pied de l’escalier, toujours devant la résidence de Monsieur Ally. Sur cette dernière photo, il était clair qu’on avait déposé un vêtement replié sous la nuque de la victime. La photo P-1-D représentait quant à elle une tache de sang sur le pavé de la route 34, toujours en face de la même résidence.
Lorsque Me Laniel lui demanda s’il avait pris d’autres photos, Lavigne répondit que « oui, votre Seigneurie, soit le 25 novembre 1968 j’ai photographié au garage Héroux Thibodeau, à Drummondville, une automobile de marque Envoy, 4 portes couleur bleue, immatriculation 5 N – 8696 Québec 68 ».
LANIEL : Voulez-vous produire cette photographie comme P-2, s’il vous plaît?
LAVIGNE : Il s’agit de photographies de l’avant, l’arrière côté gauche et côté droit de l’automobile Envoy.
LANIEL : Pourriez-vous aussi indiquer, décrire sommairement, soit des taches, soit des dommages ou renfoncements sur l’automobile?
LAVIGNE : Il y avait dans le pare-brise, du côté droit de l’automobile, un trou.
LANIEL : Voulez-vous l’encercler?
LAVIGNE : Que je vais encercler ici d’un crayon rouge (le témoin encerclant). Je vais encercler la vitre arrière du côté droit qui a été fracassé, il y avait plus de vitre excepté quelques débris dans le bas. Et du côté gauche, soit sur le côté du conducteur, sur le bord de la gouttière, il y avait une marque que le chrome était écrasé, puis je m’en vas le pointer avec une flèche.
On venait donc de démontrer les premiers éléments de la scène du crime, à savoir les photos prises sur les lieux, mais aussi les constatations concernant les dommages causés à la voiture de St-Louis. Le témoin fut alors contre-interrogé par Me Gérald Grégoire.
GRÉGOIRE : Les photographies qui ont été prises ou plutôt qui ont été produites comme exhibit P-1 est-ce que vous dites qu’elles ont toutes été prises sur la route 34?
LAVIGNE : Les photographies ont été prises sur la route 34 en face de la résidence de Monsieur Arthur Ally. Qui se trouve la 7ème maison en partant de la route 13. De l’intersection de la route 13, côté Nord.
GRÉGOIRE : Maintenant, sur la photographie qui a été produite comme exhibit P-2, vous avez fait un cercle sur le pare-brise?
LAVIGNE : Oui, en avant.
GRÉGOIRE : Sur le pare-brise, en avant?
LAVIGNE : Oui.
GRÉGOIRE : Vous avez indiqué?
LAVIGNE : Un trou à cet endroit.
GRÉGOIRE : Est-ce que la vitre est complètement perforée ou si …
LAVIGNE : La vitre était complètement perforée. Il restait un morceau de mica quoi, qui était retenu soit par l’extérieur ou l’intérieur.
GRÉGOIRE : Ici, sur la photographie, sur le bas, là, à la même photographie, est-ce que c’est un autre point d’impact, ça?
LAVIGNE : Oui, il s’agissait d’un endroit où le métal était cassé.
GRÉGOIRE : Passablement écrasé?
LAVIGNE : Oui, sous la violence d’un choc.
GRÉGOIRE : Vous avez trouvé d’autres points où il y avait des dommages sur l’automobile?
LAVIGNE : La vitre arrière côté droit était complètement fracassée. Il restait seulement un peu de débris de verre, dans le bas, dans le cadrage.
Tout au long de cette enquête préliminaire, on ne cherchera apparemment pas à expliquer la présence étrange de ce trou causé par un projectile dans la partie supérieure droite du pare-brise de l’Envoy. Bien sûr, l’exercice était d’abord de savoir s’il y avait matière à procès. Donc, ce détail serait éclairci plus tard.
Ensuite, la Couronne appela le docteur Bruno Laliberté, 50 ans, résident de St-Célestin. Sous les questions de Me Laniel, il expliqua donc être arrivé sur les lieux pour constater, devant la résidence de Monsieur Ally, la présence du corps d’un homme étendu et sans signe de vie. Il insista sur le fait que la victime lui avait semblé « un peu jeune ».
LANIEL : Je vous exhibe l’exhibit P-1-C. Voulez-vous l’examiner et dire si c’est bien le corps que vous avez examiné?
LALIBERTÉ : Oui. Alors, l’homme étendu inerte m’a semblé plutôt jeune, j’ai remarqué sur la cuisse gauche, sur ses vêtements qui étaient tous maculés de sang, qui étaient imbibés de sang, et en poursuivant mon examen, sous l’œil droit il y avait une ecchymose assez gros à peu près gros comme un jaune d’œuf et en remontant encore sur la région temporale j’ai vu un trou à peu près comme un soufre d’allumette. Alors j’ai procédé, j’ai recherché les signes vitaux, le pouls, les bruits du cœur, les réflexes. Tout était absent. J’ai conclu que le corps qui était là était mort.
LANIEL : Pouvez-vous nous dire avec votre expérience, pourrirez-nous dire qu’est-ce qui a produit les blessures?
LALIBERTÉ : Sur la partie de la cuisse, j’ai pas ôté le vêtement.
LANIEL : Non?
LALIBERTÉ : Mais j’imagine que le trou qu’il y avait à la région temporale devait être un trou de balle.
Ensuite, la Couronne appela à la barre Paul Valcourt, 44 ans, médecin attaché à l’institut de médecine légale de St-Léonard, près de Montréal.
LANIEL : Docteur, le 25 novembre 1968 avez-vous examiné un cadavre qui est sensé être le cadavre d’un nommé Michel Prince?
VALCOURT : Oui.
LANIEL : Auriez-vous l’amabilité de dire au Tribunal …
À cet instant précis, il semble que Me Grégoire se soit permis un commentaire, puisque Me Laniel poursuivit en disant « je m’excuse, je comprends que mon confrère dispense d’identifier le témoin comme expert ».
GRÉGOIRE : Sûrement.
LANIEL : Alors, je reprends ma question. Docteur, vous avez examiné un cadavre, voulez-vous nous donner vos constatations et vos conclusions?
VALCOURT : Oui. Le 25 novembre 1968, au cours de l’avant-midi, vers les 10h00, à l’institut de médecine légale à Montréal, le 25 novembre 1968 j’ai pratiqué l’autopsie sur le cadavre d’un nommé Michel Prince, 21 ans, dont l’adresse fournie était de St-Léonard d’Aston, comté de Nicolet. En la présence – était présents le caporal Prémont, l’agent Jean-Noël Hainse de la Sûreté provinciale, les limiers enquêteurs en cette cause. En résumé, les constatations de l’autopsie faites sur le cadavre de Monsieur Prince, le décès doit être attribué au dommage cérébral causé par une balle .22 entrée à la tempe droite. Il est à noter également qu’une autre balle .22 était entrée – mais qui n’était pas la cause de décès tout de même, [à] la cuisse gauche. Ces projectiles, je les ai remis…
LANIEL : Ces projectiles ont été découverts sur le cadavre?
VALCOURT : Oui. Je les ai remis aux policiers enquêteurs. C’est la cause du décès, c’est le dommage causé par la balle .22 entrée à la tempe droite. Et la distance du tir d’après les constatations de l’autopsie, seulement ne peut être établie. C'est-à-dire qu’elle est supérieure, sûrement, à un pied de distance, c'est-à-dire la bouche du canon devait être supérieure à un pied de distance de la tempe droite.
LANIEL : Voulez-vous examiner, docteur, les fragments de métal que je vous exhibe et nous dire…
VALCOURT : Oui.
LANIEL : Dans l’enveloppe…
VALCOURT : Cette enveloppe contient les trois fragments de balles qui ont été extraits de la tête, et puis l’autre enveloppe doit contenir la balle qui a été extraite de la cuisse. Balle mortelle, à tout événement c’est cette balle, trois fragments, qui se trouvent dans cette enveloppe.
LANIEL : Alors, voulez-vous produire la première enveloppe contenant les fragments de balle causant la mort comme exhibit P-3?
VALCOURT : Oui.
LANIEL : Et l’autre comme exhibit P-4?
VALCOURT : Oui.
Le témoin fut ensuite contre-interrogé par Me Gérald Grégoire, qui tenta immédiatement de faire admettre au docteur qu’il était impossible d’établir clairement la distance à laquelle avait été tiré le coup fatal, à l’exception bien sûr de la zone se trouvant à l’intérieur d’un pied.
GRÉGOIRE : Je comprends, docteur, que vous nous avez dit si la distance est supérieure à un pied que vous pouvez établir la distance. Vous pouvez établir?
VALCOURT : Non, c’est le contraire.
GRÉGOIRE : Le contraire?
VALCOURT : Plus c’est près, la projection de poudre ou de fumée sur la cible, là on peut établir d’une façon scientifique la distance. Mais supérieure à un pied en ce qui concerne, à un pied, supérieure à un pied, en général, il est très difficile d’établir la distance.
GRÉGOIRE : Dans ce cas-là, il est impossible d’établir la distance?
VALCOURT : Il est impossible d’établir la distance.
Fier d’avoir pu établir ce fait, Me Grégoire retourna à sa place et on appela alors Marcel Prince, 46 ans, le père de la victime.
LANIEL : Le 22 novembre 1968 est-ce que vous avez eu l’occasion d’identifier le cadavre de votre fils?
M. PRINCE : Oui, je me suis rendu sur les lieux de la tragédie.
LANIEL : À quel endroit?
M. PRINCE : À St-Célestin, quelques minutes après le drame.
LANIEL : Et vous avez…
M. PRINCE : J’ai reconnu mon fils étendu par terre, sans vie.
LANIEL : Je vous montre l’exhibit P-1-C. Voulez-vous nous dire si c’est bien le cadavre de votre fils?
PRINCE : C’est bien le cadavre de mon fils.
Pour le moment, Me Laniel en avait terminé avec Marcel Prince puisque sa seule intention était d’établir formellement l’identité de la victime. Monsieur Prince serait rappelé plus tard car, comme on l’a vu, il a joué un certain rôle dans la progression des événements ayant conduit au drame qu’on connait. Me Grégoire déclara ne pas avoir de question pour contre-interroger le témoin, alors on appela le suivant sur la liste : Camille Prince, 13 ans.
En raison de son âge, le Juge Langlois intervint immédiatement afin d’éclaircir un point important, celui de savoir si le jeune adolescent comprenait bien ce que prêter serment devant la justice signifiait.
JUGE LANGLOIS : Quel âge avez-vous?
C. PRINCE : 13 ans.
JUGE LANGLOIS : Vous allez à l’école?
C. PRINCE : Oui.
JUGE LANGLOIS : Quelle école?
C. PRINCE : St-Léonard [d’Aston].
JUGE LANGLOIS : En quelle année êtes-vous?
C. PRINCE : Secondaire R-1.
JUGE LANGLOIS : Vous savez qu’est-ce que c’est que prêter serment?
C. PRINCE : Oui.
JUGE LANGLOIS : Pouvez-vous me le dire?
C. PRINCE : Oui.
JUGE LANGLOIS : En vous servant de vos propres termes?
C. PRINCE : C’est de dire tout ce que j’ai vu, tout ce que je sais.
JUGE LANGLOIS : Vous savez que vous êtes obligé, quand on va vous interroger sous serment, de dire la vérité?
C. PRINCE : Oui.
JUGE LANGLOIS : On vous a appris ça?
C. PRINCE : Oui.
JUGE LANGLOIS : Est-ce qu’on vous a pas dit un petit peu plus précisément qu’est-ce que c’était que prêter serment?
C. PRINCE : Non.
JUGE LANGLOIS : Vous ne vous rappelez pas qu’à l’école, par exemple, on vous a enseigné que prêter serment c’était prendre Dieu à témoin, est-ce que ça vous revient à l’esprit?
C. PRINCE : Oui.
JUGE LANGLOIS : Vous avez appris ça au catéchisme?
C. PRINCE : Oui.
JUGE LANGLOIS : Vous savez ce que c’est également dire la vérité?
C. PRINCE : Oui.
JUGE LANGLOIS : Vous comprenez l’obligation que vous avez de dire la vérité quand on va vous interroger sous serment?
C. PRINCE : Oui.
Le Juge Langlois s’adressa alors au greffier pour lui signifier que « alors, vous pouvez assermenter le témoin ». Suite à cette précision, le témoin de 13 ans fut donc assermenté, la main sur la Bible, et put ensuite témoigner normalement. Comme on le sait, les questions qu’on lui réservait devaient servir à présenter les premiers faits expliquant le début de l’incident, c'est-à-dire le vol survenu à l’épicerie.
LANIEL : Le 22 novembre 68, dans l’après-midi, est-ce qu’il y a eu un incident au magasin de ton père?
C. PRINCE : Oui.
LANIEL : Marcel Prince?
C. PRINCE : Oui.
LANIEL : Voulez-vous raconter au Tribunal, dans vos propres termes, ce que vous savez de l’incident?
C. PRINCE : Je travaillais au magasin.
LANIEL : Étiez-vous seul au magasin?
C. PRINCE : Oui.
LANIEL : À ce moment-là?
C. PRINCE : Oui.
LANIEL : Ensuite ?
C. PRINCE : Il y a un homme qui est rentré.
LANIEL : Est-ce que vous reconnaissez l’homme dans la Cour qui est entré au magasin à ce moment-là?
C. PRINCE : Oui.
LANIEL : Où est-il?
C. PRINCE : Là.
Camille Prince pointa alors l’accusé, c'est-à-dire Marcel St-Louis. Le Juge Langlois demanda donc à ce dernier de se lever afin qu’on puisse clairement l’identifier; ce qu’il fit sans broncher.
LANIEL : C’est cet homme que vous accusez qui est à la barre?
C. PRINCE : Oui.
LANIEL : Qu’est-ce qui s’est produit ensuite?
C. PRINCE : Il m’a demandé du jambon à sandwich. Je suis parti dans l’allée. On a trois allées. Ensuite, je lui ai montré du jambon congelé, lui en voulait en rouleaux. J’en avais pas. Ensuite, il m’a demandé de la baloney [bologne]. Il en voulait pour 3 livres, j’en ai présenté du gelé. J’en avais pas en rouleaux. Ensuite, j’ai été au comptoir où est le beurre et les pommes, puis il m’a dit : « une livre de beurre ». Je lui ai donné une livre de beurre. Ensuite, en prenant la livre de beurre, il a regardé les pommes. Ensuite, on est revenu en avant. Il m’a demandé de la sauce à spaghetti à viande.
LANIEL : Oui?
C. PRINCE : Ensuite, il m’a demandé des sacs de pommes. Là, j’ai parti en arrière puis j’ai entendu tomber la taqueuse [sic].
LANIEL : Pardon?
C. PRINCE : J’ai entendu tomber la brocheuse qui était sur le « cash »[7] [caisse enregistreuse].
LANIEL : Quelle distance y a-t-il quand vous êtes parti aller chercher les pommes en arrière? Où était M. St-Louis?
C. PRINCE : Il était juste à côté du « cash ».
LANIEL : Du « cash »?
C. PRINCE : Oui.
LANIEL : Et quelle distance y a-t-il du « cash » à l’endroit où étaient les pommes, où vous étiez allé chercher les pommes?
C. PRINCE : …
LANIEL : À peu près? Toute la longueur du magasin?
C. PRINCE : C’est quasiment toute la longueur.
LANIEL : Et puis, quelle distance qu’il y a, là?
C. PRINCE : 15 pieds.
LANIEL : 15 pieds?
C. PRINCE : Oui.
LANIEL : Alors, vous dites que vous avez entendu tomber la brocheuse, ça attiré votre attention?
C. PRINCE : Oui.
LANIEL : Qu’est-ce que vous avez fait par la suite?
C. PRINCE : Je suis parti à marcher plus vite, là.
LANIEL : Est-ce que vous voyiez l’accusé à ce moment-là?
C. PRINCE : Non. Bien[8], je suis rendu par en avant par les vitrines, puis j’ai vu qu’il avait un objet dans les mains. Je savais pas que …
LANIEL : Où était-il à ce moment-là l’accusé quand vous avez regardé par les vitres?
C. PRINCE : Il passait devant les vitrines.
LANIEL : Est-ce qu’il était à l’extérieur ou à l’intérieur?
C. PRINCE : À l’extérieur.
LANIEL : À l’extérieur?
C. PRINCE : Oui.
LANIEL : Alors, il avait laissé l’endroit où il était lorsque vous êtes allé chercher les pommes.
C. PRINCE : Là, quand je suis parti en arrière, il devait avoir pris le « cash » puis ouvert la porte.
LANIEL : Lorsque vous l’avez vu à l’extérieur passer devant la vitrine ou après que vous l’avez vu à l’extérieur passer devant la vitrine, qu’est-ce que vous avez fait?
C. PRINCE : Là, j’ai monté sur le bord d’une tablette du magasin.
LANIEL : Oui?
C. PRINCE : Puis j’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu qu’il a embarqué dans un char avec l’objet. Un petit char.
LANIEL : L’objet en question, est-ce que vous le reconnaissiez?
C. PRINCE : Je pouvais pas le dire. Je savais que c’était vert…
LANIEL : Vous ne pouviez pas distinguer qu’est-ce que ça pouvait être?
C. PRINCE : Non.
LANIEL : Qu’est-ce que vous avez fait, vous, par la suite? Est-ce qu’il est parti dans l’automobile ou est-ce qu’il est resté là?
C. PRINCE : Bien, j’ai regardé. Je me suis reviré de bord. Je me demandais qu’est-ce qu’il avait pris, quand j’ai vu le « cash » parti [disparu], je suis parti pour …
LANIEL : Quand vous avez vu le « cash » parti, qu’est-ce que vous entendez par ça, qu’est-ce que vous avez constaté?
C. PRINCE : Bien, qu’il venait de voler.
LANIEL : Pardon?
C. PRINCE : Il venait juste de le voler.
LANIEL : Non, mais décrivez ce que c’est qui est parti? Dans vos termes.
JUGE LANGLOIS : Est-ce qu’il s’agissait d’une caisse enregistreuse ou une boîte où on met de l’argent?
C. PRINCE : Bien…
LANIEL : Ou un tiroir?
C. PRINCE : Le tiroir … tout le « cash ».
JUGE LANGLOIS : Quand vous dites le « cash », vous voulez dire l’argent?
C. PRINCE : Non. Bien … Bien le tiroir est avec l’argent, la machine, là …
JUGE LANGLOIS : Il y a une caisse enregistreuse?
C. PRINCE : Bien, là-dessus on compte puis là-dessus le tiroir caisse, il a été enlevé.
JUGE LANGLOIS : Est-ce qu’il faut peser sur les chiffres et il y a une poignée pour tirer?
C. PRINCE : Pour ouvrir la caisse pas besoin de peser sur les chiffres. On pesait sur les chiffres pour marquer le montant d’une vente.
LANIEL : Non, mais ce que Monsieur le Juge dit, c’est de décrire l’objet. Est-ce que vous reconnaissez cet objet-là comme étant une caisse enregistreuse?
C. PRINCE : Oui.
LANIEL : C’est ça qu’il y avait, puis quand vous pesez sur un piton le tiroir ouvre.
C. PRINCE : On tire sur la manette puis il se rouvre tout seul.
LANIEL : Ah bon! Est-ce que c’est le tiroir qui était parti ou toute la caisse?
C. PRINCE : Toute.
LANIEL : Toute la caisse. Qu’est-ce que vous avez fait après ça?
C. PRINCE : J’ai téléphoné chez nous.
Au tour de Me Grégoire d’exercer son droit de contre-interroger le jeune témoin. Il devait éclaircir les faits afin de vérifier ce que Camille avait réellement vu ce soir-là, et peut-être même aussi ce qu’il n’avait pas vu.
GRÉGOIRE : Alors, Monsieur Prince, la seule conversation que vous avez eue avec la personne que vous avez identifiée sont des demandes de la part de celle-ci de différents effets, de demander du jambon et des pommes? C’est seulement cette conversation-là qui a eu lieu entre vous et lui?
C. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Maintenant, à l’extérieur, tu nous parles que t’as vu … t’as entendu un bruit, une personne qui s’en allait?
C. PRINCE : Oui. C’est l’homme qui avait dans le magasin.
GRÉGOIRE : Est-ce que t’as vu une automobile à ce moment-là?
C. PRINCE : Bien, l’automobile était à côté du magasin.
GRÉGOIRE : Oui?
C. PRINCE : Quand je suis monté sur le bord de la tablette, j’ai regardé par la fenêtre. J’ai vu une petite auto, bleu ou vert. Il faisait noir.
GRÉGOIRE : Est-ce que tu l’as vu monter dans l’automobile?
C. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Est-ce que cette automobile-là était en face du magasin?
C. PRINCE : À côté.
GRÉGOIRE : Disons de l’entrée? Plus éloignée?
C. PRINCE : Plus éloignée.
GRÉGOIRE : C’est assez difficile mais est-ce que tu peux nous dire quelle distance qu’il y a de l’entrée du magasin à l’automobile?
C. PRINCE : …
GRÉGOIRE : Est-ce que tu peux évaluer ça?
C. PRINCE : … 15 pieds.
GRÉGOIRE : Une quinzaine de pieds?
C. PRINCE : Oui.
Louis Prince, 16 ans, fut appelé à son tour. C’est en sa compagnie qu’on allait apprendre les premiers détails de la poursuite automobile.
LANIEL : À la suite de cet incident-là voulez-vous prendre votre peine et vous direz tout au Tribunal ce que vous avez fait?
L. PRINCE : Bien, j’étais en haut. Je me préparais pour m’en aller jouer une pratique de hockey.
LANIEL : Quelle heure était-il?
L. PRINCE : Ah, il était … 6 heures.
LANIEL : L’après-midi ou le soir?
L. PRINCE : Ah, c’était le soir vers 6 heures et 20, 6 heures et 25.
LANIEL : Puis ensuite?
L. PRINCE : Bien, le téléphone a sonné, puis …
LANIEL : Maintenant, dites simplement ce que vous avez fait à la suite du téléphone?
L. PRINCE : Ah, bien là, j’ai entendu ma mère dire…
LANIEL : Un instant, là. Ne dites pas ce que vous avez entendu votre mère dire[9]. Dites simplement ce que vous avez fait?
L. PRINCE : Ah bien…
LANIEL : À la suite du téléphone, qu’est-ce que vous avez fait?
L. PRINCE : Ah bien, là, je me suis habillé. J’ai mis un coat [manteau], des bottes de travail, j’ai sorti dehors puis je me suis dirigé vers l’auto. Mon père s’en allait embarquer.
LANIEL : Oui, alors, continuez.
L. PRINCE : Mon père m’a dit : « vas chercher Michel en haut, qu’il apporte son arme ». On venait de se faire voler. J’ai monté en haut. Mon frère Michel faisait le souper à sa femme qui était malade. Sa femme était malade, un peu.
LANIEL : Votre frère, c’est qui ça?
L. PRINCE : Michel.
LANIEL : Michel Prince?
L. PRINCE : Puis là, Michel s’est empressé à mettre son linge. Il a pris son arme puis ses balles, puis on a parti dans l’auto. On a parti en direction de St-Célestin.
JUGE LANGLOIS : Dans l’auto de qui?
L. PRINCE : Michel.
LANIEL : Alors, est-ce que vous vous êtes rendu à St-Célestin?
L. PRINCE : Bien, on s’en allait vers la 13 en direction de St-Célestin.
LANIEL : Quand vous dites la 13 vous voulez dire la route 13, si je comprends bien?
L. PRINCE : Oui. Puis je regardais dans les petites routes. Puis, tout à coup, je vois le char à mon père puis un autre char. Mon père était en arrière puis il y avait un petit char. J’ai dit ça à mon frère, puis mon frère est parti du long de la route 13. Puis là, il a débarqué puis il s’est en allé sur le bord du chauffeur du petit char.
LANIEL : Oui?
L. PRINCE : Sur le bord du petit char, sur le bord du chauffeur. Puis mon frère a dit : « arrêtes ». Il a pas arrêté. Mon frère a pointé l’arme dans la direction des pneus. Il a tiré, puis là il a passé tout droit. Puis mon père a passé en arrière.
LANIEL : Un instant, là. Quand vous dites il a passé tout droit, qu’est-ce que c’est que vous voulez dire?
L. PRINCE : Bien, il a traversé la route 13.
LANIEL : Qui?
L. PRINCE : Le petit char. Le voleur, là!
LANIEL : La petite voiture que vous poursuiviez?
L. PRINCE : Que mon père poursuivait.
LANIEL : Que votre père poursuivait. Ensuite, qu’est-ce qui s’est produit?
L. PRINCE : Il s’est en allé dans l’autre rang. Ça débouche pas ce rang-là. Mon frère, quand il est venu pour arrêter, il a laissé passer mon père. Mon père s’était mis dans le rang, puis mon frère a embarqué dans le char puis on s’est en allé dans cette direction-là. Quand on [est] arrivé là-bas, le char à mon père était parké [sic] de même![10] Puis le petit char avait … il avait passé à côté du char … à mon père. Puis mon frère a débarqué, puis il a dit encore : « arrêtez ». Il a tiré sur lui. Il a débarqué puis il se trouvait encore sur le bord du chauffeur. Encore. Il a dit d’arrêter. Puis le gars, il a pas arrêté. Mon frère a encore tiré en direction des pneus, encore. Puis là, il a passé à côté il est parti, mon frère, mon autre frère André, était embarqué avec …
LANIEL : Oui?
L. PRINCE : … avec mon père, il est venu embarquer avec nous autres en avant. Puis moi j’ai été embarquer en arrière. Sur le bord du chauffeur de mon frère.
LANIEL : Oui?
L. PRINCE : Puis on a parti à la poursuite, puis c’était pas des pneus d’hiver c’était des pneus d’été. Quand on [est] arrivé à la route 13, le char avait viré vers St-Célestin, vers Trois-Rivières.
LANIEL : Oui?
L. PRINCE : Mon frère a pris la route puis on voyait pas de traces. Mon frère continuait tout droit.
LANIEL : Si je comprends, vous avez perdu la petite voiture de vue à ce moment-là? Complètement?
L. PRINCE : On voyait plus rien.
LANIEL : Très bien, alors continuez. Vous pouvez continuer à faire l’histoire de ce que vous contez à monsieur le Juge. Est-ce que vous avez rejoint la petite voiture un moment donné?
L. PRINCE : Oui, on l’a rejoint à l’entrée du village de St-Célestin.
LANIEL : À l’entrée du village de St-Célestin?
L. PRINCE : Oui.
LANIEL : Alors, si vous voulez continuer à raconter à monsieur le Juge, continuez à raconter ce que vous avez à raconter?
L. PRINCE : Puis là, il a viré … il a viré sur la route 34 en direction de St-Wenceslas, sur la route 34. Mon frère le suivait, il a viré à la même place que lui. Il suivait en arrière. À ce moment-là, c’était plus mon frère Michel qui avait l’arme, c’était mon frère André. Parce que mon frère Michel conduisait puis mon frère André était assis, lui, sur le siège en avant.
LANIEL : Si je comprends bien, c’est que vous voulez dire que tous les coups qui avaient été tirés jusqu’à ce moment-là, ça avait été tiré par Michel?
L. PRINCE : Oui. Sur le bord du chauffeur, tout le temps.
LANIEL : Puis c’est à ce moment-là qu’il y a eu un changement?
L. PRINCE : Oui, il avait donné l’arme à mon frère. Il lui avait donné des balles, il lui en avait donné deux. Les autres balles, c’est lui qui les avait.
LANIEL : Oui. Ensuite, si vous voulez continuer à raconter ce que vous avez à raconter?
L. PRINCE : Puis là, on a viré sur la route 34. Le petit char était en avant, mon frère s’en allait en arrière, puis il a pesé sur le « brake » [sic].
LANIEL : Quand il a pesé sur le « brake », … qui a pesé sur le « brake »?
L. PRINCE : Le petit char.
LANIEL : Le petit char?
L. PRINCE : Oui.
LANIEL : Le conducteur du petit char a freiné?
L. PRINCE : Oui, sur la 34.
LANIEL : Sur la 34.
L. PRINCE : Quand il a viré sur la 34, mon frère l’a suivi en arrière puis il a pesé sur le « brake ». Puis là, mon frère a donné un coup de roue puis son devant a frappé sur le … sur le « bumper » [sic] du gars.
LANIEL : Oui?
L. PRINCE : Oui.
LANIEL : Il l’a coupé?
L. PRINCE : Bien, en passant à côté de lui, mon frère a fait une motion de passer à côté de lui. Mon frère a tiré en direction des pneus. Mon frère André a tiré en direction des pneus, quand il a passé à côté de lui, puis là, il a accoté [appuyé] son char sur son bumper à lui pour bloquer la route. Puis là, mon frère a débarqué vitement avec l’arme dans les mains.
LANIEL : Quand votre frère a débarqué, lequel ça?
L. PRINCE : Michel.
LANIEL : Michel?
L. PRINCE : Oui.
LANIEL : Le conducteur?
L. PRINCE : Oui. Moi, j’étais juste en arrière de lui puis quand il a débarqué j’ai débarqué, puis son char était l’autre bord de la ligne blanche comme ça, là.
LANIEL : Est-ce que c’était à votre gauche ou à votre droite à ce moment-là?
L. PRINCE : Il se trouvait à gauche.
LANIEL : À gauche?
L. PRINCE : Sur ce bord, là, puis le char était pas bien loin. Le voleur…
LANIEL : Le conducteur de la petite voiture qu’est-ce qu’il a fait?
L. PRINCE : Ah bien, quand on l’a arrêté tout de suite, mon frère a dit : « haut les mains ». Le voleur a dit : « tires pas, tires pas ».
LANIEL : Celui qui a dit : « tires pas, tires pas », est-ce que vous le reconnaissez?
L. PRINCE : Oui, c’est lui.
LANIEL : Vous indiquez l’accusé à la barre?
L. PRINCE : Oui.
LANIEL : Qu’est-ce qui s’est produit après qu’il a dit : « tires pas, tires pas »?
L. PRINCE : Mon frère a débarqué.
LANIEL : Oui.
L. PRINCE : Puis moi je suivais à côté, puis je pense qu’il avait ouvert sa porte un peu.
LANIEL : Qui a ouvert sa porte un peu?
L. PRINCE : Le voleur.
LANIEL : L’accusé?
L. PRINCE : Oui.
LANIEL : Oui?
L. PRINCE : Puis là, moi, je suivais mon frère à côté, puis juste comme il arrive pour tourner le coin de son auto j’ai entendu deux coups de feu, bien vite.
LANIEL : Vous avez entendu, est-ce que vous les avez vus tirer, ces coups de feu?
L. PRINCE : Bien, moi j’ai vu quand il a tiré le premier coup de feu, là, j’ai vu ouvrir sa porte, puis il est sorti bien vite, puis …
LANIEL : Avec quoi?
L. PRINCE : Une carabine.
LANIEL : Avec une carabine?
L. PRINCE : Bien, avec son arme.
LANIEL : Mais vous avez reconnu une carabine, non pas un revolver?
L. PRINCE : Carabine.
LANIEL : Ou pistolet?
L. PRINCE : C’était deux balles qui a sorti ben vite. Puis là, j’ai essayé à faire … quand j’ai vu tomber mon frère. Puis là, je me suis empressé de regarder mes vitres de côté, puis quand j’ai vu que ça tombait sur moi, je me suis jeté à terre, d’un côté de l’auto puis je me suis en allé en rampant jusqu’en avant du char.
LANIEL : Est-ce que vous voyiez Michel Prince à ce moment-là, votre frère?
L. PRINCE : Oui, il était à terre.
LANIEL : Il était à terre.
L. PRINCE : Sur le bord de l’asphalte.
LANIEL : Sur le bord du pavé?
L. PRINCE : Oui. Il était étendu à terre, puis le sang coulait.
LANIEL : Est-ce que vous pouviez voir d’où le sang coulait?
L. PRINCE : Non. J’entendais rien que du sang tomber de sa cuisse. Je pourrais pas dire que c’était sa cuisse mais …
LANIEL : Vous ne pouviez pas voir?
L. PRINCE : Non.
LANIEL : À quelle distance étiez-vous de lui à ce moment-là?
L. PRINCE : Ah, c’est comme le monsieur qui est assis là, puis moi je suis ici.
Comme de raison, ce ne sont pas tous les témoins qui ont la présence d’esprit de fournir la donnée d’une distance par la parole. Dans ce cas-ci, par exemple, Louis Prince le fit naturellement à sa manière, en décrivant une distance en se basant sur des éléments visuels en sa présence dans le palais de justice. Heureusement, les procureurs savent qu’il faut préciser ces données en paroles, qui sont alors transmises sur papiers dans les transcriptions des sténographes. Une chance pour les auteurs, ce qui nous permet ici de mieux reconstituer un fait qui date de plusieurs décennies.
LANIEL : Alors, vous indiquez une distance de deux pieds et demi, trois pieds?
L. PRINCE : À peu près.
LANIEL : À peu près. Est-ce que Michel a dit quelque chose à ce moment-là?
L. PRINCE : Non, il a fait rien qu’une réaction. Il a levé sa…
LANIEL : Il a levé sa main à sa tête?
L. PRINCE : Oui.
LANIEL : Qui avait le revolver à ce moment-là?
L. PRINCE : De mon frère Michel?
LANIEL : Oui?
L. PRINCE : Ça se trouve à être mon frère André. Parce qu’en embarquant dans le char, il lui a donné l’arme.
LANIEL : André l’avait encore?
L. PRINCE : Oui. Bien, quand il a donné l’arme, là, André a passé à côté de lui, il a tiré, il avait encore l’arme. Puis après avoir tiré mon frère, là, bien…
LANIEL : Oui?
L. PRINCE : Bien là, après avoir tiré mon frère … mon frère … ramasser mon frère … il s’est aplombé sur moi.
LANIEL : Quand vous dites « il s’est aplombé sur moi », qui voulez-vous dire?
L. PRINCE : L’accusé.
LANIEL : L’accusé?
L. PRINCE : Oui.
LANIEL : Je vous exhibe une arme à feu. Est-ce que vous reconnaissez cette arme?
L. PRINCE : Oui. C’est l’arme de mon frère Michel.
LANIEL : C’est l’arme à laquelle vous avez référé lorsque vous avez dit que Michel était allé chercher son arme?
L. PRINCE : Oui.
LANIEL : C’est ça?
L. PRINCE : Oui, c’est quand mon père a dit à Michel « vas chercher ton arme », c’est celle-là.
LANIEL : Voulez-vous produire comme exhibit P-5 cette arme, je crois.
L. PRINCE : Oui.
LANIEL : Est-ce que vous avez revu l’accusé après ce que vous venez de raconter, là?
L. PRINCE : Oui. On a été l’identifier.
LANIEL : Non, mais tout de suite après là?
L. PRINCE : …
LANIEL : Immédiatement après que Michel est tombé…
L. PRINCE : Ah…
LANIEL : Vous vous êtes jeté par terre, là.
L. PRINCE : J’ai été en avant. Puis je l’ai vu qu’il s’en allait pointer l’arme dans le char à mon frère, dans le char, … dans le char de mon frère Michel. Puis mon frère André était en avant, il pointait l’arme dessus puis … je sais qu’il a pointé l’arme dessus.
LANIEL : Qu’est-ce qu’il a fait après ça?
L. PRINCE : Bien là, il s’en venait des trucks en arrière, il a fait une motion de retourner en arrière, puis quand il a vu ça il a sauté dans son char.
LANIEL : Et puis qu’est-ce qu’il a fait?
L. PRINCE : Puis là, il s’est reculé. Il s’est en allé en direction de Ste-Perpétue.
Me Laniel annonça en avoir terminé avec le témoin. Décidément, l’interrogatoire n’avait pas permis de bien établir tous les détails de l’escarmouche que je n’oserais pas ici qualifier de fusillade. Comme de raison, en présentant un témoignage tel qu’il apparaît dans les archives, on peut sentir une certaine confusion. En effet, si Louis Prince nous permet de dégager une certaine vision du déroulement des événements, force est d’admettre qu’il demeure encore de nombreux points à éclaircir.
Néanmoins, on comprend qu’il y a eu une première interception et que Michel Prince aurait lancé un avertissement verbal au voleur avant d’ouvrir le feu, apparemment en direction des pneus. Le nombre de coups de feu tirés dans le 7ème rang n’a toujours pas été précisé, mais le témoignage de Louis semble en mentionner un minimum de deux. Or, rappelons que l’arme de poing appartenant à la victime possédait un mécanisme pouvant tirer un seul coup à la fois.
Lors de la deuxième interception, Louis semblait expliquer que lors d’un virage sur la route 34 Marcel St-Louis aurait freiné et qu’il y aurait ensuite eu un contact au niveau des pare-chocs. Quant au reste, le moment qui coûta la vie à Michel Prince, ça reste encore à voir. Toutefois, Louis Prince a clairement mentionné avoir vu le suspect armé d’une carabine, qu’il aurait d’ailleurs pointé sur lui à un certain moment.
Autre élément important, l’arme de poing s’était retrouvé dans les mains d’André Prince, alors assis à l’avant du côté passager, tandis que Michel était descendu du véhicule pour le contourner et s’interposer devant celui du suspect. Retenons ce détail, qui servira plus tard à une autre question.
Soulignons également que le témoignage de Louis établissait que Michel s’est effondré sur la chaussée, expliquant la tache de sang photographiée par la police. Toutefois, la photo du corps prise par la police démontre bien qu’on l’avait déplacé jusqu’au pied de l’escalier de la maison de Monsieur Alie, probablement pour éviter que des véhicules lui passent dessus. Encore une fois, l’enquête préliminaire, dont le but était de savoir si la preuve était suffisante pour conduire Marcel St-Louis à subir son procès, ne permit pas d’établir qui précisément avait traîné le corps jusqu’à cet endroit.
Louis Prince ne put être libéré tout de suite car il devait maintenant répondre aux questions de Me Gérald Grégoire.
GRÉGOIRE : Alors, Monsieur Prince, la première fois que vous avez vu l’accusé, là, sa figure sur la route 34?
L. PRINCE : Oui. St-Célestin.
GRÉGOIRE : Maintenant, l’arme que vous dites reconnaître et qui a été produite comme exhibit P-5, c’était à votre frère ça?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Michel?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Qui est décédé?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : À votre connaissance, évidemment, cette arme-là est-ce que ça faisait longtemps que votre frère l’avait?
L. PRINCE : Ah, il avait acheté, ça, après … deux semaines après son mariage. Il avait dit à mon père : « je reste en haut du magasin, je vas acheter un revolver. Si il vient des voleurs, on va l’attendre ».
GRÉGOIRE : Quand vous dites deux semaines après son mariage, à quelle époque s’est-il marié?
L. PRINCE : Le 10 août.
GRÉGOIRE : 68?
L. PRINCE : 68.
GRÉGOIRE : Maintenant, dans votre témoignage, vous dites que vous êtes embarqué avec votre frère André.
L. PRINCE : Non, Michel.
GRÉGOIRE : Michel?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Et un autre automobile qui vous précédait, qui était à votre père?
L. PRINCE : À mon père. Lui était le premier.
GRÉGOIRE : Avec votre frère André?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Et là vous vous êtes dirigé sur la route 13?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Et c’est vous qui avez reconnu une automobile, quoi?
L. PRINCE : Oui, j’ai reconnu l’auto à mon père dans le rang 7.
GRÉGOIRE : Dans le rang 7.
L. PRINCE : Qui poursuivait le voleur.
GRÉGOIRE : Alors, dans le rang 7, vous dites là, je m’excuse.
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : C’est votre frère Michel qui conduisait l’auto dans lequel vous étiez?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Vous étiez assis à ses côtés en avant?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : C’est lui à ce moment-là qui avait l’arme qui a été produite? [P-5]
L. PRINCE : Oui. C’est lui qui avait l’arme à côté du siège, là.
GRÉGOIRE : Puis vous dites que lorsque l’auto est passée à côté de vous autres, votre frère a tiré?
L. PRINCE : Bien, mon frère s’est parké [sic] sur le bord de la route 13.
GRÉGOIRE : Oui?
L. PRINCE : Il a débarqué, puis il s’est en allé sur le bord du chauffeur.
GRÉGOIRE : Alors, il était complètement sorti du véhicule. Qu’est-ce qu’il attendait le véhicule qui s’en venait? Est-ce que vous voyiez venir un véhicule?
L. PRINCE : Oui. On voyait venir une petite auto bleue.
GRÉGOIRE : Oui?
L. PRINCE : Bien, mon frère arrive, il dit : « C’est cette petite auto-là? ». J’arrive, j’ai dit : « oui, il avait des lumières teintées bleues ».
GRÉGOIRE : Alors, c’est là qu’il est sorti pour attendre cette auto-là?
L. PRINCE : Oui. On a passé à côté de lui, il a dit…
GRÉGOIRE : Alors, vous dites à ce moment-là, il était à l’extérieure et il a tiré deux coups de feu, c’est ça?
L. PRINCE : Bien, à côté de lui il a tiré rien qu’un coup de feu.
GRÉGOIRE : Un coup de feu?
L. PRINCE : Oui. Un coup de feu en direction des pneus, sur le bord du chauffeur.
GRÉGOIRE : En direction des pneus sur le bord du chauffeur?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Qu’est-ce qui vous fait dire ça, est-ce que vous étiez avec lui à l’extérieur, vous?
L. PRINCE : Bien, quand il a débarqué à l’extérieur.
GRÉGOIRE : Oui?
L. PRINCE : Moi, j’ai débarqué mais j’ai resté accoté sur l’automobile. En arrière, là.
GRÉGOIRE : Oui?
L. PRINCE : Puis là, bien, j’ai entendu mon frère crier : « arrêtes ».
GRÉGOIRE : Il faisait noir à ce moment-là?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : C’est un rang qui a pas de lumière?
L. PRINCE : Ah bien, il y a la maison, là, puis la maison …
GRÉGOIRE : Oui. Alors là, vous avez entendu une détonation, un coup de feu?
L. PRINCE : Oui. J’ai entendu mon frère tirer.
GRÉGOIRE : Alors, est-ce que vous voyiez très bien tirer votre frère à ce moment-là?
L. PRINCE : Oui, quand il a tiré, bien oui.
GRÉGOIRE : Il était éclairé par quoi, lui?
L. PRINCE : Bien, quand il a tiré, bien, le char s’en venait sur ses hautes.
GRÉGOIRE : Oui?
L. PRINCE : Il lui a dit d’arrêter. Il a pas arrêté. Mon frère a pointé l’arme en direction des pneus.
GRÉGOIRE : Alors, tout ça s’est fait vite?
L. PRINCE : Ah oui, oui.
GRÉGOIRE : Alors, vous êtes persuadé qu’à ce moment-là, quand vous dites : « il a tiré sur ses pneus », vous l’avez vu ?
L. PRINCE : …
GRÉGOIRE : Vous l’avez vu? Qu’il pointait l’arme vers les pneus?
L. PRINCE : Bien, il me l’a dit.
GRÉGOIRE : Ah! Il vous l’a dit.
L. PRINCE : Oui. Quand il a rentré dans le char, il a dit. Il l’a dit.
GRÉGOIRE : Alors, vous ne savez pas personnellement, vous, s’il pointait les pneus? C’est lui qui vous a dit ça?
L. PRINCE : C’est lui. Bien… rien qu’à voir qu’il pointait … qu’il pointait en direction des pneus.
GRÉGOIRE : Parce qu’il vous l’a dit en embarquant dans le char?
L. PRINCE : Je l’ai vu.
GRÉGOIRE : Mais vous venez de dire, là, qu’il vous l’a dit?
L. PRINCE : Quand il avait l’arme, le « hood » était là.
GRÉGOIRE : Mais oui, vous dites là, c’est lorsque votre frère Michel est rentré dans l’auto qu’il vous l’a dit, est-ce que c’est ça?
L. PRINCE : Bien, mon frère …
GRÉGOIRE : Oui?
L. PRINCE : Quand il était sur le bord, sur le côté de l’auto, sur le bord du « helper » [passager], je le voyais très bien avec l’arme dans les mains, puis il a dit : « Arrêtez ».
GRÉGOIRE : Alors là, est-ce que vous changez votre témoignage? Tout à l’heure vous avez dit que vous l’avez pas vu mais c’est lui qui vous a dit ça. Quand il a rentré dans l’auto?
JUGE LANGLOIS : Le témoin reprend l’histoire du début.
GRÉGOIRE : Vous étiez à l’extérieur, qu’est-ce qui est arrivé après ça?
L. PRINCE : Bien, … j’ai débarqué. J’étais à côté du char. Je le voyais quand il a traversé l’autre bord. Quand il a dit : « arrêtez », je le voyais encore, puis il avait son arme dans les mains. Puis il a dit, il a crié : « arrêtes ». Puis il a pas arrêté, là j’ai vu qu’une arme pointait vers les pneus. Puis quand il me l’a dit, il dit … mon frère m’a dit … il veut pas … il veut pas arrêter ce char-là.
GRÉGOIRE : Alors, vous-mêmes vous avez entendu une détonation?
L. PRINCE : Oui, moi j’ai entendu.
GRÉGOIRE : À part cette détonation-là, est-ce que vous avez entendu un bruit de vitre?
L. PRINCE : Non.
GRÉGOIRE : Éclater?
L. PRINCE : Non, parce qu’il était sur le bord du chauffeur.
GRÉGOIRE : Alors, il n’y a pas de vitre qui a éclaté dans la petite voiture bleue?
L. PRINCE : Non.
GRÉGOIRE : Et par la suite, votre frère est remonté dans l’auto, votre frère est remonté dans l’auto et vous-même?
L. PRINCE : Oui. Il a reculé. Après que la petite auto est passée, mon père est passé, il s’est en allé dans l’autre rang, il a traversé la trail [chemin], un cul-de-sac. Là, nous autres, on a reculé. On a suivi mon père, dans l’autre rang.
GRÉGOIRE : Est-ce qu’il y a eu un autre coup de feu de tiré dans ce rang-là?
L. PRINCE : Oui. Après que la petite auto a passé, le char à mon père est passé, il s’est viré pour s’en aller comme ça. Mon frère a débarqué bien vite de l’auto, puis là, bien, il a tiré encore sur le bord … du chauffeur … en direction des pneus encore.
GRÉGOIRE : Vous l’avez vu?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Alors, c’est encore votre frère Michel, ça?
L. PRINCE : Oui, parce qu’à ce moment-là il a débarqué bien vite. J’ai débarqué avec lui.
GRÉGOIRE : Et après cette 2ème détonation, ce 2ème coup de feu-là, est-ce que vous avez entendu du bruit de vitres brisées?
L. PRINCE : Non.
GRÉGOIRE : Rien de ça?
L. PRINCE : Non.
GRÉGOIRE : Seulement le coup de feu?
L. PRINCE : Le coup de feu.
GRÉGOIRE : Par la suite, Monsieur Prince, vous dites que vous avez changé de voiture, c’est votre frère André ou quoi?
L. PRINCE : Mon frère André était embarqué avec mon père.
GRÉGOIRE : Oui?
L. PRINCE : Puis là, il est venu embarquer dans l’auto de mon frère Michel. Puis moi avec j’ai embarqué. Lui a embarqué en avant, moi j’ai embarqué en arrière.
GRÉGOIRE : Alors, votre frère André est entré en avant?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Et c’est Michel qui conduisait?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Vous vous êtes assis en arrière?
L. PRINCE : Oui. Sur son bord.
GRÉGOIRE : Puis là, vous avez continué à poursuivre cette petite voiture bleue, là?
L. PRINCE : Bien là, il est viré dans la cour chez Monsieur Corriveau. Puis là, les roues sont mises à virer dessous, c’est des pneus … d’hiver.
GRÉGOIRE : Puis vous avez rejoint le véhicule, là, sur la route 34. C’est ça?
L. PRINCE : On l’a rejoint à l’entrée de St-Célestin.
GRÉGOIRE : Qui est la route 34?
L. PRINCE : Bien, la route de St-Célestin c’est la route 13 encore.
GRÉGOIRE : Alors là, vous l’avez rejoint et vous l’avez poursuivie un bout avant qu’elle soit arrêtée cette voiture-là?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Et lorsque les deux voitures se sont arrêtées un peu plus loin, là, lequel de votre frère avait l’arme?
L. PRINCE : André.
GRÉGOIRE : André?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Est-ce qu’il est sorti du véhicule, lui?
L. PRINCE : André, non.
GRÉGOIRE : Il est resté dans le véhicule?
L. PRINCE : Oui. Quand on a passé à côté de lui sa vitre était ouverte. Il a passé à côté de lui, il a tiré encore un coup en direction des pneus.
GRÉGOIRE : En direction des pneus?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Est-ce que son arme était sortie à l’extérieur de l’automobile ou si…
L. PRINCE : Bien, quand il a tiré, quand il a passé à côté de lui, il a penché l’arme vers les pneus.
GRÉGOIRE : Est-ce qu’il en a atteint un pneu?
L. PRINCE : Non, je ne pense pas.
GRÉGOIRE : Non?
L. PRINCE : Non, je ne pense pas. J’ai pas entendu déssoufler [sic].
GRÉGOIRE : Alors là, les deux automobiles se sont immobilisées, et lorsque le dernier coup de feu, le troisième coup de feu a été tiré, là, c’est votre frère André à ce moment-là qui a tiré sur ses pneus?
L. PRINCE : Il en a tiré un autre aussi.
GRÉGOIRE : Ah, il y en a eu un autre?
L. PRINCE : Après, après avoir coupé ça de même, après avoir tiré, après avoir tué mon frère, là, il était aplombé sur moi, je me suis couché à terre, il s’est aplombé sur mon frère André. Il a regardé en arrière s’il venait pas de camions, puis il a embarqué bien vite dans son char.
GRÉGOIRE : André, lui, a tiré un coup de feu, là?
L. PRINCE : André, lui, a tiré seulement deux coups de feu.
GRÉGOIRE : Deux coups de feu. Là-bas?
L. PRINCE : À St-Célestin, quand on a passé à côté de lui.
GRÉGOIRE : Alors, là, il en a tiré un quand vous êtes passé à côté de lui, l’automobile était encore en mouvement et il était encore à l’intérieur du véhicule, c’est ça?
L. PRINCE : [11]
GRÉGOIRE : Bon, et le deuxième coup de feu qu’André a tiré, est-ce qu’il était à l’extérieur du véhicule?
L. PRINCE : Non.
GRÉGOIRE : Il était encore en-dedans?
L. PRINCE : Avant qu’il tire mon frère, il avait tué mon frère.
GRÉGOIRE : Oui, je comprends, mais le dernier coup de feu qui a été tiré par André?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Qui était son deuxième, c’est ça?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Est-ce qu’André était à l’intérieur du véhicule, de votre véhicule?
L. PRINCE : Non.
GRÉGOIRE : Il était sur la route?
L. PRINCE : Le petit char lui s’en allait …
GRÉGOIRE : Est-ce qu’il était sur la route?
L. PRINCE : Oui. Le petit char s’en allait bien droit.
GRÉGOIRE : Alors, quand les deux véhicules ont été immobilisés, là, est-ce que vous êtes sorti, vous, ou si seulement Michel est sorti?
L. PRINCE : Moi puis Michel.
GRÉGOIRE : Qui est-ce qui avait l’arme à ce moment-là?
L. PRINCE : Mon frère André, dans l’auto.
GRÉGOIRE : Qui avait l’arme dans l’auto?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Michel l’avait pas à ce moment-là?
L. PRINCE : Elle était pas chargée. Quand on a passé à côté du véhicule un coup qui avait tiré, puis c’est un fusil à un coup, ça. Il faut qu’il baisse la gâchette pour sortir la balle.
GRÉGOIRE : Il l’a chargé par la suite?
L. PRINCE : Bien, quand il a tiré mon frère, l’arme était pas encore chargée.
GRÉGOIRE : Alors, vous, vous avez entendu clairement un type qui était dans l’automobile, la petite automobile bleue, dire : « tires pas, tires pas ».
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Vous l’avez entendu clairement dire ça?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Et ce type-là qui était dans la petite auto bleue, est-ce qu’il est sorti complètement de son véhicule ou s’il est resté dedans?
L. PRINCE : Quand il a dit : « tires pas, tires pas »?
GRÉGOIRE : Oui?
L. PRINCE : Il avait baillé [entre-ouvert], je pense, sa porte. On l’entendait clairement dire : « tires pas ».
GRÉGOIRE : Vous l’avez entendu clairement dire cette phrase-là?
L. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Est-ce que ce type dans l’automobile est sorti, lui, un moment donné?
L. PRINCE : Quand il a dit : « tires pas », mon frère a sorti de l’auto. Mon frère Michel a sorti de l’auto. Il le tenait en joue.
GRÉGOIRE : Vous dites qu’il y avait quelqu’un qui le tenait en joue, à ce moment-là. C’est ça?
L. PRINCE : Oui, mon frère André. Parce qu’il avait pas de balle dans le fusil. Il faisait rien que …
GRÉGOIRE : Votre frère André le tenait en joue à ce moment-là?
L. PRINCE : Oui. Puis il avait pas de balle dans le fusil.
GRÉGOIRE : Ensuite, il y a un coup qui est parti, c’est ça?
L. PRINCE : Bien, quand mon frère Michel a débarqué, là, il était à blanc. Il avait pas d’arme.
GRÉGOIRE : Personnellement, est-ce que vous avez vu une arme quelconque entre les mains de celui qui était dans l’auto bleue?
L. PRINCE : J’ai vu qu’il avait ses deux mains comme ça, mais il faisait noir.
GRÉGOIRE : Vous n’avez pas pu distinguer?
L. PRINCE : Non. J’étais bien trop énervé. Je sais qu’il avait un objet dans ses mains mais je pouvais pas distinguer si c’était un petit fusil ou un gros.
Quelques minutes plus tôt, interrogé par Me Laniel, Louis avait clairement parlé de « carabine » dans les mains de St-Louis, alors que maintenant Me Grégoire semblait le faire douter, le forçant à parler d’un « objet ».
GRÉGOIRE : Et c’est après ça, là, que le coup de feu qui aurait atteint votre frère Michel, que votre frère André aurait rechargé son arme pour tirer?
L. PRINCE : Non.
GRÉGOIRE : Avant?
L. PRINCE : Quand il a entendu les deux coups de feu, mon frère était dans le char, ça s’est fait vite ça. Lui s’est aplombé … assez vite sur moi.
GRÉGOIRE : Il a tiré un autre coup de feu à ce moment-là?
L. PRINCE : L’accusé?
GRÉGOIRE : Non, non. André?
L. PRINCE : Non.
GRÉGOIRE : Il l’avait tiré son dernier coup, quand est-ce qu’il l’avait tiré?
L. PRINCE : Quand le voleur a sauté dans son char puis il a tiré dans la direction.
GRÉGOIRE : Quand il s’est enfui?
L. PRINCE : Oui. Il a sorti bien vite lui, peut-être que dans le char la balle qui avait resté dans le fusil, il l’avait enlevée.
GRÉGOIRE : Alors, à ce moment-là, il avait eu le temps de recharger son arme, est-ce à votre connaissance personnelle, est-ce qu’il l’a rechargée devant vous?
L. PRINCE : Ah non, il l’a rechargée devant moi. Quand il a tiré sur le voleur, là, le voleur est parti, là, j’ai été à Michel pour essayer de le lever.
Le témoignage de Louis Prince, en dépit d’une certaine confusion, sans doute attribuable à la nervosité de paraître en Cour, permit cependant d’éclairer un peu mieux la deuxième interception, ou si vous préférez la scène de crime. On apprend donc qu’au moment où les deux véhicules roulaient encore, André Prince aurait tiré un ou plusieurs coups de feu sur l’Envoy de St-Louis, apparemment en direction des pneus. Se produisit ensuite l’échauffourée qui a coûté la vie à Michel Prince et qui reste encore à éclaircir. Mais une fois Michel au sol, on apprend qu’André aurait encore tiré, à une ou plusieurs reprises, sur la voiture de St-Louis qui fuyait maintenant les lieux.
On appela donc André Prince, 17 ans, décrit par la Cour comme simple étudiant. Tout au long des procédures, il semble avoir été un témoin important car il fut le seul, mis à part la scène de l’épicerie, à vivre le déroulement entier des événements. En effet, il était d’abord monté avec son père pour participer ainsi à la première interception, après quoi il grimpa avec Michel et Louis pour vivre de près la seconde. Tout cela faillit d’ailleurs lui coûter la vie.
LANIEL : Monsieur Prince, le 22 novembre 1968 il y a eu un incident au magasin de votre père. À la suite de cet incident voulez-vous raconter au juge ce que vous avez fait, ce que vous avez vu?
ANDRÉ PRINCE : Bien, d’abord j’étais à la maison, chez nous, et puis ils ont dit qu’il y avait eu un vol à l’épicerie. J’ai été voir mon père, qui était au garage, je lui ai dit qu’il venait d’avoir un vol, donc, il est sorti de son garage, son auto était là. On a pris l’auto, puis encore avant de partir, lui, on l’a suivi, puis mon père a dit à Louis de dire à Michel parce qu’il y avait eu un vol à l’épicerie. Là, on est parti sur la 13 en direction de St-Célestin, puis rendu pas loin du 6ème rang de St-Léonard on a vu une petite auto bleue. Mon père a pris le 6ème rang.
LANIEL : Vous étiez dans l’automobile de votre père?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
LANIEL : Est-ce qu’il y en avait d’autres avec vous autres?
ANDRÉ PRINCE : Non.
LANIEL : Alors, vous avez aperçu l’automobile bleue, qu’est-ce que vous avez fait?
ANDRÉ PRINCE : Bien, moi j’ai dit à mon père ça doit être sûrement le voleur, vu que Camille m’avait dit que c’était un petit char, puis les lumières en avant étaient teintées bleues. Puis là, il s’en allait chez Monsieur Roy, il y avait deux entrées de cour, il a pris la première. Mon père a pris la deuxième. Puis là, quand mon père a reculé, on a vu qu’il a fait le tour, mon père, c’est pour ça que mon père a fait le tour, puis là, il reculait pour se diriger vers la 13. On l’a suivi encore, puis rendu [à] la route 10, qui fait jonction avec la 13, là, j’ai reconnu l’auto à Michel qui était arrêtée sur le bord de la 13. Puis je voyais quelqu’un debout, puis je peux pas dire qui c’était. Puis là, là, l’auto bleue a traversé la 13 en se dirigeant vers le 6, une route qui débouche pas où reste Monsieur Corriveau. Là, mon père a suivi l’auto jusque chez Monsieur Corriveau. Puis rendu chez Monsieur Corriveau, il a mis son auto un peu de biais, il est sorti de l’auto pour bloquer la route parce qu’il s’est mis de biais. Durant qu’il était là, mon père a dit : « il vient de faire une erreur, cette route-là débouche pas ». Comme ça, mon père est débarqué de l’auto, il s’est dirigé vers la maison. Durant ce temps-là, moi, je me suis mis un peu à la maison mais je savais que Michel mon frère, j’avais reconnu sûrement l’auto, qu’il était pour s’en venir. Je l’attendais puis j’ai vu son auto qui s’en venait vers nous autres. Comme je me tenais en avant de lui, puis là, je lui faisais signe d’arrêter en plein milieu du chemin. Puis il a rentré dans la cour à Monsieur Corriveau, puis là, durant que il a rentré dans la cour, puis là, la petite auto bleue, là, bleue là. J’ai bien vu la couleur, que c’était bleu, parce que c’était bleu. L’autre char a passé, puis Michel avait son revolver, a tiré un coup de feu vers l’auto.
LANIEL : Alors, qu’est-ce que vous avez dit à la suite, là, d’avoir tiré un coup sur l’auto?
ANDRÉ PRINCE : En direction des pneus.
LANIEL : En direction des pneus.
ANDRÉ PRINCE : Il était du côté du conducteur.
LANIEL : Sur le côté du conducteur?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
LANIEL : Oui?
ANDRÉ PRINCE : L’auto passait aura [près de] lui, il a tiré un coup de feu comme ça. Après qu’il fut passé, mon père a rembarqué dans son char. Moi, j’ai rembarqué avec Michel après que la petite Vauxhall eut passé, là, il voyait qu’il se sauvait. Il embarque dans [son] auto une Dodge Polara, puis moi j’embarque avec lui. Moi, j’étais assis en avant du côté du passager, Louis était assis en arrière du côté conducteur.
LANIEL : Et qu’est-ce que vous avez [fait], là, ensuite… Racontez donc au juge, là, ce qui se passe dans ces incidents-là?
ANDRÉ PRINCE : Puis là, Michel a dit « on va la poursuivre ». Puis là, il a bien vu qu’il virait sur la 13 en direction de St-Célestin, donc on est parti à sa poursuite puis comme Michel conduisait l’auto. J’ai dit tu vas me donner ton revolver, si je le vois je vas tirer dans ses pneus pour l’immobiliser. Michel a dit « bon c’est correct » puis il me l’a répété « tires rien [que] dans ses pneus », puis là on l’a suivi jusqu’à St-Célestin. Puis là on s’en va sur la 13 en direction de St-Célestin parce que St-Célestin c’est par la 13 puis rendu à St-Célestin nous suivons le Vauxhall qui vire à droite en direction de la 34. Puis là, quand Michel suivait la Vauxhall en arrière, puis avant de virer j’étais en avant j’ai vu une van arrêtée pour nous laisser passer. Un gros camion. Puis là, on a suivi la voiture bleue sur la 34, puis là j’ai dit : « Michel repasse là » puis dans ce temps-là je vas tirer sur un de ses pneus arrière toujours sur un côté du conducteur, puis là Michel a repassé puis quand il a repassé, là, l’auto, le Vauxhall était en train de le repasser, puis là il a freiné, puis là moi j’ai tiré mon coup de feu toujours, toujours, en direction des pneus. Oui, toujours en direction des pneus puis l’auto a freiné, puis en direction des pneus, puis l’auto a freiné. Bien, le Vauxhall qu’on a repassé a freiné puis moi j’étais pour faire feu sur le pneu arrière du côté du conducteur, toujours. Puis l’auto a breaké, la Vauxhall, puis Michel a repassé l’auto. C’est là que j’ai fait feu, puis comme j’ai arrêté mon feu, bien, mais le coup de feu ça porté vers le bas c’est là que j’ai tiré, dans l’intention d’attraper les pneus.
LANIEL : Ça c’est un deuxième coup de feu.
ANDRÉ PRINCE : C’était mon premier coup de feu que je tirais moi, avec le fusil.
LANIEL : Alors, qu’est-ce qui s’est produit par la suite?
ANDRÉ PRINCE : Bien là, c’est un revolver à un coup. Puis là, Michel a coupé le chemin, il coupe le chemin au Vauxhall puis là il ouvre sa porte. Moi j’étais dans l’auto du [côté] passager. Michel a débarqué en courant puis Louis l’a suivi puis moi, comme j’avais ma fenêtre de baissé déjà, je suis sorti avec mon revolver était vide je pouvais rien faire, j’ai sorti j’ai dit : « haut les mains ». Là j’ai entendu : « tires pas, tires pas ». Moi j’ai dit « correct, je tirerai pas ». Puis tout de suite, pas longtemps après ça, Michel a débarqué durant que j’avais le revolver, là, par la fenêtre, le gars dit : « tires pas, tires pas ». Michel a débarqué. J’ai pris mon revolver, j’ai dit : « haut les mains ». L’homme a dit : « tires pas, tires pas ». Durant que je pointais le revolver vers lui, Michel a débarqué de l’auto. Louis l’a suivi puis tout de suite après qu’il a dit : « tires pas, tires pas ». J’ai entendu 2 coups de feu qui se suivaient assez rapprochés l’un de l’autre. Là, j’ai été comme saisi d’un choc. Je me demandais ce qui se passait, puis tout d’un coup la première nouvelle que j’ai eue il y avait – carabine pointée vers moi, puis là tout de suite la première intention que j’ai eue de me cacher dans le fond du char puis je m’ai relevé tout de suite après, puis j’ai vu qu’il s’était rapproché plus de moi, là, là je m’ai caché dans le fond plutôt vers le dash [tableau de bord] pour me dégager le plus possible. Durant que j’étais en-dessous, j’ai vu des lumières, des phares. J’ai pensé que c’était des camions puis en même temps j’ai chargé mon revolver qui était à sec, il me restait une balle il était vide, bien, le revolver. Je l’ai chargé, là, je m’ai relevé puis j’ai vu l’Envoy qui se préparait à partir [à] reculer. Là, je suis sorti de l’auto puis là j’ai vu Michel étendu à terre il y avait beaucoup de sang. L’Envoy était reculé, il se préparait à se diriger vers le village de St-Célestin comme ça, là, je voyais mon frère à terre. Je m’ai aplombé, je sais pas j’ai tiré un coup de feu, j’ai tiré ma dernière balle. J’ai laissé tomber le fusil à terre, j’ai couru auras [auprès de] Michel.
LANIEL : Monsieur Prince, lorsque vous avez entendu les paroles « tires pas, tires pas », vous dites, vous disiez que votre vitre était baissée?
ANDRÉ PRINCE : Oui, oui. Complètement.
LANIEL : Et que vous teniez votre revolver, non chargé, braqué sur les pneus … pas sur les pneus, sur l’individu qui conduisait la Vauxhall bleue?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
LANIEL : Est-ce que vous pouviez le voir à ce moment-là?
ANDRÉ PRINCE : Non – (« quand j’ai dit : tires pas ») – je le voyais pas.
LANIEL : Vous ne le voyiez pas?
ANDRÉ PRINCE : Non.
LANIEL : Vous ne le voyiez pas. Quant à vous, selon vous, est-ce que vous l’aviez vu avant ça dans l’auto?
ANDRÉ PRINCE : Oui, je l’avais vu qu’on avait repassé l’auto.
LANIEL : À ce moment-là, évidemment, l’automobile était arrêtée?
ANDRÉ PRINCE : Quand on l’a repassée, après?
LANIEL : Non, au moment où vous teniez l’individu en joue avec votre revolver, son auto était arrêtée?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
LANIEL : Arrêtée?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
LANIEL : Est-ce que vous l’avez vu débarquer le conducteur de la Vauxhall?
ANDRÉ PRINCE : Non.
LANIEL : Antérieurement à ce que vous avez entendu les deux coups partir, est-ce que vous pouviez le voir en aucun moment?
ANDRÉ PRINCE : J’ai pas eu … j’ai pas eu l’idée de remarquer son visage, rien. J’ai pas remarqué ça.
LANIEL : Mais est-ce que vous pouviez le voir physiquement, est-ce que vous pouviez voir n’importe quelle partie de son corps?
ANDRÉ PRINCE : Non.
LANIEL : Saviez-vous où il était?
ANDRÉ PRINCE : Je savais qu’il était dans son auto, mais je le voyais pas.
LANIEL : Est-ce que vous avez pris, … est-ce que vous avez remarqué le numéro de licence de la Vauxhall?
ANDRÉ PRINCE : Oui. Quand j’ai été avec mon père dans le rang 6, mon père a noté le numéro. Moi-même, il m’a dit de le retenir, il m’a demandé un crayon, de prendre un crayon puis il y en avait pas dans le dash, j’en ai pas trouvé. Comme ça mon père, moi j’ai regardé bien le numéro puis c’était 5N 8696. Puis là, je m’ai gravé ce numéro-là dans la tête après que c’est arrivé à St-Célestin un policier m’a demandé si j’avais le numéro puis je lui ai donné ce numéro-là.
LANIEL : Vous avez entendu deux coups partir à un certain moment donné?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
LANIEL : Est-ce que vous pouviez, est-ce que vous avez vu tirer ces deux coups-là?
ANDRÉ PRINCE : Non.
LANIEL : Vous les avez pas vus?
ANDRÉ PRINCE : Non.
LANIEL : Est-ce que vous avez eu, est-ce que vous avez vu une autre arme autre que le revolver que vous aviez, vous?
ANDRÉ PRINCE : Oui. Quand je … Quand j’ai vu l’individu pointer un fusil vers moi.
LANIEL : Ça, c’est avant ou après les deux coups?
ANDRÉ PRINCE : Après les deux coups.
LANIEL : Je vous exhibe une carabine. Pouvez-vous dire si vous pouvez reconnaître ou nous dire si ça ressemble à cette arme?
ANDRÉ PRINCE : Voulez-vous la pointer, je l’ai vue pointée sur moi.
LANIEL : Vous l’avez vue pointée sur vous?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
LANIEL : Vous l’avez pas vu de côté?
ANDRÉ PRINCE : Non. J’ai vu pointer une carabine vers moi. Puis de la manière qu’elle était pointée vers moi je pouvais voir le canon, il me semble que c’était une .22.
LANIEL : Que c’était une .22?
ANDRÉ PRINCE : J’étais certain que c’était une carabine vu la grosseur du canon[12].
LANIEL : Produire comme P-6?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
Après qu’on eut déposé la carabine saisie dans les mains de St-Louis, à Drummondville, comme pièce à conviction P-6, Me Gérald Grégoire vint contre-interroger le jeune témoin.
GRÉGOIRE : Monsieur Prince, vous êtes parti en automobile avec votre père et c’est votre père qui conduisait?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Et vous précédiez, si c’est à votre connaissance, l’automobile conduite par votre frère Michel?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Alors, dans le rang-là, vous avez appelé ça le rang 6?
ANDRÉ PRINCE : Rang 6, St-Léonard.
GRÉGOIRE : Votre frère Michel vous suivait en compagnie de votre autre frère Louis?
ANDRÉ PRINCE : Quand Michel nous suivait, je pourrais pas dire que Louis était avec.
GRÉGOIRE : Alors, vous ne saviez pas à ce moment-là que votre frère Louis était avec Michel?
ANDRÉ PRINCE : Non.
GRÉGOIRE : Saviez-vous si l’autre vous suivrait par la suite en sortant du magasin?
ANDRÉ PRINCE : Louis?
GRÉGOIRE : Votre frère Michel, saviez-vous s’il vous suivait?
ANDRÉ PRINCE : Ah oui, ça j’étais certain qu’il nous suivait.
GRÉGOIRE : Dans le rang, là, vous dites qu’un moment donné votre père et vous-même avez suivi la petite auto bleue, là?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Et que par la suite il a pris une entrée et que vous avez pris une autre entrée, alors ça veut dire qu’il a fait un demi-tour pour revenir sur son chemin, c’est ça?
ANDRÉ PRINCE : De quelle auto vous parlez, là?
GRÉGOIRE : L’auto bleue, là?
ANDRÉ PRINCE : Il a reculé.
GRÉGOIRE : Oui, je comprends, mais il est revenu sur ses pas, là?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Et vous l’avez suivi ensuite?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Et toujours dans le rang 6, là, un moment donné vous avez rencontré votre frère?
ANDRÉ PRINCE : On l’a pas rencontré. Il était arrêté.
GRÉGOIRE : Il était arrêté?
ANDRÉ PRINCE : Sur la 13.
GRÉGOIRE : Alors, c’est là que vous avez vu que votre frère était sur les lieux dans le rang 6?
ANDRÉ PRINCE : Il était pas dans le rang 6, il était arrêté sur le bord de la 13.
GRÉGOIRE : Ah bon! Sur le bord de la 13?
ANDRÉ PRINCE : À la jonction de la 13.
GRÉGOIRE : Et l’auto bleue vous précédait toujours?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Alors, lorsque vous avez vu et reconnu votre frère, là?
ANDRÉ PRINCE : J’ai reconnu l’auto de mon frère.
GRÉGOIRE : L’auto de votre frère. Votre frère, l’avez-vous vu sur les lieux même, là?
ANDRÉ PRINCE : Du bord du rang 6, j’ai vu quelqu’un debout, je pourrais pas dire que c’était mon frère.
GRÉGOIRE : Vous ne pouvez pas dire que c’était votre frère?
ANDRÉ PRINCE : Non.
GRÉGOIRE : Il y avait un homme qui était à l’extérieur?
ANDRÉ PRINCE : Il y avait quelqu’un, oui.
GRÉGOIRE : Bon. Et avez-vous vu votre frère Louis à ce moment-là?
ANDRÉ PRINCE : Je pourrais pas dire qui était sur le bord.
GRÉGOIRE : Non?
ANDRÉ PRINCE : J’ai vu quelqu’un.
GRÉGOIRE : Et les autos étaient en marche à ce moment-là?
ANDRÉ PRINCE : …
GRÉGOIRE : L’auto bleue, là?
ANDRÉ PRINCE : Oui, l’auto bleue, quand on a passé, là?
GRÉGOIRE : Oui?
ANDRÉ PRINCE : L’auto bleue venait de passer. On [a] repassé en arrière pour s’en aller sur la 13, sur le rang 6.
GRÉGOIRE : Du 6ème rang à la 13 l’auto bleue a pas arrêté, là. Elle a toujours continué à circuler, plus ou moins vite?
ANDRÉ PRINCE : Mon père suivait à une distance raisonnable, puis là ça m’a paru qu’il a ralenti entre le 13 et le rang 6.
GRÉGOIRE : Pour prendre l’intersection de la 13?
ANDRÉ PRINCE : Pour traverser l’autre bord, c’est ça.
GRÉGOIRE : Et dans votre témoignage vous nous dites qu’un moment donné votre frère Michel a tiré un coup de feu?
ANDRÉ PRINCE : Bien, quand on a été rendu de l’autre bord, chez Monsieur Corriveau, vers les pneus.
GRÉGOIRE : Oui, c’est ça. Dépassé chez Monsieur Corriveau, là.
ANDRÉ PRINCE : Pas dépassé dans la cour, là.
GRÉGOIRE : Dans la cour?
ANDRÉ PRINCE : Bien, dans le chemin à Monsieur Corriveau.
GRÉGOIRE : Puis vous nous dites, en plus de ça, que votre frère pointait son arme vers les pneus?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Vous, vous étiez dans l’auto de votre père à ce moment-là?
ANDRÉ PRINCE : Non, j’étais débarqué de l’auto de mon père.
GRÉGOIRE : Vous étiez débarqué de l’auto?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Et vous avez eu le temps de voir la direction dans laquelle votre frère pointait son arme?
ANDRÉ PRINCE : Bien là, après avoir débarqué, je m’ai en allé dans le chemin. Mon frère s’en venait, je lui ai fait signe d’arrêter dans le chemin.
GRÉGOIRE : Oui?
ANDRÉ PRINCE : Quand j’ai vu qu’il voulait rentrer dans la cour, je m’ai tassé pour le laisser rentrer.
GRÉGOIRE : Et la détonation que vous avez entendue, est-ce que vous l’avez entendue immédiatement après un autre bruit, un bruit de vitre ou d’éclat de vitre?
ANDRÉ PRINCE : …
GRÉGOIRE : Ou quelque chose semblable?
ANDRÉ PRINCE : Au rang 6?
GRÉGOIRE : Oui?
ANDRÉ PRINCE : Non. J’ai vu qu’il tirait, j’ai rien entendu d’éclats de vitre d’abord, là où il tirait c’était pas de la vitre c’était des pneus.
GRÉGOIRE : Vous l’avez vu ça?
ANDRÉ PRINCE : Je l’ai vu, il a pointé vers les pneus. J’étais à côté de lui. Je l’ai vu pointer.
Me Grégoire venait de tenter de lui faire admettre que c’était à ce moment-là, lors de cette première interception donc, en face de Monsieur Corriveau, que la vitre de la portière arrière droite de l’Envoy avait volée en éclats, ce qui aurait démontré que Michel Prince ne visait pas vraiment les pneus de la voiture.
Rosaire Corriveau s’était installé sur cette terre du 7ème rang une dizaine d’années auparavant. « Ayant vendu ma ferme, nous sommes arrivés ici le 19 mai 1958 avec tout ce que nous possédions, animaux, instruments aratoires et chevaux de travail qui étaient l’outil du temps », expliqua lui-même M. Corriveau[13]. Il y prospéra avec son épouse, Marielle Dumas, et leurs six enfants. En 1967, il avait décidé d’agrandir sa propriété en se portant acquéreur d’e l’ancienne ferme de Rodolphe Leblanc. Son troupeau connaît alors une augmentation et ses bâtiments voient également s’installer une certaine mécanisation.
GRÉGOIRE : Maintenant, dans le rang 6 là, à l’intersection c'est-à-dire là, chez Monsieur Corriveau, est-ce qu’il y a eu un autre coup de feu à votre connaissance, qui a été tiré par votre frère Michel?
ANDRÉ PRINCE : Avant Monsieur Corriveau ou après?
GRÉGOIRE : Dans le rang 6, là?
ANDRÉ PRINCE : Non.
GRÉGOIRE : On se situe là, la première phase.
ANDRÉ PRINCE : Le seul coup de feu que j’ai eu connaissance que mon frère a tiré.
GRÉGOIRE : Que votre frère Michel a tiré?
ANDRÉ PRINCE : Chez Monsieur Corriveau. C’est seulement là que j’ai eu connaissance qu’il a tiré.
GRÉGOIRE : Alors, à cet endroit-là, seulement un coup de feu, d’après vous, aurait été tiré?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Maintenant, cette arme-là qui a été produite comme exhibit P-5. Et dans votre témoignage est-ce que vous dites que vous reconnaissez cette arme-là?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Est-ce que c’est celle que votre frère possédait?
ANDRÉ PRINCE : Semblable.
GRÉGOIRE : Semblable?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Je comprends que vous nous avez dit tout à l’heure que c’était une arme à seulement un coup?
ANDRÉ PRINCE : Oui. Un revolver à un coup.
GRÉGOIRE : Un coup?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Et là, par la suite, à l’intersection du rang 6 et du rang 13, vous êtes parti à sa poursuite et là vous êtes embarqué avec votre frère Michel?
ANDRÉ PRINCE : Oui, chez Monsieur Corriveau. J’ai embarqué dans son auto.
GRÉGOIRE : C’est vous qui conduisiez à ce moment-là?
ANDRÉ PRINCE : Non, c’est Michel encore.
GRÉGOIRE : Michel encore?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Et vous ne pouvez pas nous dire au moment où vous êtes parti avec votre frère Michel si l’arme était chargée ou pas?
ANDRÉ PRINCE : Bien, elle était pas chargée puisque c’est moi-même qui l’a chargée dans l’auto.
GRÉGOIRE : Vous l’avez chargée dans l’auto?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Seulement d’une balle?
ANDRÉ PRINCE : Bien, j’avais … il m’a donné, il avait des balles. Il m’en a donné deux.
GRÉGOIRE : Deux balles?
ANDRÉ PRINCE : La première balle qu’il m’a donnée je l’ai mis dans le fusil, l’autre je l’ai tenue dans mes mains.
GRÉGOIRE : Et vous vous êtes lancé à la poursuite de l’auto bleue et un certain moment donné vous l’avez rejointe, c’est ça?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Alors, dans votre témoignage vous nous dites que vous avez tiré un coup de feu [à] un certain moment donné?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Là, vous étiez rendu à la hauteur de l’automobile bleue, c’est ça?
ANDRÉ PRINCE : Pas tout à fait à la hauteur.
GRÉGOIRE : Est-ce que c’est là que vous étiez assis avec votre frère Michel et que vous avez tiré de l’intérieur, est-ce que vous avez sorti votre main ou si vous avez tiré de l’intérieur?
ANDRÉ PRINCE : J’ai sorti un peu ma main pour pointer vers les pneus.
GRÉGOIRE : Et là, les deux automobiles se sont immobilisées. Après ce coup de feu-là?
ANDRÉ PRINCE : Non, il y en a un qui a freiné, là.
GRÉGOIRE : Oui?
ANDRÉ PRINCE : …
GRÉGOIRE : Alors, un moment donné, ces automobiles-là se sont immobilisées?
ANDRÉ PRINCE : Oui. Michel a sorti.
GRÉGOIRE : Vous, vous êtes resté dans l’automobile?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Votre frère Michel est sorti, lui?
ANDRÉ PRINCE : Oui, avec Louis.
GRÉGOIRE : Louis, c’est votre frère qui, à ce moment-là, était avec vous autres?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Il était assis à quel endroit, lui?
ANDRÉ PRINCE : À l’arrière.
GRÉGOIRE : À l’arrière.
ANDRÉ PRINCE : Du côté du chauffeur.
GRÉGOIRE : Alors, ils sont sortis tous les deux pour s’approcher de l’auto bleue.
ANDRÉ PRINCE : Michel a sorti pour… Oui pour s’approcher de l’automobile bleue.
GRÉGOIRE : Pour s’approcher?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Et vous avez entendu une voix qui disait : « tires pas, tires pas »?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Est-ce que Michel était sorti de l’automobile à ce moment-là?
ANDRÉ PRINCE : Il était sorti, oui, avec Louis qui le suivait.
GRÉGOIRE : Et lorsque l’individu disait : « tires pas, tires pas », à qui semblait-il s’adresser, à vous?
ANDRÉ PRINCE : Les sons avaient l’air à se diriger vers moi.
GRÉGOIRE : Les sons avaient l’air à se diriger vers vous?
ANDRÉ PRINCE : Oui
GRÉGOIRE : Parce que pendant ce temps-là, vous, vous aviez votre arme braquée sur le conducteur de l’auto bleue?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : À la hauteur de sa tête?
ANDRÉ PRINCE : … je pourrais pas dire … où …
GRÉGOIRE : Pointée vers lui?
ANDRÉ PRINCE : … pointée … je pourrais pas dire à quelle hauteur elle était pointée.
GRÉGOIRE : À quelle distance pouviez-vous être de l’auto? Quelle distance pouvait séparer les deux automobiles?
ANDRÉ PRINCE : De mon siège moi, où j’étais?
GRÉGOIRE : Oui, disons, entre les deux autos, quelle distance vous séparait?
ANDRÉ PRINCE : … ah, deux, trois pieds.
GRÉGOIRE : Deux, trois pieds?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : À ce moment-là l’individu qui était dans l’auto bleue n’avait pas d’arme, avez-vous vu une arme entre ses mains au moment où il a dit ces mots-là : « tires pas, tires pas »?
ANDRÉ PRINCE : Non. C’est après que j’ai entendu deux coup de feu.
GRÉGOIRE : Alors, vous n’avez pas vu d’arme dans ses mains au moment où il a dit ces deux mots-là : « tires pas tires pas »?
ANDRÉ PRINCE : Non. Je voyais pas l’individu, premièrement.
GRÉGOIRE : Est-ce que sa vitre était levée ou baissée?
ANDRÉ PRINCE : J’ai pas remarqué sur son char.
GRÉGOIRE : Il était encore à l’intérieur de son auto?
ANDRÉ PRINCE : Je pourrais pas affirmer qu’il était à l’intérieur mais … je voyais pas l’individu, rien.
GRÉGOIRE : Votre frère Michel, est-ce qu’il a continué à s’avancer lui? Vers le conducteur de cette auto-là?
ANDRÉ PRINCE : …
GRÉGOIRE : Après ces mots qu’il vous aurait dits, là?
ANDRÉ PRINCE : Je voyais pas mon frère Michel quand il est sorti.
GRÉGOIRE : Vous ne l’avez pas vu?
ANDRÉ PRINCE : Non.
GRÉGOIRE : À cause de l’obscurité, quoi?
ANDRÉ PRINCE : Non.
GRÉGOIRE : Vous aviez le dos viré ou quoi?
ANDRÉ PRINCE : Non, moi j’étais viré de même puis lui a fait le tour, je pouvais pas virer la tête pour regarder où il était.
GRÉGOIRE : Alors, vous avez pas vu les agissements de votre frère Michel à ce moment-là?
ANDRÉ PRINCE : Non.
GRÉGOIRE : Puis là, tout à coup, vous avez entendu deux coups de feu?
ANDRÉ PRINCE : Deux coups de feu.
GRÉGOIRE : Et votre frère Louis est-ce qu’il se tenait près de Michel à ce moment-là?
ANDRÉ PRINCE : Je peux pas dire où Louis était dans sa position.
GRÉGOIRE : Est-ce que l’individu de l’automobile bleue est sorti de l’automobile ou s’il est resté à l’intérieur de son automobile?
ANDRÉ PRINCE : J’ai vu l’individu qui était sorti quand il a pointé son fusil vers moi. À deux fois, par deux fois.
GRÉGOIRE : Alors ça, c’est après les coups de feu ça?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Les coups de feu que vous avez entendus?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Est-ce que vous êtes habitué au maniement des armes, vous? Ou si c’était la première fois que vous preniez une arme dans votre main?
ANDRÉ PRINCE : J’avais déjà été à la chasse, j’ai pas … j’ai pas l’expérience en … non, il faut que je m’aplombe bien longtemps, puis bien comme il faut pour …
GRÉGOIRE : Vous avez 17 ans?
ANDRÉ PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Puis là l’individu, à ce moment-là, après ce qui s’est passé, là, les coups de feu, est parti lui. Il a démarré son auto puis a fait marche arrière?
ANDRÉ PRINCE : Après avoir tué Michel puis pointé sur moi.
GRÉGOIRE : Oui?
ANDRÉ PRINCE : Là, je m’ai caché.
GRÉGOIRE : Lui est rentré dans son auto?
ANDRÉ PRINCE : Quand j’ai vu qu’il pointait sur moi la 2ème fois je m’ai caché. Puis là j’ai vu les lumières des phares éclairer. Là j’ai chargé mon fusil en même temps, puis là je voyais bien qu’il y avait rien qui se produisait je me suis relevé, là j’ai vu son auto qui reculait.
GRÉGOIRE : Alors là, vous avez tiré un autre coup de feu?
ANDRÉ PRINCE : Non, j’ai sorti de l’auto.
GRÉGOIRE : Pardon?
ANDRÉ PRINCE : Je suis sorti de l’auto.
GRÉGOIRE : Vous n’avez pas tiré d’autre coup de feu après ça?
ANDRÉ PRINCE : Je suis sorti de l’auto. Un coup sorti de l’auto, là, j’ai vu mon frère Michel, couché par terre, puis c’était plein de sang.
GRÉGOIRE : Alors, il y a pas eu d’autre coup de feu de tiré par vous?
ANDRÉ PRINCE : Puis là, quand j’ai vu mon frère j’ai été à côté de lui. Je voyais l’auto, qu’il avait sa valise vers moi, le derrière du char, il se préparait à démarrer pour s’en aller vers St-Célestin. Je m’ai aplombé puis j’ai tiré.
GRÉGOIRE : Vous avez tiré en direction de l’auto?
ANDRÉ PRINCE : Oui. Toujours en visant plutôt vers les pneus, toujours assez bas, puis là, après ça, j’ai laissé tomber mon revolver.
GRÉGOIRE : Je comprends que vous étiez nerveux à ce moment-là?
ANDRÉ PRINCE : Plutôt sur un genre de choc.
La Couronne rappela Marcel Prince à la barre des témoins. Comme il n’avait pas assisté directement à la dernière partie de l’incident, c'est-à-dire les échanges de coup de feu ayant coûté la vie à son fils aîné devant la résidence d’Arthur Alie, on avait plutôt fait comparaître ses autres fils. Cette fois, cependant, Me Maurice Laniel souhaitait établir un fait concernant le vol, ce qui avait d’ailleurs déclenché toute la poursuite.
LANIEL : La caisse enregistreuse que vous aviez au magasin est disparue dans le vol de l’incident du 22 novembre. Pourriez-vous dire à la Cour le montant d’argent qu’il y avait dedans?
M. PRINCE : L’argent dans la caisse enregistreuse c’est entre $60.00 et $75.00 dans la caisse à ce moment-là.
Par cette simple question, Me Laniel venait de jeter un froid dans la salle d’audience, comme on peut encore le sentir à travers ces archives. Indirectement, c’était d’en revenir au fait que Michel Prince avait perdu la vie pour un montant évalué entre 60$ et 75$. Me Gérald Grégoire s’empressa de se lever pour contre-interroger le père de famille.
GRÉGOIRE : Quand vous dites… vous dites qu’il y avait entre $60.00 et $75.00, est-ce que vous aviez passé la journée au magasin?
M. PRINCE : J’avais passé la journée au magasin mais seulement que c’est nous autres mêmes qui a préparé l’argent de la caisse. On avait déposé un montant le matin pour partir puis après avoir contrôlé les pay-out ainsi que les ventes sur ça que je me suis fait une idée assez approximative.
GRÉGOIRE : C’est une idée approximative?
M. PRINCE : Approximative, oui. Assez.
GRÉGOIRE : Sur le contenu de la caisse?
M. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : À cette heure-là de l’après-midi?
M. PRINCE : Oui.
GRÉGOIRE : Alors est-ce que je dois comprendre que si un homme par exemple ou un livreur qui vient livrer quelque chose que c’est les gens qui tiennent la caisse qui paient pour la livraison?
M. PRINCE : Oui oui. C’est Madame Joubert mon employée qui avait tenu la caisse jusqu’à 17h00 jusqu’à temps que mon fils Camille la remplace. À l’heure du souper.
GRÉGOIRE : Pour le montant que vous nous dites c’est une impression, un approximatif?
M. PRINCE : Oui, c’est assez exact.
Laniel revient.
LANIEL : Est-ce que vos vente s,enregistrent, supposons que je vas acheter au magasin pour $10.00 de marchandises, le $10.00 est poinçonné?
M. PRINCE : Oui il s’enregistre.
LANIEL : Il s’enregistre?
M. PRINCE : Oui.
LANIEL : Est-ce que la prochaine vente est additionnée?
M. PRINCE : Oui, ainsi de suite.
LANIEL : Alors, c’est pour ça que vous dites d’une certaine façon vous pouvez contrôler vos ventes?
M. PRINCE : Oui.
Revient encore Me Grégoire.
GRÉGOIRE : Quand est-ce que vous avez revu votre caisse par la suite?
M. PRINCE : Je l’ai revue quand les officiers de l’escouade de Montréal me l,ont montrée dans le coffre arrière. Ils m’ont demandé si je pouvais reconnaître cette caisse-là puis c’est à ce moment-là que j’ai pu l’identifier.
GRÉGOIRE : Oui?
M. PRINCE : Elle était assez calcinée mais il y avait des marques assez frappantes pour que je puisse la reconnaître.
GRÉGOIRE : Il n’y avait aucune espèce de contrôle qui pouvait être effectué à ce moment-là quand vous avez revu votre caisse?
M. PRINCE : …
GRÉGOIRE : À partir du départ de la caisse, si on peut appeler ça un départ de votre magasin à la fois que vous l’avez revue par la suite.
M. PRINCE : Si je me rappelle bien il y avait des chiffres qu’on pouvait distinguer qui étaient même enregistrés encore sur la caisse.
GRÉGOIRE : Oui ça c’est des montants qui avaient été poinçonnés?
M. PRINCE : Poinçonnés.
GRÉGOIRE : Alors ça, ça ne donnait pas quand même les résultats de la caisse, cette journée où elle est partie?
M. PRINCE : Comme je vous l’ai dit précédement,
GRÉGOIRE : Non non madame Joubert là.
M. PRINCE : Bien …
GRÉGOIRE : D’après vous, tout simplement?
M. PRINCE : Ben c’est d’après moi ensuite, parce que …
GRÉGOIRE : Ensuite?
M. PRINCE : On a eu conversation ensemble.
GRÉGOIRE : Mais vous n’êtes pas sûr, vous n’êtes pas catégorique du montant qu’il y avait dans la caisse?
M. PRINCE : Non.
Douglas Lyons, 28 ans, agent de la Sûreté du Québec de Drummondville, fut appelé à son tour afin de raconter la dernière partie de l’affaire, c'est-à-dire l’arrestation de Marcel St-Louis.
LANIEL : Monsieur Lyons est-ce que dans l’exercice de vos fonctions on vous a indiqué qu’il y avait eu un vol et un meurtre le 22 novembre?
LYONS : Oui, monsieur.
LANIEL : Est-ce que vous avez fait une enquête à propos de l’information qu’on vous a donnée?
LYONS : On n’a pas fait d’enquête, on a fait une surveillance. On a vérifié, on a parti après une automobile qu’on pensait pourrait être l’auto qui aurait commis le vol.
LANIEL : Est-ce que c’était le même jour le 22 novembre?
LYONS : Oui.
LANIEL : Vers quelle heure?
LYONS : 8 heures et 10.
LANIEL : Alors, qu’est-ce qui s’est produit par la suite?
LYONS : Nous sommes allées pour vérifier l’automobile et puis on s’est aperçus que c’était l’automobile qu’on cherchait.
LANIEL : Comment vous êtes-vous aperçu?
LYONS : Par le numéro de licence.
LANIEL : Par le numéro de licence qu’on vous avait donné déjà?
LYONS : Oui.
LANIEL : Alors qu’est-ce que vous avez fait?
LYONS : Et bien je suis débarqué de l’automobile et puis le prévenu a sorti de son automobile avec la carabine entre les mains, puis je l’ai arrêté.
LANIEL : L’exhibit P-6 est-ce que ça ressemble ou est-ce que c’est l’arme en question qu’il avait?
LYONS : C’est l’arme qu’il avait.
LANIEL : C’est ça?
LYONS : Oui.
LANIEL : Il l’avait dans les mains à ce moment-là?
LYONS : Oui.
LANIEL : Alors, qu’est-ce que vous avez fait?
LYONS : Je lui ai crié d’arrêter, il s’est sauvé dans la maison chez lui alors j’ai parti après, je suis allé l’arrêter dans la maison.
LANIEL : Dans la maison?
LYONS : Oui.
LANIEL : Est-ce que vous reconnaissez l’homme que vous avez arrêté ici dans la Cour?
LYONS : Monsieur St-Louis, là.
LANIEL : L’accusé à la barre?
LYONS : Oui.
LANIEL : Quel était le numéro de licence que vous poursuiviez, que vous aviez à surveiller plutôt?
LYONS : C’était 5N 8696.
LANIEL : Je vous exhibe une photographie P-2, voulez-vous l’examiner et nous dire si c’est l’automobile en question?
LYONS : Oui. (examinant la photo)
LANIEL : 5N 8696?
LYONS : Oui.
LANIEL : Vous la reconnaissez?
LYONS : Oui, c’est bien celle-là.
LANIEL : Est-ce que – à la suite de l’arrestation de monsieur St-Louis – est-ce que vous avez fait une perquisition soit chez lui ou sur sa personne?
LYONS : Non, j’ai pris l’arme dans mes mains et puis après ça on l’a emmené au poste, on l’a fouillé
LANIEL : Vous l’avez fouillé?
LYONS : Oui.
LANIEL : Qu’est-ce que vous avez trouvé sur lui?
LYONS : Les balles de 22, l’argent.
LANIEL : Voulez-vous examiner ça. Ça, le contenu de cette enveloppe c’est quoi?
LYONS : Des balles de .22.
LANIEL : Où les avez-vous trouvées?
LYONS : Dans sa proche de chemise.
LANIEL : Dans sa poche de chemise. Voulez-vous produire ça comme exhibit P-7?
LYONS : J’ai marqué le nombre je pense sur l’enveloppe. 35 balles. J’ai extrait 2 balles de la carabine, qui étaient coincées.
LANIEL : Je vous exhibe une enveloppe contenant 2 balles, voulez-vous nous dire si ce sont les 2 balles qui ont été extraites de la carabine?
LYONS : C’est ça.
LANIEL : Alors, comme exhibit P-8.
LYONS : Oui.
LANIEL : Est-ce que vous avez trouvé autre chose sur sa personne?
LYONS : L’argent.
LANIEL : L’argent?
LYONS : Oui.
LANIEL : Je vous exhibe deux enveloppes, auriez-vous l’amabilité de dire ce qu’il y a là-dedans ça?
LYONS : Ça c’était ses objets personnels avec l’argent de son portefeuille.
LANIEL : Ses objets personnels et l’argent de son portefeuille.
LYONS : Son portefeuille.
LANIEL : C’est vous-même qui avez fait ces entrées là sur l’enveloppe?
LYONS : Oui.
LANIEL : Voulez-vous produire comme P-9?
LYONS : Oui.
LANIEL : Dans son portefeuille pouvez-vous dire le montant d’argent qu’il y avait?
LYONS : $108.00. C'est-à-dire en papier monnaie, en bills.
LANIEL : Et dans l’autre enveloppe?
LYONS : Ça c’est du change, au montant de $59.20 qu’il avait dans sa poche de manteau en plus d’un rouleau de 5¢.
LANIEL : Alors, en argent sonnant, en espèces éparses il avait $59.20?
LYONS : Ça c’est le total qu’il avait.
LANIEL : Dans cette enveloppe-là?
LYONS : Le total de l’enveloppe.
LANIEL : Alors, comme exhibit P-10.
LYONS : Oui.
Contre-interroge Me Gérald Grégoire.
GRÉGOIRE : Le numéro des plaques vous a été communiqué par qui?
LYONS : Par radio.
GRÉGOIRE : Est-ce que vous étiez seul dans votre véhicule?
LYONS : J’étais avec le constable Lemire.
JUGE LANGLOIS : (à St-Louis) Après avoir entendu les témoignages désirez-vous dire quelque chose en réponse à l’inculpation. Vous n’êtes pas obligé de dire quoi que ce soit mais tout ce que vous direz maintenant sera pris par écrit et pourra servir de preuve contre vous lors de votre procès. Vous devez comprendre clairement que vous n’avez rien à espérer d’une promesse ou faveur qui aurait pu vous être faite non plus que rien à craindre d’une menace qui aurait pu vous être adressée pour vous induire à faire un aveu ou vous reconnaître coupable, mais tout ce que vous direz maintenant pourra servir de preuve contre vous lors de votre procès nonobstant la promesse ou menace. Avez-vous quelque chose à dire?
ST-LOUIS : Non.
JUGE LANGLOIS : Avez-vous des témoins à faire entendre?
GRÉGOIRE : Pas à ce stade-ci, votre Seigneurie.
JUGE LANGLOIS : (à St-Louis) Je vous renvoie subir votre procès aux prochaines assises criminelles devant être tenues aux Trois-Rivières, en temps que l’autorité compétente jugera à propos l’accusation tel que portée.
Comme de raison, vous conviendrez que les transcriptions de l’enquête préliminaire ne permettent toujours pas de se faire une idée éclairée de ce qui s’est déroulé le 22 novembre 1968. Rappelons que le but de l’exercice était seulement de voir s’il y avait matière à procès. Et comme c’est le cas, maintenant, les procureurs disposeraient de quelques semaines de préparations pour enfin revenir avec des questions plus pointues. Car avant d’en arriver à un verdict, le procès se doit d’éclaircir tous les points, tous les détails. J’ai donc voulu présenter l’enquête préliminaire sous sa forme la plus authentique afin de bien démontrer, justement, les confusions qui peuvent s’installer au cours d’une telle affaire et aussi faire un premier travail mental de défrichage, c'est-à-dire qu’en dépit de nombreuses interrogations on comprend que certains morceaux du puzzle se sont mis en place. On comprend un peu mieux le fil conducteur des événements.
Toutefois, le procès apportera plus de lumière sur les faits. Les témoins auront eu l’expression d’une première comparution, les procureurs seront mieux préparés, et on aura peut-être aussi droit à la version de l’accusé.
Le lendemain, on pouvait lire dans Le Nouvelliste que « l’enquête préliminaire qui se déroulait hier, a été conduite de main de maître par les procureurs de la poursuite et de la défense, qui sont respectivement Me Maurice Laniel de Montréal et Me Gérard Grégoire de Trois-Rivières. Au sujet de ce dernier, on se souviendra qu’en fin de semaine dernière, il offrait gratuitement ses services à l’accusé St-Louis »[14].
Le journaliste Arsenault, après avoir expliqué la visite de St-Louis dans l’épicerie et la demande de Marcel Prince à l’effet que son fils aîné emporte son arme, tentait d’expliquer ce qui avait suivi d’après les témoignages qu’il venait d’entendre au palais de justice de Trois-Rivières :
Ayant rejoint le véhicule de petit modèle, un premier coup de feu fut tiré en direction des pneus de cette voiture, dont le conducteur avait réussi à échapper à ses poursuivants. Ce coup de feu aurait été tiré par la victime Michel Prince, tel que l’a mentionné son frère André.
Voyant que le fuyard prenait la direction de St-Célestin, Michel prit le volant de son auto pendant que son frère s’emparait du revolver de calibre .22. Encore une fois, on [a] pu rattraper le véhicule bleu, cette fois, sur la route 34 à proximité de St-Célestin. À ce moment, André aurait dit à Michel qui conduisait : « Dépasse-le je vais tirer dans les pneus ». Ce qu’il fit précisément.
Après l’immobilisation des deux véhicules, Arsenault rapportait les paroles d’André Prince pour expliquer la suite :
« Michel sortit précipitamment de son auto pour se diriger vers l’autre véhicule et moi je mis le conducteur en joue en disant : « Haut les mains ». Celui qu’on avait à ce stage/sic/ identifié comme étant Marcel St-Louis (témoignage du jeune Camille Prince), lança aussitôt : « Tire pas! Tire pas! ».
Le témoin André Prince raconte qu’il entendit alors deux coups de feu et que le conducteur du véhicule poursuivi depuis St-Léonard, braqua une carabine en sa direction. « J’ai plongé au fond de l’auto et j’ai rechargé mon revolver qui était vide à ce moment! Témoigne le frère de la victime. Le témoin ne savait pas à ce moment que Michel avait été touché par les balles du fuyard.
Des phares allumés, possiblement ceux d’un camion, auraient alors contraint le présumé meurtrier à prendre la fuite. Ce que voyant, André Prince sortit de l’automobile de Michel, pour constater que ce dernier gisait par terre. « J’étais sous une espèce de choc, poursuit le même témoin, et j’ai tiré un autre coup de feu en direction de l’automobile qui s’en allait. Ensuite j’ai laissé tomber l’arme par terre »[15].
Notes:
[1] Depuis le 21 juin 1968, la Sûreté Provinciale était officiellement devenue la Sûreté du Québec.
[2] Dans les transcriptions sténographiques on écrit Ally mais dans le livre des familles de la paroisse de St-Célestin on le mentionne comme Alie.
[3] Marcel St-Louis est né le 14 janvier 1943.
[4] « L’assassinat de Michel Prince, de Saint-Léonard d’Aston, jeune homme de 25 ans détenu comme témoin important », Le Nouvelliste, 25 novembre 1968, p. 1.
[5] Ibid.
[6] On avait certainement conservé de vieilles habitudes puisque dans les transcriptions sténographies on mentionne « Sûreté Provinciale ».
[7] Les guillemettes sont présentes dans les transcriptions sténographiques.
[8] Tout au long des transcriptions, on peut évidemment soupçonner que chaque fois qu’on mentionne le mot « bien » ce serait une adaptation de la prononciation de « bin », si répandue dans le langage québécois. Mais puisque le sténographe ne nous donne aucune autre indication afin d’en être formel, j,ai choisi de respecter ses notes.
[9] En Cour, un témoin ne peut rapporter les paroles d’une autre personne.
[10] Il arrive qu’un témoin fasse des gestes et si les procureurs ne prennent pas la peine de préciser ce geste par des questions, il est ardu, voir impossible, de savoir quel geste précisément le témoin a fait. Le sténographe ajoutera parfois une simple note « le témoin indiquant », mais qui n’apporte guère plus de précision. Tout au long de l’Affaire St-Louis, on aura droit à des gestes qui, malheureusement, n’ont pas tous été précisés.
[11] Étrangement, il n’y a aucune entrée à cette ligne mais en considérant la réplique suivante de Me Grégoire, on pourrait sans doute présumer que Louis avait répondu « oui ».
[12] Par définition, une carabine est une arme longue à canon rayé qui tire des projectiles uniques. Généralement, le diamètre de la bouche du canon d’une carabine est plus étroit que celui d’un fusil de chasse, dont le canon est lisse et qui peut à la fois tirer des gerbes de plombs et des projectiles uniques, comme par exemple le .410, .16, .12, etc.
[13] Voir livre de la paroisse de St-Léonard d’Aston.
[14] Jean-Paul Arsenault, « St-Louis à son procès », Le Nouvelliste, 12 décembre 1968, p. 3.
[15] Ibid.


























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