Homicide extrémiste socio-politique – Tuerie de masse – Arme à feu (9 mm)
Québec - 1 SC
Alexandre Bissonnette, 27 ans, 40 ans de prison.
En janvier 2017, Alexandre Bissonnette s’est retrouvé en arrêt de travail pour des problèmes d’anxiété. Par ailleurs, son programme d’étude en science politique à l’Université Laval, à Québec, a été suspendu pour la session d’hiver. À la même époque, il a commencé à consulter des sites Web sur les armes à feu, en plus de renseigner sur les auteurs de certaines tueries commises aux États-Unis. Le 29 janvier, vers midi, il a bu du saké, qu’il considérait comme une boisson de samouraï. En après-midi, il a continué de boire et de se motiver en regardant d’autres sites concernant des tueries de masse. À 17h56, il a même consulté le site du Centre culturel islamique de Québec.
Il s’est ensuite rendu chez ses parents pour le souper avant de consulter d’autres sites sur des tueries mais aussi à propos du suicide. Vers 19h00, il a fermé son ordinateur et a pris avec lui deux armes à feu, un pistolet Glock de calibre 9 mm et une arme d’assaut semi-automatique de calibre .223. Évidemment, il a aussi emporté des munitions dans la voiture de ses parents.
Stationné près de la mosquée, il essayait de se convaincre de son funeste de projet, mais il a d’abord ressenti le besoin de se rendre dans un dépanneur pour y acheter une bouteille de vodka. En revenant, il a stationné son auto derrière le bâtiment.
Vers 19h54, Bissonnette est apparu devant la mosquée avec sur son dos un étui de guitare. Grâce aux caméras de surveillance, la justice pourra ensuite reconstituer les tristes événements qui ont suivi. C'est alors que les frères Ibrahima et Mamadou Barry sont sorti de la mosquée pour se diriger vers Bissonnette. Le jeune étudiant a aussitôt sorti de son étui de guitare le fusil automatique et il a tenté de tirer sur eux, mais les coups n’ont pas parti. Puisqu’il avait oublié de retirer le cran de sécurité, il s’est mis à sourire aux frères Barry tout en essayant de leur faire comprendre qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Les frères Barry ont quand même fait demi-tour pour aller se réfugier derrière une porte.
Bissonnette s’est empressé de sortir son pistolet pour tirer en direction des frères Barry. Ces deux derniers ont été blessés par les tirs. Sans tarder, Bissonnette s’est approché d’Ibrahima Barry et l’a exécuté d’une balle dans la tête, à bout portant. Au même moment, la panique s’installait à l’intérieur de la mosquée, tandis que Bissonnette mettait une balle dans la tête de l’autre frère Barry. Il ne s’était pas encore passé une minute avant que le tueur entre dans la mosquée. À ce moment-là, il a tiré une dizaine de coups dans la salle de prière où les hommes ne savaient plus dans quelle direction courir. Bissonnette a donc profité de cette panique pour revenir dans le vestibule et recharger son Glock.
Malgré la panique, un homme a pensé de téléphoner au 911. L'instant d’après, la fusillade reprenait et c’est à ce moment qu’Abdelkrim Hassane, 41 ans, a été atteint de plusieurs projectiles. Sa moëlle épinière et deux vertèbres ont été fracturés. Il est mort en quelques secondes. Quant à lui, Azzeddine Soufiane s’est mis à marcher en direction de Bissonnette en lui disant: “Arrête! Arrête!”. L’instant d’après, Khaled Belkacemi, 60 ans, tombait sous les balles. Les balles lui ont crevé l’oeil gauche, en plus de lui fracturer le crâne et lui lacérer le cerveau. Pendant ce temps, Soufiane continuait de s’approcher du tueur pour essayer de le maîtriser.
Bissonnette a eu le temps de tuer Aboubaker Thabti, 44 ans. C’est là que Soufiane s’est jeté sur le tueur, mais celui-ci l’a abattu de deux coups de feu. L'homme de 57 ans s’est affaissé. Quelques secondes plus tard, Bissonnette lui tirait deux autres balles à bout portant. Loin de s’arrêter, le jeune tueur a blessé deux autres hommes.
Bissonnette est revenu dans le vestibule pour recharger son arme, après quoi il a de nouveau plongé dans la salle pour tirer encore sur Soufiane, en lui mettant une balle dans la tête.
À 19h56, Bissonnette quittait enfin les lieux. Dans la neige, il a abandonné l’étui de guitare et le fusil d’assaut. Quand les policiers ont retrouvé l’arme, quelques minutes plus tard, le chargeur contenait 28 cartouches. À l’intérieur de la mosquée, on a retrouvé 48 douilles de calibre 9 mm.
Pendant ce temps, Bissonnette empruntait l’autoroute 40 pour se diriger vers le Parc des Grands Jardins dans Charlevoix, où il avait prévu de se suicider. Il était 20h09 quand il a lui-même téléphoné au 911. Il a hésité durant plusieurs dizaines de minutes mais il a fini par se rendre.
Le 28 mars 2018, on a déterminé que Bissonnette était apte à subir son procès. Peu de temps après, il a décidé de plaider coupable pour éviter un procès qui aurait très certainement fait la manchette durant plusieurs jours.
En février 2019, Bissonnette a été condamné à 40 ans de prison. La Couronne demandait 150 ans alors que la défense plaidait pour 25. C’est le juge François Huot qui lui a imposé cette sentence, en plus de déclarer : « « Il y a 24 mois, vous avez entraîné dans la mort six de vos semblables. Vous avez de plus grièvement blessé par arme à feu cinq autres hommes, dont le seul crime était d’être différents de vous », a déclaré le juge à Bissonnette, à qui il a demandé de se lever devant lui pour recevoir sa peine après plus de cinq heures de lecture, dans une salle bondée. « Votre crime mérite la plus grandes des dénonciations. […] Alexandre Bissonnette, votre nom ne sera pas oublié, mais pour les mauvaises raisons. Contrairement à vos héros Elliot Rodger, Dylann Roof et Kip Kinkel [des tueurs de masse], vous allez devoir répondre de vos actes devant la justice », a dit le juge de la Cour supérieure, d’un ton ferme. Avant de prononcer la peine, le magistrat a statué que tant la demande de la Couronne (150 ans de prison) que celle de la défense (25 ans avant d’être éligible à une libération conditionnelle) était « déraisonnable » dans le cas de Bissonnette. « Une sentence dépassant l’espérance de vie aurait un caractère absurde », a-t-il affirmé. Rejetant la possibilité de lui infliger une peine de 50 ans, il a ainsi littéralement usé de son pouvoir pour réécrire l’article 745.51 du Code criminel sur les peines consécutives afin de pouvoir imposer autre chose que des blocs de 25 ans. Le juge a ainsi condamné l’assassin de 29 ans à 25 ans de prison à vie sur les cinq premiers chefs de meurtre au premier degré et à 15 ans sur le sixième chef de meurtre, pour un total de 40 ans avant de pouvoir demander une libération conditionnelle. Bissonnette aura 67 ans. Il s’agit de la plus lourde peine infligée au Québec depuis l’abolition de la peine de mort au pays en 1976. »51
Tout comme dans le cas de Denis Lortie (voir 1984, 8 mai), mais contrairement à la majorité des tueurs de masse, Bissonnette a survécu à son crime. Toutefois, comme la totalité d’entre eux, il n’a planifié aucune porte de sortie. Il a eu le temps de déclarer que « je ne suis ni un terroriste ni un islamophobe ».52
Les médias continuent de se questionner sur le ou les motifs de Bissonnette, mais nous avons raison de croire que, au moins, Bissonnette disait vrai lorsqu’il a affirmé ne pas être un terroriste. En effet, les motivations des terroristes sont de terroriser la population entière. Or, Bissonnette s’en est pris à une mosquée, c’est-à-dire un endroit précis comportant une certaine signification. Il ne visait pas, par exemple, un restaurant, un hôtel ou tout autre lieu public qui accueille une variété incalculable et impossible à prévoir de citoyens. En entrant dans cette mosquée, il s’attendait nécessairement à y retrouver des musulmans. C’est pour cette raison que le DHQ classifie ce dossier dans les homicides extrémistes socio-politique.
Quelques semaines plus tard, des informations récoltées par les policiers ont été rendu publics. Ainsi a-t-on appris que dans les heures ayant suivies son arrestation, Bissonnette avait dit à un enquêteur qu’il voulait « protéger sa famille ». Il souhaitait la soustraire « à une attaque terroriste ». Il voulait « sauver des gens ». Il a également dit « je ne suis pas un monstre ».53
Lorsque l’enquêteur lui a demandé pourquoi il avait choisi ce lieu, il a répondu : « Tsé, p’t’être avec mes actions là, avant de me tirer dans la tête, plutôt que de rien faire, pis faire ça chez nous, dans ma chambre, dans l’bois… j’me suis dit que peut-être que, grâce à c’que j’ai faite, tsé, y va avoir peut-être une centaine de personnes tsé qui vont être sauvées ».
Donc, on retrouve encore l’aspect du « super-suicide » présent chez la totalité des tueurs de masse. S’il n’était pas islamophobe, à tout le moins, il y avait de l’incompréhension dans son approche. Ce n’est certes pas en assassinant des gens d’une confession religieuse quelconque qu’on va sauver des vies. Et les vies de qui, d’ailleurs?
D'un autre côté, il a affirmé qu’il n’y avait personne à l’intérieur de la mosquée, comme si sa mémoire de l’événement s’était effacée, ou du moins la partie la plus intense.
Quant aux armes utilisées, il les a obtenues légalement. Cependant, il avait menti à propos de sa santé mentale. Lorsqu’il a été arrêté, il avait en sa possession un Glock 17 et une carabine VZ. Bissonnette possédait également un pistolet de calibre .45, un fusil de calibre .12 et une carabine de calibre .30-06. En 2012, on lui avait prescrit une médication afin de contrôler ses crises de panique. Selon ses parents, qui ont accepté de se livrer publiquement, Alexandre était une personne anxieuse depuis sa tendre enfance.
Annexe:
Jugement du 8 février 2019:
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