Meurtre par passion – Empoisonnement
Alma – 1 SC
Non élucidé. Emily Sprague (Gallop), sa femme de 41 ans, condamnée à mort, acquitté au 4e procès.
Mariés le 3 février 1906, Abraham « Abe » Gallop et Émily « Amy » Sprague, née le 21 novembre 1885, n’ont pas vécu ensemble très souvent. Lorsqu’il ne travaillait pas à l’usine, Abe courait les bois. À la fin de l’année 1924, le couple s’est installé à l’Isle-Maligne, près de Saint-Joseph d’Alma. Peu après, Ford McNeil et Walter Simpson, deux hommes originaires de Pointe Bleue, ont déposé leurs bagages chez les Gallop comme pensionnaires. Rapidement, Amy a pris Simpson comme amant afin de combler les longues absences de son mari. Curieusement, c’est aussi à cette même époque que Gallop a commencé à éprouver d’importants maux d’estomac.
Alors que Gallop préparait une expédition de chasse, le couple s’est rendu compte que leur pharmacie privée était à court de strychnine, un poison répandu dans la région et qu’Abe utilisait pour trapper les loups et les renards afin de ne pas abîmer les fourrures. Le 3 août 1925, Amy s’est dirigée vers Alma pour y passer une commande de strychnine au Dr Herménégilde Bouillé. Deux jours plus tard, celui-ci a reçu une once de strychnine que sa cliente est venue récupérer sans tarder. À son retour à la maison, elle a appris que le voyage de chasse de son mari était annulé. Celui-ci a donc pris une partie du poison en lui parlant de son intention de tuer les rats qu’elle élevait et auxquels elle tenait beaucoup. Puisqu’il n’en avait plus besoin pour la chasse, Abe l’a obligé à remettre le reste du poison à un autre chasseur qu’il connaissait dans la région de La Tuque.
Peu après, alors qu’elle était couchée avec son mari, dans la nuit du 5 au 6 août 1925, Amy dira plus tard avoir constaté que celui-ci frissonnait et souffrait d’une forte fièvre. Elle a donc envoyé Simpson chercher le médecin Robillard, mais à l’arrivée de ce dernier il était déjà trop tard. Gallop, 45 ans, était mort, ses doigts et ses orteils tordues par la douleur.
Amy a fait inhumer le corps au Nouveau-Brunswick, où son mari avait de la parenté. Fred Gallop, le père du défunt, aurait été le premier à entretenir des soupçons, en particulier sur la rapidité avec laquelle sa belle-fille s’était confectionné une robe de deuil la veille du décès. Plus étrange encore, elle aurait dit à qui voulait l’entendre que son mari était décédé paisiblement, alors que plusieurs voisins avaient entendu ses cris au cours de la nuit fatidique.
Les ragots ont fini par atteindre les oreilles de la Justice, et le détective Alfred Roussin est débarqué à l’Isle-Maligne pour poser ses questions. On a exhumé exhumer le corps avant d’envoyer les viscères au Dr Wilfrid Derome à Montréal pour fins d’analyses. En apprenant la nouvelle, Amy s’est rendue jusqu’à Québec pour rencontrer l’assistant du procureur général Charles Lanctôt, qui lui a confirmé que le corps avait été déterré la 14 septembre. Sur ce, Amy a fait route vers Sainte-Anne-de-Beaupré pour s’y faire baptiser. Les examens du Dr Derome ont démontré que la cause de la mort était attribuable à une forte dose de strychnine. Amy se trouvait à Moncton lorsqu’elle a été arrêtée le 9 octobre 1925.
Le procès de la femme de 41 ans s’est déroulé à Roberval le 19 juin 1926 devant le juge G. F. Gibsone.[1] Elle était défendue par les avocats Alleyn Taschereau, Antoine Rivard et Armand Boily, tandis que la Couronne était représentée par Valmore Bienvenue et Armand Sylvestre. Quoique Amy ne parlait pas la langue de Molière, on a fini par s’entendre sur la formation d’un jury francophone. L’achat d’une assurance vie peu de temps avant la mort d’Abe est venu s’ajouter aux éléments incriminants. À l’issu de ce procès d’une dizaine de jours, la veuve a été reconnue coupable et condamnée à être pendue le 15 octobre 1926. Ses avocats ont porté la cause en appel et obtenu un nouveau procès, qui s’est ouvert le 6 juillet 1927 devant le juge Auguste-Maurice Tessier à Roberval. Simpson a encore témoigné contre elle, expliquant qu’Amy lui avait avoué l’empoisonnement de son mari en plus d’acheter des joncs pour se remarier avec lui. Le 14 juillet, le jury s’est montré incapable de s’entendre. Amy Sprague Gallop a donc repris le chemin de la prison de Québec en attendant la tenue de son troisième procès.
Cette fois, les audiences ont eu lieu à Québec, le 18 octobre 1927 devant le juge Aimé Marchand. Selon l’auteure Hélène-Andrée Bizier, les avocats se sont montrés plus agressifs. Plus prudent parce qu’il craignait d’être considéré comme complice, les propos de Simpson se sont avérés moins incriminants. Le 29 octobre, le juge Marchand est tombé soudainement malade, ce qui a fait avorter les procédures.
Le quatrième procès a débuté le 12 décembre 1927 devant le juge François-Xavier Lemieux. Cette fois, certains éléments nouveaux semblent avoir dominés, entre autres à propos de la robe de deuil. Il s’est avéré qu’Amy avait déjà porté cette robe auparavant et qu’elle en avait retiré un fil de couleur pour la transformer en vêtement de deuil. Quant à la police d’assurance, la défense a démontré que l’accusée savait que cette somme ne lui serait jamais versée puisqu’elle n’avait pas été payée. Le 24 décembre, Amy a été acquittée.
L'auteure Hélène-André Bizier a consacré à cette affaire un chapitre dans son livre La petite histoire du crime au Québec, publié en 1981. À la fin, elle se questionnait : « qu’est devenue Amy Gallop? Est-elle retournée vivre auprès de sa mère et de la petite fille qu’elle avait adoptée longtemps après son mariage? » En fait, Amy Sprague s’est remariée avec un certain Larsen avant de s’éteindre à Chicoutimi le 11 septembre 1951.
[1] Selon Bizier, le procès aurait débuté le 10 juin.
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